Goudou, gouine, gouinasse, brouteuse, camionneuse… Les termes pour décrire l’homosexualité féminine ne sont ni très flatteurs, ni très délicats. Pas le genre de mots doux avec lesquels on rédigerait un poème élégiaque… Non, du prosaïque, du guttural, des consonnes dorsales bien rentre-dedans, de l’argot des campagnes, bref, un vocabulaire expressif à défaut d’être gratifiant.
Mais d’ou viennent précisément ces charmantes tournures ? Comment se sont-elles imposées dans la langue française ? Quelle est l’origine de ces mots que nous utilisons tous les jours ? Plongée dans le monde merveilleux des études étymologiques.
Qu’est-ce que tu baragouines ?
La première chose que l’on constate, c’est que les linguistes sont loin d’être d’accord entre eux sur l’origine du mot gouine. Latin ? Ancien français ? Anglais ? Les pistes sont nombreuses, mais, curieusement, les hypothèses se rassemblent presque toutes autour d’un lexique commun : celui de la vie de débauchée.
En latin, ganea signifie bordel, orgie, taverne, lieu de débauche (un peu comme la Wet for me) et ganeo évoque le vaurien ou le client de prostituée.
Selon Florian Vernet, professeur en Lettres occitanes, le mot proviendrait du jargon provençal gorina, qui -attention flatterie- signifie jeune truie, ou cochonne et par extension prostituée. Dans un poème occitan datant de 1842 et joliment intitulé La vido d’uno gourrino (La vie de débauchée), Marius Bourrelly, auteur marseillais de son état, relate la vie d’une prostituée marseillaise.
Selon Auguste Scheler, le responsable des bibliothèques du Roi Leopold I de Belgique, le terme doit son origine à l’ancien français godine (« femme ») qui ne serait non pas issue du latin gaudere (« jouir ») mais plutôt du gallois god (‘luxure ») qui aurait donné godon (« femme de mauvaise vie ») et godailler (« boire avec excès »).
Il faut attendre 1762 pour trouver la première occurrence de Gouyne dans le Dictionnaire de l’Académie Française, sous cette traduction : « terme d’injure, se dit d’une coureuse, d’une femme de mauvaise vie ».
Mauvaise fille
Vous l’aurez compris, le dénominateur commun, c’est la prostitution. Alfred Delveau confirme cette analyse. Pour ce journaliste français du début du 19eme siècle, ce mot d’argot dériverait soit de l’anglais « queen », pour désigner les prostituées, « reines de l’immoralité » au xixe siècle soit d’ Eleanor Nell Gwyn (ou Gwynne), l’illustre maitresse du roi Charles II. Avant de se taper le Roi d’Angleterre, Gwyn était une actrice (ce qui équivalait à l’époque à être une bohémienne de première classe) dont la renommée repose principalement sur son rôle dans la pièce The Maiden Queen, dans laquelle elle apparait dans le rôle d’un homme. Selon Clifford Bax, il s’agit de l’une des premières apparitions d’une femme travestie en homme au théâtre.
Actrice, maitresse, courtisane, la « gouyne » n’est pas une femme respectable. C’est une affranchie, une débauchée. Mais comment le terme a-t-il pu passer du registre de la prostitution à celle de l’homosexualité ? Au 19eme siècle, la gouine, la gougnotte en viennent à désigner progressivement celles qui préfèrent les femmes, sans doute en raison de la croyance selon laquelle les lesbiennes se trouvaient principalement chez les prostituées. Les romances entre filles dans les bordels étaient nombreuses et c’est sans doute de là que provient le glissement sémantique.
Et aujourd’hui ?
Autrefois injure, le terme gouine est devenu, depuis sa récupération par les Gouines Rouges, le vecteur d’une revendication et l’étendard de la fierté lesbienne. Entre les « Gouine comme un camion » et les « What’s gouine on« , le terme a revêtu une nouvelle signification : celle d’une identité décomplexée et capable d’auto-dérision.
Lubna