10 Drag Kings que vous devriez connaître

On connaît toutes Divine ou RuPaul. Mais peut-on seulement nommer des Drag King célèbres ? Les femmes s’habillent en homme et se produisent sur scène depuis plus d’un siècle, mais les drag kings peinent à attirer autant l’attention que leurs consoeurs à faux cils. Barbi(e)turix braque les projecteurs sur ces performeuses d’un autre genre.

On entend tout et son contraire sur les Drag Kings. Donc on commence péniblement par une définition, comme à l’école : les Drag Kings sont des personnes qui, le temps d’un jeu de rôle ou d’un spectacle, incarnent et mettent en scène des hommes, souvent caricaturaux. Là où les Drag Queens enfilent talons de 15, perruque et maquillage outrancier, les Kings optent pour les pecs et la moustache. Marin, cow-boy, soldat, motard ou gentlemen : pour le show, ces femmes se transforment en vrai mec.

La culture drag est une culture du spectacle. Le terme « drag » viendrait d’ailleurs du théâtre victorien, au temps où les acteurs trainaient leur longues jupes sur le plancher (en anglais, trainer se dit « to drag »). Etre Drag King, c’est une manière de provoquer la société, de faire réfléchir sur la notion d’identité sexuelle, de défier les préjugés et l’étroitesse d’esprit. A sa manière, c’est un mouvement de libération.

De nombreuses butchs ou trans FTM se définissent comme drag, alors qu’elles n’ont jamais brulé les planches. Mais après tout, nul besoin de projecteurs pour performer son genre. De même, toutes les drag ne sont pas lesbiennes, ni même masculines. En effet, comme la délicieuse Louise, on peut être fem à la ville et king à la scène.

Les ateliers Drag King organisés par Louise et Camille. On voit ta culotte (rose) Louise !

Mais que connaît-on des origines de ce phénomène ? Un certain nombre de chercheurs s’accorde pour affirmer que les pratiques DK voient le jour dans les bars underground de New York, de San Francisco et de Londres au début des années 1990. Si les artistes Drag King s’inspirent des mouvements queer et transgender nés aux États-Unis à la fin des années 80, ils s’inscrivent également au sein d’une culture de la performance et du travestissement bien plus ancienne, qui remonte aux années 1860.

Les origines : les Male impersonator

On constate en effet que dès le 19e siècle, plusieurs artistes de théâtre et music-hall se font connaître par le biais de numéro de travestissement. On les appelle les “male impersonator”. Ce sont, en quelque sorte, les ancêtres du Drag King.

La première d’entre elles s’appelle Annie Hindle. Elle se lance dans le théâtre au début des années 1860 et se travestit sous le nom de Charles Ryan. Pour la petite anecdote, en 1886, au Michigan, Annie, habillée de son plus beau haut-de-forme, épouse Anna, sa costumière, en se faisant passer pour un homme. Le pasteur ni a vu que du feu. Chapeau !

La plupart de ces male impersonator sont issus du music-hall. Vesta Tilley fait partie des pionnières. A la fin du 19e siècle, Matilda Powers de son vrai nom, comptait parmi les “sosies d’homme” les plus célèbres d’Angleterre. L’un de ces morceaux “Bertie Burlington” fut repris quinze ans plus tard par une certaine Ella Shield, elle même sosie et artiste de music-hall. La voici en images. Attention archives :

Tout comme Vesta, Winifred Emms, alias Hetty King (1883-1972) a vu sa carrière décoller pendant la première guerre mondiale. Avec 70 ans de carrière, Hetty King est peut-être la plus célèbre de toutes. Cette fille de comédien commence à s’habiller en homme et à se produire sur scène en 1905. Son look de dandy lui vaut un tel succès qu’on la surnomme “Queen of the Kings”. La consécration.

Du théâtre à l’underground

Il faut attendre la fin des années 80 pour voir surgir le phénomène Drag King. Le terme n’apparait d’ailleurs qu’en 1972, dans The Queen’s Vernacular: A Gay Lexicon de Bruce Rodgers. Pourquoi un tel tunnel ?

La mise en place du Code Hays (le code de censure du cinéma hollywoodien) à l’aube des années 30 pousse les “male impersonator” à abandonner leur carrières. Les performances mettant en scène des « perversions sexuelles » sont alors interdites, le travestissement en fait partie. Les male impersonator retournent au théâtre classique. Quelques rares performeurs, comme Storme DeLaverie, perpétue néanmoins cette culture dans les années 60, en marge de la culture Butch/fem. Storme est alors la seule femme à se produire dans un show de Drag Queens, le Jewel Box Revue.

 

Le Jewel Box Revue 

A la fin des années 80’s, la pensée Queer fait ses armes. Elle pose ce principe fondamental : le genre est une construction sociale et non une définition biologique. La binarité homme/femme est remise en question. L’avènement de cette pensée aura lieu en 1990 lorsque Judith Butler publie l’essai monumental : Trouble dans le genre. Instaurant la théorie queer comme discipline universitaire, cet ouvrage sera la rampe de lancement des gender studies. La formulation écrite de la théorie queer acte de son existence et offre l’impulsion nécessaire aux DK pour créer et assumer leurs personnages au sein de spectacles ou d’ateliers. En 1994, c’est l’explosion.

L’affiche du San Fransisco Drag King contest. Du meilleur goût

Les clubs se mettent à organiser des revues de Drag King, comme le club Casanova de New-York  le club Geezer de Londres et le Club Confidential de San Fransisco. En 1994, le premier concours de Drag King se tient à SF. Chaque année il rassemble plus de candidats. Les Kings se regroupent en team, forment des groupes. En parallèle, plusieurs ateliers voient le jour pour apprendre à se “kinger”. On attribue généralement la maternité de ces ateliers à l’artiste burlesque Diane Torr qui a lancé ses “Man For A Day” en 1989 à New York. Leçon de mauvaises manières en images :

Les stars des Drag Kings

Shelly Mars est souvent considérée comme le vétéran des Drag. En 1988, elle se lance dans la performance live et se plaît à choquer la ménagère. Son numéro le plus célèbre vous le connaissez peut-être : Shelly se masturbant sur scène avec une bouteille de bière (no comment). Ses différents shows, Tales of a Tomboy (1999) et Invasion from Mars (1997) lui valurent les louanges de médias et participèrent à la vulgarisation de la pensée queer. Depuis, Shelly ne s’est pas rangé : après plusieurs apparitions au cinéma et à la télévision, papy fait de la résidence au New York city’s Museum of sex.

Mo Fischer aka Mo B. Dick est la fondatrice du Club Casanova de New-York.  Dans ses shows, elle tourne en ridicule le macho à banane. Sa cible : la figure de l’homme blanc, de classe moyenne, hétérosexuel et conservateur.

Mo Fischer dans toute sa splendeur

Autre figure incontournable de la scène Drag de nineties : Midred Gerestant alias Dred. Née à Brooklyn de parents haïtiens, elle est devenue en sept ans la star des Drag Kings. Ses lauriers, elle les a gagné dans les compétitions de kings. Ses modèles : Puff Daddy, Isaac Hayes, Busta Rhymes ou Shaft. Elle est même l’héroïne du film Venus Boyz. Tourné lors des soirées mythiques du Club Casanova de l’East Village de New York, il est l’étendard de cette culture drag king. Sélectionné dans des festivals de films internationaux comme Berlin ou Locarno, ce documentaire réalisé par la suissesse Gabrielle Bauer est le premier film du genre.

Aux Etats-Unis, le drag est devenu une telle institution que certains Drag King sont  parvenus à sortir de la scène underground pour investir ce qu’on pourrait hipsteriquement appeler « la culture mainstream ». Murray Hill est devenu le maitre de cérémonie des shows de Dita Von Teese, a participé au programme « It Get’s better » contre l’homophobie et s’est même présenté à la Mairie de NY contre Rudolph Guiliani en 1999. En 2005, le New York Times parlait de lui comme du nouveau « It Boy » de la ville. (Ah bon, c’est pas Serena Van der Woodsen ?)

Et aujourd’hui ? Aux Etats-Unis et en Angleterre, la scène Drag se porte bien avec des figures comme Spikey von Dykey, Delicio Del Toro, Pete Sake, Freddy Prinze Charmig ou Ken Vegas. Lady Gaga s’est même kingée pour la cérémonie des MTV Video Awards 2011.

En France, on peine à trouver des performeurs. Il y avait bien le « Drag King fem show » avec Louise de Ville, M. Mister et Wendy Delorme mais depuis, plus rien. Toujours est-il que si l’envie vous prend de tester la cravate et de chatouiller la moustache, la prochaine Wet For Me fera honneur aux Kings. Sortez les noeud-paps !

 

Lubna & Angie

Lubna

Grande rêveuse devant l'éternel, Lubna aime les livres, les jeux de mots et les nichoirs en forme de ponts. Elle écrit sur l'art, avec un petit a : bd, illustration, photo, peinture sur soie. Twitter : @Lubna_Lubitsch