Baptiste Battisti, 30 ans, en couple depuis 2 ans, préside l’association AVA, qui milite pour donner une visibilité aux asexuel-le-s. Interview.
BBX : Comment définir l’asexualité ?
B. Battisti : Une personne asexuelle ne ressent pas d’attirance sexuelle. Ou pour le dire autrement : c’est une personne qui ne ressent pas le désir d’impliquer la sexualité dans ses relations avec les autres. Pour nous, l’asexualité fait partie de la diversité des sexualités humaines. C’est une orientation sexuelle comme une autre et nous sommes fermement convaincu-es qu’il est bien plus profitable de reconnaître sa richesse que de nier son existence, sa légitimité ou sa valeur.
L’asexualité n’est pas l’abstinence. L’abstinence concerne le comportement, tandis que l’asexualité concerne l’attirance sexuelle. Ainsi, certaines personnes sont abstinentes, par exemple pour des raisons culturelles ou religieuses, mais ressentent tout de même de l’attirance sexuelle. Inversement, certaines personnes asexuelles ont de fait des pratiques sexuelles avec leurs partenaires et ne sont donc pas abstinentes.
Comment se découvre-t-on asexuel-le-s ?
La grande majorité des personnes asexuelles réalisent au cours de leur adolescence qu’elles ne ressentent pas la même chose que leurs camarades. Alors que les copains de classe vont progressivement développer un intérêt pour le sexe, elles ne vivent pas cela. Pour beaucoup, ce questionnement se transforme ensuite en dévalorisation de soi, notamment parce qu’il n’existe pas de lieu d’information sur l’asexualité dans le milieu scolaire. La seule explication disponible pour expliquer une absence d’attirance sexuelle est celle du trouble, de la maladie, du problème. D’ailleurs, le discours tenu par certains médecins et experts, qui tendent à faire de l’asexualité une maladie qu’il faudrait soigner ou le signe d’une perturbation quelconque, sont dangereux.
Est-il particulièrement difficile de se dire asexuel-le dans le cadre d’une relation amoureuse ?
Tout d’abord, il faut rappeler que ne pas avoir de d’attirance sexuelle ne signifie PAS que l’on veut vivre seul toute sa vie, que l’on n’est pas capable d’aimer ou que l’on n’a pas besoin que quelqu’un prenne soin de nous. Les personnes asexuelles ont exactement les mêmes besoins que tout le monde. Beaucoup d’entre elles ont d’ailleurs ce qu’on appelle une « orientation romantique ». On peut être asexuel-le et homo, asexuel-le et bi, asexuel-le et hétéro, etc. Il y a même des asexuel-les aromantiques, qui eux ne tombent pas amoureux. Pour généraliser, je dirais que ce qui nous intéresse, c’est d’explorer les formes d’intimité non sexuelles. Nous pensons que de la même façon que le sexe n’a pas besoin d’amour, l’amour n’a pas besoin du sexe. Nous nous demandons quelles formes peuvent prendre des relations amoureuses ou intimes mais qui ne seraient pas sexuelles.
Avez-vous du mal à vous retrouver dans les discours qui entourent le sexe en général et l’orgasme en particulier ?
Nous ne sommes pas là pour juger ou pour condamner la sexualité des autres personnes. A AVA, nous soutenons toutes les formes de sexualité consenties et pas uniquement les formes d’hétérosexualité les plus consensuelles. Nous pensons qu’il faut parler de sexualité et en parler librement. Pour créer un dialogue honnête sur la sexualité, il faut aussi parler d’asexualité.
Ce qui nous ennuie, c’est que la sexualité soit présentée comme obligatoire. On vit dans une société qui prétend que faire l’expérience de la sexualité et quelque chose d’absolument universel, une société qui passe totalement sous silence l’existence de l’asexualité à tel point qu’il n’existe même pas de mot pour la décrire. Dans notre société, les personnes asexuelles et leurs expériences sont totalement exclues de la manière qu’à notre société de comprendre la sexualité et les relations intimes.
En ce qui concerne l’orgasme, c’est un cas particulier. De la même manière que la sexualité est positionnée comme l’expérience ultime (en matière de plaisir, de sincérité, de partage, etc.) l’orgasme est positionné comme le plaisir ultime. C’est totalement ridicule et c’est totalement excluant non seulement pour les personnes asexuelles mais aussi pour toutes celles qui ne peuvent ou veulent pas avoir d’orgasme.
Je pense qu’il s’agit d’un malentendu sur ce qu’est la liberté sexuelle. La liberté sexuelle, c’est une capacité à exprimer sa sexualité, quelle qu’elle soit. C’est avoir la possibilité d’avoir mille orgasme ou aucun, avec des hommes ou avec des femmes, avec des objets ou sans objets, etc. Mais la liberté sexuelle ne consiste en aucun cas en une obligation d’avoir de nombreuses relations sexuelles. Elle donne simplement la possibilité de le faire. Inversement, on peut très bien être libre sexuellement tout en étant asexuel-le. Pour cette raison, le prude shaming n’est pas une façon de faire valoir la liberté sexuelle mais un détournement de son message.
Depuis quand parle-t-on de l’asexualité ?
L’asexualité a toujours existé. La sexologie nous a d’ailleurs étiquetés depuis sa création. Krafft-Ebing, un sexologue du début du 20ème siècle, appelait cela « Anesthesia sexualis ». Depuis quelques années, l’asexualité est devenue un objet d’étude autant en psychologie qu’en sociologie. Au niveau public, on en parle depuis peu de temps. Les premiers groupes de parole ont été créés sur internet au tout début du 21ème siècle, avec en particulier le réseau AVEN fondé par un Américain. Ce qui change principalement, c’est que l’asexualité n’est plus un domaine réservé à quelques psy prétentieux, les médecins ou les sexologues étant profondément opposés à l’idée d’asexualité car ils sont convaincus qu’il s’agit d’un problème à régler. Aujourd’hui, l’asexualité est au contraire réinvestie par les personnes asexuelles elles-mêmes.
Propos recueillis par Charlie
Crédit photo : asexualite.wordpress.com