[TRIBUNE]
Depuis quelques semaines, les témoignages de filles victimes d’agressions (insultes, mains au cul, violences physiques) se multiplient sur le Web. Ils illustrent un sentiment de ras-le-bol des femmes qui s’amplifie autour d’un désir de solidarité, de faire bloc contre l’oppression quotidienne, la misogynie ordinaire. Après le collectif OUI OUI OUI, est-ce qu’il ne serait pas temps de dire NON NON NON ?
Je me fais draguer / insulter, je ne réponds pas, je suis une salope.
Je me fais draguer / insulter, je rétorque, je suis une salope.
Je me fais draguer / insulter, j’essaie d’expliquer que non tu ne me parles pas comme ça, je suis une folle qui a besoin d’un coup de bite pour se détendre.
Je me fais insulter / agresser, je rends les coups, j’en prends le double, je suis une conne hystérique, c’est ma faute, j’ai pris un risque inutile, j’ai envenimé la situation, je n’avais qu’à me taire, baisse les yeux.
Je me fais coincer contre un mur un soir, je dis NON, je suis conne aussi de me retrouver seule dans une rue la nuit, je suis une allumeuse, je joue, NON dans la bouche d’une fille ça veut forcément dire oui, elles ne savent pas ce qu’elles veulent.
J’embrasse mon amourEUSE dans la rue, on nous siffle, on s’arrête derrière nous pour se rincer l’oeil, on nous fait des commentaires, on est trop connes, on cherche les ennuis, on a qu’à être plus discrètes aussi.
Je porte un t-shirt décolleté et du rouge à lèvre, je suis une salope disponible.
Je ne porte pas de jupe ni de talons, je suis moche et frustrée.
Je bronze en maillot de bain dans un parc (torse nu : privilège masculin), je m’exhibe, je suis une salope disponible.
Il n’y a pas de toilettes publics, je pisse dehors (uriner : privilège masculin), je m’exhibe, je cherche les ennuis, verbalisez-moi.
On me fait une proposition professionnelle intéressante (embaucher, soumettre : privilège masculin) qui s’avère être une proposition de coucherie, je décline, je suis une putain de prude, je peux aller me faire foutre ailleurs.
Je n’ai aucune envie de coucher avec toi, j’ai une amourEUSE je suis amoureuse, tu proposes un plan à trois, je suis bête, deux filles ensemble ça n’est pas vraiment un couple.
Je n’ai aucune envie de coucher avec toi, tu ne me plais pas, je dis NON, je suis une frustrée à problèmes, je devrais franchement me poser des questions.
Je marche dans la rue avec mon amourEUSE, les commentaires et les propositions fusent, normal, c’est de la provocation, comportement aguicheur, salopes par défaut, on est frustrées, on ne s’est jamais faite baiser correctement par un mec un vrai, on fait ça uniquement pour exciter ta libido, on cherche désespérément le regard d’un homme pour valider notre relation.
On vient me parler, on insiste (s’imposer : privilège masculin), je refuse de répondre, je demande qu’on me fiche la paix, je suis une connasse frigide et de toute façon je suis moche.
Je suis perdue dans mes pensées, ton regard croise le mien par hasard, c’est une invitation bien sûr, je suis une salope qui ne pense qu’à ça.
Tu es tellement gentil et gentleman, je suis reconnaissante, redevable, il est normal que je te fasse une fleur…
Je dis (la parole : privilège masculin) que j’en ai ras-le-bol d’être matée, reluquée, sifflée, abordée, suivie, insultée quotidiennement, je suis mythomane, j’ai besoin d’attention, j’abuse quand même toutes les filles ne se font pas agresser. J’exagère il y a plein de mecs bien, normal t’es lesbienne tu détestes les hommes, je devrais peut-être changer de comportement ?
Je dis que je suis en COLÈRE (agressivité : privilège masculin), qu’ils s’enculent entre copains, ça les soulagerait, ça nous ferait des vacances, je suis une putain de sorcière, mal baisée.
Je défends le droit à la prostitution, à la pornographie, à disposer de mon corps (légiférer : privilège masculin), de mon désir (jouir : privilège masculin) et de mon genre comme je l’entends, je suis une salope amorale et je mérite d’être souillée ;
J’ouvre ma gueule sur le patriarcat, l’hétérocentrisme, l’inégalité salariale, la précarité du travail féminin, la maternité partagée, la PMA, le concept de « famille », le droit à mon intégrité dans l’espace public (envahir, occuper : privilège masculin), je suis une emmerdeuse castratrice féministe.
Je suis dans le métro, dans le bus, dans la foule, dans la rue, un bar, une fête, un entretien d’embauche, au bled, en France, debout, assise, couchée : vas-y, fais-toi plaisir, sers-toi, mon corps est disponible, je ne suis qu’une putain de femme.
Etaïnn Zwer, salope queer féministe.