« Je ne sais pas quand a eu lieu le premier geste violent, je ne sais même pas quelle tension l’a produit. Je sais seulement qu’à partir de ce jour là, je me suis retrouvée plongée dans une spirale de violence… »; « Pendant l’acte de violence tu ne penses à rien, tu ne te rends pas compte de ce qui arrive clairement »; « Pourtant, tout avait bien commencé… »
Derrière ces mots, ces bouts de vie lâchés sur le papier, derrière la violence subie au quotidien, on imagine toujours un homme. Il y a ce mythe de l’homme violent, de l’homme tortionnaire. Dans les campagnes de prévention contre les violences conjugales, l’agresseur est invariablement masculin. On oublie les couples lesbiens, on imagine bien trop mal deux femmes se battre, une femme en battre une autre. Dans l’imaginaire collectif, on se figure un simple crêpage de chignon ; deux assiettes cassées, des cris stridents. Admettre qu’une femme puisse en battre une autre dans un couple, ce serait reconnaître que les couples lesbiens sont une réalité. Or, cette idée là, malgré la loi sur le mariage pour tous, a toujours du mal à faire son chemin dans les administrations.
Comment parler de violences au sein d’un couple qui n’est pas encore totalement admis par la société? À l’intérieur même de la communauté lesbienne, on a du mal à croire qu’une femme puisse en battre une autre. On n’en parle jamais. C’est tabou. Moi-même, lorsque j’ai passé mon appel à témoignages, je n’ai eu aucune réaction, aucun encouragement, aucun commentaire.
Pourtant, j’ai fini par recevoir des témoignages. Ils montrent bien que la violence conjugale entre filles n’est pas une fiction et qu’il est temps d’en parler.
De réalités…
« J’ai vécu pendant 5 ans avec une fille qui me maltraitait, essentiellement sous forme de violence psychologique (harcèlement moral, chantage, menaces, etc.). La violence physique n’était malheureusement pas absente de notre relation. […] Cette violence pouvait se manifester parfois de façon spectaculaire : je me souviens d’un soir où Sonia* a pris des assiettes et a entrepris de se les casser sur la tête, pour me « prouver » à quel point elle m’aimait ! » Emma*
« En à peine deux mois, la violence s’était installée dans notre vie de couple. Une dispute provoquait une colère noire de sa part. Je me souviens qu’elle m’insultait, me rabaissait, m’agrippait fort aux poignets, je me dégageais en essayant de la calmer, mais elle en profitait pour me faire tomber et me rouer de coups de pieds. Elle hurlait au dessus de moi. […] Malheureusement, à chaque fin de dispute, elle me prenait dans ses bras, s’excusait en pleurant tandis que j’étais recroquevillée sur moi. Puis elle m’embrassait et sous ses baisers et nos larmes, tout mon désir pour elle revenait. Nous faisions l’amour avec une telle intensité et quelques jours plus tard, la même scène de violence se répétait. Cela faisait partie de mon quotidien.» Stéphanie*
« Mon amie était nerveuse, jalouse -je suis bie, tout le monde était menace- et n’hésitait pas à aller très loin dans ces propos. Que ce soient des insultes, ou encore la réutilisation des confidences que j’avais pu lui faire pour m’humilier, me rabaisser. Sauf qu’au bout de plusieurs mois de harcèlement psychologique, quand on en peut plus, le réflexe devient physique et on balance une première claque. Comme ça, pour la faire taire. Pour qu’elle cesse d’être ignoble. Parce qu’on ne veut plus entendre. Parce qu’on ne l’a pas mérité. Après les réconciliations, ce premier geste a tout de même instauré cette possibilité de la violence physique. Dès lors, les disputes deviennent presque des combats et c’est l’autre, celle qui était psychologiquement violente, qui s’empare en plus de la violence physique. Tout s’est entremêlé : je reprenais ses propos et pouvais moi aussi, devenir méchante. Jusqu’au jour où elle m’a trompé. Je le savais, je m’en doutais et j’en ai eu la preuve vivante en les découvrant dans un bar. Pendant des mois, ma copine m’avait menti, s’était absenté, ne rentrait pas, me manipulait pour me faire croire qu’il ne se passait rien alternant cris, mots doux et excuses. […] Elle devenait de plus en plus jalouse, de peur que je veuille me venger. Effrayée par ma violence physique, je m’étais jurée de ne plus porter la main sur elle même quand c’en était trop. Mais elle n’avait pas fait le même vœu et me tapait ensuite pour le moindre problème. Un jour, j’avais bu un verre avec un ami dont elle était jalouse et elle m’a battu devant la porte de notre appartement puis à l’intérieur. Je n’ai pas répondu et ai laissé faire comme je me l’étais promis. J’étais pleine d’hématomes… » Manon*
Agathe & Lou (cuisine) par CaToffaletti
Souvent, au début, tout se passe bien mais rapidement, une dynamique de domination, de violence verbale et psychologique s’installe. Rabaissement, humiliation, tentative de séparer l’autre de ses proches, menaces, mensonges, manipulation, coups. Ponctué d’excuses à coups de « c’est la dernière fois », ponctué de larmes et finalement de tentatives de faire culpabiliser l’autre qui souvent, finit par croire que c’est de sa faute.
« En fait, quand elle était comme ça, elle était comme quelqu’un d’autre puis quand c’était fini, elle prenait conscience de ce qui s’était passé, elle se mettait à pleurer, elle disait « C’est ma faute, je suis trop conne », du coup je la voyais mal, et petit à petit, c’est devenu plutôt « c’est ma faute » et je finissais par culpabiliser. […] J’ai mis du temps à m’en sortir parce que je ne me rendais pas compte, elle souffrait vraiment… » Noémie.
« Les coups et les insultes ne suffisaient pas. Ce qu’elle voulait c’était aussi m’isoler de mes parents avec lesquels je suis très proche , qui connaissaient cette fille et mes meilleurs amis. Elle les critiquait pour que je m’en éloigne. Heureusement que cela n’a jamais eu lieu mais je ne parlais pas de la violence dont j’étais victime. Je cachais mes bleus aux bras sous des vêtements à manches longues par exemple. » Stéphanie*
Difficile alors de parler à son entourage de quelque chose qu’on ne croit pas être vrai, dont on croit être la cause ou dont on a honte. Difficile d’autant plus parce qu’il est n’est pas évident d’accepter qu’une femme puisse être violente. Certaines n’en parlent jamais. La violence conjugale entre femmes est invisible et tabou.
« C’est idiot mais quand mes amies m’ont demandé ce que j’avais fait, j’ai répondu un truc débile : « Je suis tombé dans la rue, j’ai trébuché »[…] J’en ai parlé à mon copain actuel mais j’ai trop honte d’en parler à d’autres personnes et je sais que ça ferait de la peine à ma mère, je n’en ai pas envie. » Manon*
« Quand j’ai évoqué le sujet à ma meilleure amie de l’époque, qui était aussi son amie, elle est passée à autre chose, elle a pas voulu écouter. J’en ai parlé à ma mère après mais c’était difficile, elle adorait mon ex et avait du mal à imaginer une telle violence. Elle a alors reporté sa crainte sur ma nouvelle copine ». Noémie
« A l’époque j’étais très seule, à part mes parents et ma sœur, personne n’était au courant de ce que je vivais. Puis mon médecin, mes amis, ma famille m’ont dit que c’était une perverse narcissique… » Coline*
…à une réalité
La violence conjugale entre femmes existe mais il y a peu d’études la concernant. En France, rien n’a été mené jusque là. Alors qu’il existe des campagnes contre les violences faites aux femmes dans le cadre des couples hétérosexuels, les bies et lesbiennes sont une fois de plus invisibilisées. Evidemment, si on parle peu des désirs des couples lesbiens, on parle encore moins de leurs problèmes. Cependant, quelques chiffres sont sortis au Québec après une étude faite en 2003* mais ils ne concernent pas seulement les lesbiennes et bies: En effet, « 15 % des gais et lesbiennes et 28 % des bisexuels, ont déclaré avoir été victimes de violence conjugale par rapport à 7 % des personnes hétérosexuelles. »
Alors si ces chiffres sont transposables en France et que la violence conjugale existe bel et bien entre femmes, pourquoi est-ce si tabou? Pourquoi n’en parlons-nous pas? Je me demande même personnellement pourquoi j’ai attendu si longtemps avant d’en parler et pourquoi si peu de personnes ont réagi quand j’ai lancé l’appel à témoignages?
C’est parce qu’admettre la violence conjugale dans les couples de femmes, c’est aussi admettre que les femmes sont violentes au même titre que les hommes. Certes, dans une société patriarcale telle que la notre, l’enjeu derrière les violences faites aux femmes n’est pas exactement le même, n’a pas le même historique. Pourtant, il s’agit du même processus de manipulation et de domination, il s’agit de la même violence et des mêmes conséquences. Pourquoi est-il si difficile de l’admettre?
« Tu sais, même si on a pas mal parlé de mon film Agathe et Lou, j’ai eu quand même peu de personnes qui s’intéressaient au problème. J’ai fait ce film pour parler de la violence conjugale entre femmes, pour que ce soit mis au devant de la scène, mais je sais pas, j’ai pas l’impression que ça ait intéressé beaucoup de monde. » nous confie Noémie Fy, la réalisatrice du court métrage Agathe et Lou (à qui vous pouvez d’ailleurs envoyer un mail pour visionner le flm).
Mais c’est aussi parce qu’il est plus difficile d’accepter soi-même qu’on est agressée par une femme et qu’il est plus difficile d’en parler parce que ce n’est pas admis dans la société, ce n’est même parfois pas crédible auprès de la police.
Puis il y a une spécificité aux violences conjugales dans les couples lesbiens, une spécificité qu’on oublie souvent, c’est qu’il n’est pas forcément facile de se rendre dans un centre d’aide aux femmes battues parce que les services sociaux partent eux aussi du principe que l’agresseur sera un homme. Comment se sentir en confiance quand la personne censée vous aider n’imagine pas que nous puissions être lesbienne? Et si le coming-out n’a jamais été fait auprès des proches et de la famille, comment s’en sortir? Pourquoi est-ce que les structures sociales actuelles n’incluent pas tout simplement les lesbiennes et bies?
Il n’existe aucune association spécifiquement réservée aux femmes battues dans le cadre d’un couple lesbien. Même si l’association AGIR a lancé une campagne afin de briser le tabou concernant la violence dans les couples LGBT. C’est quand même très récent.
Mais ce n’est pas étonnant finalement. Les lesbiennes et bies sont souvent les plus oubliées des campagnes de prévention financées par l’Etat, que cela concerne la santé sexuelle ou les violences conjugales. Ca n’intéresse personne parce que nous sommes une minorité. Mais il est quand même grand temps d’en parler !
Sarah
Illustrations: Agathe et Lou
*Les prénoms suivis de * ont été modifiés