Témoignages : aventures en territoire gynécologique

Se rendre chez un-e gynéco est rarement une mince affaire. Il y a toujours cette appréhension : « Va t’elle / il bien me recevoir ? Bien me conseiller ? Être bienveillant-e ? ». Ouvrir ses cuisses à un-e médecin demande une confiance totale. Pour les lesbiennes, cette confiance est d’autant plus difficile à atteindre que l’ignorance se teinte parfois de lesbophobie ordinaire…

On ne sait jamais sur qui on tombe, surtout lorsque nos moyens financiers sont limités, que l’on est dans l’urgence ou que l’on est obligée de se rendre dans un centre conventionné. On pourrait penser que la plupart des gynécologues sont bienveillants, pourtant, de ma propre expérience et de celle des mes proches, les gynécologues incompétents, malveillants voire lesbophobes sont légion. J’ai donc décidé de rassembler une série de témoignages afin de mettre un véritable problème en lumière : les gynécologues auraient tendance à oublier que derrière les vulves, il y a des femmes.

Esther :

« J’avais 18 ans et j’assumais tout juste mon homosexualité. A cause de soucis de règles hémorragiques, on m’a envoyé vers un spécialiste d’un grand hôpital parisien. J’y suis allée très confiante par rapport à ma sexualité car je pensais naïvement que les professionnels de santé n’étaient pas là pour juger. Malheureusement cela ne s’est pas vraiment bien passé. Lorsque je lui dit que je ne prenais pas de contraception et que j’étais lesbienne, j’ai senti que ça jetait un froid. Il m’a demandé si j’étais vierge, je lui réponds que non, il me demande alors si j’ai déjà eu des relations sexuelles avec un homme, je lui réponds non également. Il m’assure alors que je suis vierge. Il ne m’a pas auscultée, ni fait de frottis. Il m’a facturé une consultation et je suis sortie incapable de réagir tellement j’étais surprise. »

Lola :

« Je suis bisexuelle et célibataire. J’ai voulu profiter de ma dernière consultation gynécologique pour poser des questions sur les risques que j’encourais lors de rapports sexuels avec des femmes. Je suis allée chez la gynéco de ma mère, “très à l’écoute et qui prend le temps d’expliquer”, j’ai pris mon courage à deux mains – après tout, c’est son boulot de parler de sexualité – et je me suis lancée. Je n’avais jamais parlé de ma bisexualité en dehors de mon cercle d’amis. J’ai lancé, l’air naturel :
“J’ai des relations occasionnelles avec des femmes. Je voudrais en connaître les risques, et les moyens de me protéger.
– Ah, vous êtes lesbienne ?
– Bisexuelle.
– …
– On m’a parlé de bricolage, de préservatifs masculins à découper, il ne peut pas exister que ça ?
– Si. Eh oui, vous prenez des risques à chaque fois. Dépistage chaque année. Voilà, autre chose ?”
Je me serais bien passée de la brutalité de l’info, et du petit sourire condescendant qui l’accompagnait. C’est sûr, annoncer à quelqu’un que tous ses rapports homosexuels allaient être dangereux, ça n’est pas grave… J’encaisse.
L’examen commence en silence. Alors que je suis à moitié nue, elle annonce d’un ton sarcastique : “C’est bien, au moins, pas de problème de contraception !” Ah bon ? BIsexuelle, tu connais ?
Re-silence. Puis, en plein frottis :
“Alors comme ça, vous avez commencé avec des hommes, puis… ?
– J’ai toujours des relations occasionnelles avec les deux sexes.”
Silence pesant. Finalement, la consultation s’est vite terminée, avec le moins de chaleur et de mots possibles. Et le sentiment d’humiliation face au mépris bien palpable dans ses mots, ses regards, ses faux sourires et ses silences.
J’ai dû rencontrer une sage-femme bénévole dans une asso LGBT de ma ville pour avoir des réponses à mes questions, beaucoup plus précises et rassurantes par ailleurs, et avec le sourire en plus… »

 Camille :

« Ma dernière consultation avec une gynéco date d’il y a 6 ou 7 ans. Je consultais pour un syndrome du kyste ovarien et des douleurs au ventre. Elle a été bien pendant la consultation, pour à la fin me dire qu’elle ne pouvait rien faire « tant que je ne perdais pas du poids ». Je me suis sentie coupable d’être malade et j’ai arrêté d’être suivie. Quand on sait que les kystes ovariens sont associés à un métabolisme particulier qui rend la perte de poids difficile… Mais le pire, ça a été ma première gynéco. J’ai du me mettre entièrement nue alors que je consultais pour des douleurs génitales, mais surtout, elle a vu mes cicatrices d’auto-mutilation sur mes bras et mes jambes et s’est permise de faire pleins de commentaires comme quoi c’était « la nouvelle mode chez les ados » et qu’ « elle était psy avant, elle savait comment on fonctionnait ». J’étais humiliée, en larmes, et elle continuait. Voilà, depuis je ne suis plus suivie par une gynéco, car j’angoisse d’avoir encore une mauvaise expérience. « 

Laura :

 » Je me rendais dans un centre de dépistage pour effectuer un test VIH. Le docteur qui me reçoit me pose les questions habituelles : fréquence des rapports, nombre de partenaires, comportements à risques etc… Puis vient la question de l’orientation sexuelle : Je réponds « homosexuelle ». Je lui dis que mes 6 dernières partenaires étaient des femmes. Étonné, il me demande si j’ai quand même eu des relations avec des hommes par le passé. « Oui, il y a trois ans ». « Ah donc vous êtes bisexuelle ». Et il coche bisexuelle sur son formulaire ! J’étais complètement abasourdie ! C’était juste une négation totale de ma personne, une insulte à ma fierté. J’ai pris ma fiche, et je me suis rendue dans la salle de la prise de sang, où l’infirmière, constatant mon orientation sexuelle, m’a gracieusement offert un lot de préservatifs. Ils doivent encore trainer chez moi dans un coin… »

Soraya :

« Ma mère m’avait emmenée voir un gynéco parce qu’il fallait que je prenne un contraceptif (la pilule, point, on ne m’a rien proposé d’autre). La gynéco a été très désagréable. Elle m’a parlé du vaccin contre le papillomavirus, que j’ai refusé de prendre. Elle m’en a reparlé systématiquement les 5 autres fois où je suis retournée la voir. La dernière fois, elle est devenue agressive parce que je ne voulais pas. Donc je lui ai demandé si elle « touchait du fric à chaque vaccin pour me gaver comme ça avec ». Elle n’a pas trop aimé… Je n’y suis jamais retournée. C’est aussi la même qui avait dit à ma mère : « Les femmes, ça doit souffrir, c’est normal si vous avez mal, c’est comme ça, c’est tout, alors faites avec » alors qu’en fait son stérilet la déchirait de l’intérieur depuis des semaines.

Jasmine :

« Arrivée à Paris il y a quelques années, j’avais décidé d’arrêter la pilule. Je la prenais depuis mes 14 ans mais ma sexualité lesbienne ne m’obligeait pas à prendre un contraceptif, donc autant limiter les cachets. Je suis allée voir une gynéco que je ne connaissais pas. L’enfer absolu. Quand je lui ai dit que je n’avais pas mes règles (ce qui en soi ne me gêne pas du tout, et à la longue on s’habitue) j’ai eu l’impression d’être une sorte de traînée un peu dégueu. Je n’ai pas osé lui dire que j’étais lesbienne. Elle a quand même insisté pour me faire faire une prise de sang, qui prouverait bien que non, je n’étais pas enceinte. Et évidemment, elle a insisté pour me remettre sous pilule. J’ai accepté sagement et j’ai de nouveau arrêté, quelques mois plus tard. »

Bien entendu, il en existe des gynécologues compétent-e-s et bienveillant-e-s mais ces expériences diverses me font penser qu’il est plus rare de faire face à un bon gynéco qu’à un mauvais. Il n’est pas normal que les gynécos ne soient pas capables d’informer et de conseiller les lesbiennes et bisexuelles sur les maladies sexuellement transmissibles. Si les gynécologues n’apprennent pas à être bienveillant-es, comment les femmes peuvent-elles vouloir se rendre chez un médecin ? Si autant de maladies ne sont parfois pas traitées à temps, c’est peut-être aussi à cause de l’angoisse que peut susciter un simple rendez-vous chez le/la gynécologue. La manière dont les gynécologues reçoivent les femmes est un véritable problème de santé public sur lequel il faudrait qu’on s’attarde une bonne fois pour toutes.

 

 

Sarah

Sarah ne parle plus trop de cul ni d'amour d'ailleurs mais ses passions demeurent : féminisme, antispécisme, santé mentale et gingembre.