Le plus grand ensemble d’archives lesbiennes au monde fête bientôt ses 41 ans. Son relai numérique, baptisé Herstory, publie depuis deux ans une sélection d’images relatant l’histoire des revendications et mouvements lesbiens et féministes.
On dit parfois que l’Histoire est écrite par les vainqueurs. Ce n’est peut-être pas un hasard que le mot soit décliné au masculin. Dans les années 1970, les universitaires américaines mettent en avant le besoin d’une Histoire écrite du point de vue des femmes. Ce mouvement, les historiennes le baptisent « Herstory » (pour contrebalancer la His-story jusque là écrite dans les manuels d’Histoire).
Aussi, pour que l’Histoire américaine n’oublie pas les lesbiennes et les bi qui l’ont marquée, mais aussi pour qu’elle garde les traces de celles qui l’ont traversé de manière plus anonyme, un groupe de femmes se donne pour mission de constituer un ensemble d’archives dans les années 1970s.
L’aventure commence avec Joan Nestlé, une des fondatrices de la Gay American Union (une association visant à représenter les étudiants et professeurs homosexuels au sein de la cité universitaire de New York). Celle-ci, avec l’aide de Deborah Edel, Sahli Cavallo, Pamela Oline, et Julia Stanley, remarque la nécessité de mettre en place une association indépendante qui mettrait en avant l’histoire et la culture des lesbiennes, vue, racontée, et archivée par les lesbiennes. C’est ainsi que naissent les Lesbian Herstory Archives en 1975.
L’aventure s’organise de manière informelle : les archives se situent au début (et ce pendant quinze ans) dans l’appartement de Joan Nestlé dans l’Upper West Side à New York, et réunissent des publications, magazines, CD, DVD, tout matériel donné gracieusement, en lien avec la culture lesbienne. Or, les archives accueillent également du contenu personnel envoyé par des femmes bi ou lesbiennes voulant pérenniser leurs histoires, et celles de leurs proches.
Progressivement, les archives s’organisent et se spécialisent, grâce tout particulièrement à l’aide de Judith Schwartz (une historienne) et Georgia Brooks. L’organisation et la répertorisation de tout le matériel reçu se fait exclusivement par l’intermédiaire de volontaires. Brooks qui est afro-américaine, lance dès 1978 un groupe se concentrant particulièrement sur les Black Lesbian Studies.
Avec l’enrichissement de la collection des archives, le déménagement de celles-ci s’impose. Un comité d’organisation est créé, qui réussit à lever des fonds suffisants pour l’achat d’un immeuble à Parkslope à Brooklyn. Inauguré en 1993, celui-ci accueille toujours aujourd’hui les archives qui sont ouvertes et accessibles à toutes, gratuitement, sans besoin d’accréditation particulière ou d’aucun permis. Les archives sont également, en partie, accessible à distance.
À l’ère du numérique, depuis 2014, c’est Kelly Rakowski qui prend le relai, avec des publications quasi-quotidiennes. Elle créé le compte Instagram h_e_r_s_t_o_r_y et publie au départ, en grande majorité du matériel qu’elle trouve sur les archives à Brooklyn et qu’elle souhaite partager avec un publique plus vaste.
Avec plus de 47000 followers aujourd’hui, le compte constitue une des plus grandes et des plus suivies sources de contenu lesbien sur internet. Cette initiative est fondamentale aujourd’hui puisque comme Rakowski en témoigne elle-même : « J’ai aussi appris combien il est difficile de trouver des images de femmes lesbiennes et queer, alors qu’il y en a beaucoup plus qui concernent les hommes gay. Tout ça m’inspire à combler ce manque et à partager le plus possible d’images de la culture lesbienne, de maintenir vivante cette culture, en la rendant visible. »