Sortez vos oracles, remuez vos potions, affinez vos sortilèges ! Mercredi s’organise à la Colonie un rassemblement d’ensorceleuses féministes, lancé à l’initiative de la Queerweek. Au programme de ce sabbat Queer, des ateliers, des projections de films, une table-ronde, des rituels d’empowerment et peut-être quelques sacrifices de mâles beaufs…
Depuis quelques temps, dans les milieux LGBT et féministes, la réappropriation de la figure de la sorcière rencontre un écho grandissant, amplifié par les réseaux sociaux. Puissante, marginale, transgressive, la sorcière constitue un symbole fort de résistance à l’ordre normatif. Différentes pratiques éclosent, dans une logique générale d’empowerment et de sororité. Parmi ces pratiques, le sortilège permet d’allier discours politique et mystique occulte. C’est le parti-pris de la Brigade du Stupre, qui organise à cette occasion, un atelier confection de sortilèges. Nous leur avons posé quelques questions.
BBX : En quoi consiste l’atelier confection de sortilèges que vous menez ?
L’atelier est le résultat d’une collaboration entre la Brigade du Stupre et deux sorcières féministes Mathilde et Jasmin. En Novembre 2016, Brigade du Stupre avait choisi d’aborder la thématique « sorcellerie, pensée occulte et féminismes » à l’invitation de Mains d’Oeuvres (nuit Sale et Sauvage #5), l’intervention s’était traduite par la mise en place d’un stand de médiation et de vente de sortilèges (plutôt humoristiques, pensés pour mettre l’accent sur des concepts ou des idées en lien avec la thématique). A l’occasion de la Queer Week, Brigade du Stupre a choisi de faire appel à Jasmin et Mathilde pour leurs connaissances ésotériques et divinatoires. Lors de cet atelier nous proposons une brève introduction à la figure de la sorcière, et permettons aux participant.E.s de s’approprier leur propre pouvoir spirituel hors religion et stéréotypes : création de sa propre personnification d’énergie (« créer sa déité »), mise en commun de nos forces pour mettre place un rituel défini ensemble, empowerment.
Ca signifie quoi de se dire sorcière en 2017 ?
Se dire sorcière peut signifier une multitude de choses, c’est à chacunE de définir le sens de cette identité selon son parcours. CertainEs se définiront sorcières par intérêt pour la magie, l’ésotérisme, la cartomancie, la lithotérapie etc., mais pour nous, se définir ainsi est avant tout politique. Se dire sorcière favorise une prise de pouvoir par les femmes ou par les queers dans une société patriarcale. C’est une façon de donner un grand coup de pied à l’hétéronormativité en dérangeant, en intriguant et en s’appropriant des forces qui font peur, celles de la magie, de l’occulte, de la nature. C’est aussi se positionner contre des dogmes et une autorité religieuse aliénante et normative (mariage, refus de l’homosexualité, etc.) tout en s’écartant aussi de la pensée rationaliste. Cette identité ouvre de nouvelles possibilités, de nouvelles manières d’agir sur les choses en se réappropriant une symbolique subversive et en détournant des codes grâce à l’ironie et l’humour. C’est une manière de ne pas adhérer aux discours dominants de la science et de l’histoire masculiniste en s’intéressant aux médecines alternatives, à la divination, à l’ésotérisme ; en s’auto-proclamant « Sorcières », on transgresse les normes d’une façon étrange et on assume ce statut d’ « anormal », de « bizarre ». On se réunit entre « anormaux », on forme des covens (groupes de sorcières) et on crée des échanges plus intimes et plus personnels.
En quoi la figure de la sorcière constitue-t-elle un symbole queer ?
Actuellement c’est surtout par le biais des réseaux sociaux et en particulier aux États-Unis que les communautés queer se réapproprient cette figure. Il y a d’abord la démarche qui consiste à reprendre une insulte pour en faire un symbole d’empowerment et de fierté qui est une des bases des mouvements queer. Historiquement, on peut aussi faire plusieurs parallèles avec cette démarche. Au Moyen Âge, mais surtout entre le 15e et 17e siècle, de nombreuses femmes aux mœurs jugées douteuses (adultères, femmes seules) vont être pourchassées et exécutées dans le but d’établir un ordre moral ainsi que de faire face au déclin démographique. À la même période, de nombreuses personnes « queers », des sodomites, des asexuels et tous ceux qui remettaient en cause les doctrines sexuelles et reproductives de l’Eglise sont brûlées et pourchassées. L’insulte « faggots » fait d’ailleurs directement allusion aux fagots de bois de ces bûchers. On peut aussi parler de la figure de Jeanne d’Arc, qui a été brûlée pour sorcellerie, mais qui surtout se travestissait aussi en homme et dont la sexualité reste floue mais qui a pu être abordée par certainEs historienNEs comme une figure transgenre ou lesbienne.
Quel lien entre la sorcellerie et le féminisme ?
Il y en a tellement qu’il est difficile de faire brièvement le tour de la question ! Le premier lien évident, c’est que la figure de la sorcière est employée par les féministes contemporaines comme figure de référence : par exemple dans les années 1970, des féministes italiennes ont repris l’image de la sorcière et en ont fait un symbole subversif de leur révolte grâce au slogan : Tremate, tremate, le streghe son tornate (« tremblez, tremblez, les sorcières sont de retour »). À partir de là, de nombreuses études féministes ont émergé sur ce sujet, on en retrouve d’ailleurs plusieurs récemment réédités comme Sorcières, sages-femmes et infirmières de Deirdre English et Barbara Ehrenreich ou Rêver l’obscur : Femmes, magie et politique de Starhawk dans la collection militante et féministe intitulée « Sorcières » d’Isabelle Cambourakis.
On a condamné les sorcières pour des vices qui se trouvent être des vertus d’indépendance, d’autogestion, d’auto-détermination et de sororité. En cela, la sorcière incarne un potentiel modèle féministe, représentative d’une certaine liberté d’être. Mais elle est aussi malheureusement une victime de la société religieuse et masculiniste, une femme à la liberté entravée. Historiquement, la chasse aux sorcières a pris la forme d’une traque de femmes savantes (sachantes) et indépendantes (on compte surtout parmi les sorcières désignées et punies des veuves et des célibataires), bizarres, et par là même contestataires d’une société régie par ou pour les hommes. La figure ancestrale de la sorcière telle qu’on l’imagine est puissante et mystérieuse. Elle fait peur à l’ordre établi, on l’accuse d’être infanticide, adultère, empoisonneuse, de pactiser avec le diable dont elle est l’amante ; elle est érigée comme l’ennemie suprême des religions, condamnée pour ses prises de liberté. Aujourd’hui, une femme occidentale à peu de risques d’atterrir sur un bûcher, mais des moyens différents sont mis en place par la société patriarcale, capitaliste pour étouffer nos libertés et nos droits. La sorcière, par son statut de guérisseuse, est aussi le symbole d’une reconquête de nos corps par les médecines douces et naturelles, le symbole d’une femme désobéissante qui peut s’auto-diagnostiquer en connaissant son anatomie et ses organes, qui est capable d’avorter grâce à des plantes et donc de contrôler elle-même sa sexualité et son corps sans passer par les médecines institutionnelles ou se soucier des lois.
Credits: Marie Million Albertine Anneix (torpeurs–cystite.tumblr.com)
En 1992, Rob Paterson, un ultra nationaliste américain, appelle à se méfier du féminisme en mettant en garde contre ses danger. Il affirme que c’est un mouvement anti-famille qui encourage les femmes à quitter leurs maris, tuer leurs enfants, pratiquer la sorcellerie, détruire le capitalisme et devenir lesbiennes. Cette phrase est reprise ironiquement par les mouvements féministes et devient une référence. Très récemment, un mouvement féministe militant anonyme né aux Etats-Unis « WITCH PDX » s’est inspiré d’un groupe féministe créé dans les années 1960 : Women’s International Terrorist Conspiracy from Hell et à appelé à défendre les valeurs d’un féminisme intersectionnel et à militer contre la suprématie blanche patriarcale dans le monde entier. En février dernier, de nombreuses sorcières se sont réunies autour de la Trump Tower et se sont livrées à un rituel commun qui avait été diffusé sur internet pour provoquer le départ de Trump. Ce happening médiatisé a réveillé la presse chrétienne nationaliste qui a appelé ses fidèles à prier pour conjurer le mauvais sort. La preuve que les sorcières effraient encore aujourd’hui !
Sabbat Queer / Club Lilith, le mercredi 15 mars à la Colonie. Toutes les infos ici !