Une dystopie féministe glaçante : Les heures rouges de Leni Zumas

Vous l’avez forcément vu passer : Les heures rouges (Red Clocks en VO) de Leni Zumas est la nouvelle dystopie féministe qui fait parler d’elle sur les réseaux. Encensé par Naomi Alderman, dont le roman Le Pouvoir (2017) a été classé dans le Top 10 du New York Times l’année dernière, Les heures rouges pose une question toute simple, mais à l’issue glaçante : que se passerait-il si l’avortement était interdit aux Etats-Unis aujourd’hui ?

 

Oregon, futur proche. Quatre destins de femmes.

La biographe- La quarantaine et célibataire, Roberta rêve de tomber enceinte, mais son corps s’y refuse, malgré les nombreuses fécondations in-vitro. « Trop vieille », « trop seule », « trop contre-nature », elle doit affronter la condescendance et le mépris de son entourage. Lorsque la médecine échoue, il ne reste plus à Roberta que l’adoption, mais son temps est compté car un nouvel amendement, proclamant que « chaque enfant a besoin de deux parents », va bientôt être mis en application, réduisant ses espoirs à néant.

L’épouse- Susan est mariée, a deux enfants et vit dans une grande maison. Mais par-delà les apparences d’une mère américaine comblée, elle rêve à un avenir où, débarrassée des trois personnes immatures dont elle a la charge et des cuvettes de toilette pleines de poils à nettoyer, elle exercerait le métier pour lequel elle a fait des études et aurait enfin du temps pour elle.

La fille- Mattie a seize ans et tombe enceinte après un premier rapport sexuel décevant. Elle cherche par tous les moyens à se débarrasser de sa grossesse, mais la loi lui interdit désormais tout recours, sous peine de prison. Le Canada n’est pas loin, mais la police veille aux frontières. Un avortement maison est bien trop risqué. Et tandis que Roberta louche avec envie sur ce bébé à naître, Mattie ne voit plus que les cliniques clandestines, aux conditions d’hygiène cauchemardesques, comme solution…

La guérisseuse- Gin Percival vit seule dans la forêt et prodigue ses soins à celles qui les recherchent. Ses herbes viennent offrir une issue de secours bienvenue aux femmes dont le corps est désormais strictement contrôlé. Elle se satisfait de son statut de marginale, entourée de ses animaux, jusqu’au jour où la police vient taper à sa porte et qu’une véritable chasse aux sorcières s’enclenche…

Un futur très, très (trop) proche

Le roman de Leni Zumas brosse ainsi le portrait d’une société effroyablement semblable à la nôtre et qui semble prédire ce qui risque d’arriver dans les prochaines années. Si Donald Trump n’est jamais explicitement nommé, son ombre plane sur tout le roman, et le cadre extrêmement réaliste dans lequel s’inscrit l’histoire participe à la rendre d’autant plus crédible. Prenant au pied de la lettre le slogan cher aux féministes de la deuxième vague, « Le personnel est politique », Leni Zumas démontre l’impact ravageur qu’une décision de justice peut avoir sur la vie de plusieurs personnages.

Le message est clair, tout en restant habilement diffusé, grâce à une narration alternée qui donne la parole à chacune des protagonistes. Ce petit village de l’Oregon, au bord d’une falaise sur laquelle se brisent les flots déchaînés de l’Océan Pacifique, sert ainsi de métaphore parfaite à une Amérique, qui jusqu’aux résultats bienheureux des midterms, semblait au bord du gouffre.

Le roman de Leni Zumas offre donc un récit captivant, écrit dans une langue belle et poétique, tout en adressant avec talent de nombreuses problématiques féministes.

Contrairement à des dystopies telles The Handmaid’s Tale, de Margaret Atwood (1985) adapté en série sur la chaine Hulu, en 2017, la dimension spéculative de l’histoire reste très ancrée dans la réalité.

Si Leni Zumas parvient à traiter en premier lieu des rapports femmes-hommes, à travers la répartition inégale des tâches domestiques ou l’absence d’intérêt de certains pour le plaisir de certaines, elle aborde également le rapport à la nature, les injonctions de beauté, le double-standard entre femmes blanches et femmes noires, ou le processus d’effacement des femmes dans l’Histoire. Il fallait bien 349 pages pour parler de ces sujets avec envergure !

Dans le New York Times, Naomi Alderman déclarait :

« C’est une belle métaphore sur l’interdépendance de la vie des femmes – sur la façon dont les lois qui emprisonnent ou criminalisent l’une d’entre nous, réduisent les options pour nous toutes.

 

Cassandre

Balade sa tignasse hirsute au musée / au ciné / en librairie / en festival / en club, et souhaiterait le don d’ubiquité pour Noël.