Gabrielle Chalmont, le théâtre féministe

Avis aux amateurs.trices de théâtre ! La compagnie Les mille Printemps est de retour dans la capitale pour jouer sa formidable pièce Mon Olympe au théâtre de Belleville tout le mois de février. Ça raconte l’histoire de cinq copines, qui sans le vouloir, se retrouvent enfermées dans un parc à la tombée de la nuit. L’occasion de se retrouver et de débattre, car elles ont été invitées à se rendre sur un plateau télé pour représenter la jeunesse lors d’une discussion sur le féminisme. Mais c’est quoi être féministe aujourd’hui au juste ?

Mon Olympe, c’est un spectacle drôle, intelligent et super renseigné : allez-y avec votre copine qui n’est pas féministe mais « humaniste », votre tata qui pense que les féministes mangent des hommes au petit déjeuner ou votre grand-mère qui cherche à se rappeler comme c’était bon le MLF en 70. Ça pose les bases avec talent et avec une énergie à vous défriser les dessous de bras. Et pour mieux vous parler de la compagnie et de son travail, rencontre avec la metteuse en scène, Gabrielle Chalmont.

Photo : Iviu Torre

Coucou Gabrielle, ça va ?
Ça va, oui ! Je suis de passage sur Paris pour quelques jours, le temps de profiter de la ville, de voir mes potes et de faire passer un casting. Car depuis septembre, la compagnie est implantée en Charente-Maritime, où on a emménagé parce qu’on voudrait ouvrir un espace culturel alternatif.

C’est qui Les Mille Printemps ? J’ai entendu dire que tu bossais sur un nouveau projet ?
On est une équipe de sept meufs :  quatre à Paris, et trois en Charentes maintenant. J’ai fondé la compagnie avec Louise et Sarah en sortant de l’école Claude Mathieu en 2014 et on y a embarqué nos potes. Cette fois, elles vont être 10 en plateau, soit deux fois plus que pour Mon Olympe. J’ai promis aux meufs de leur écrire des spectacles, sauf que quand j’ai décidé de travailler avec elles, je sortais de l’école et je n’avais pas d’argent. J’ai fait ça un peu n’importe comment et avec mes copines. C’est qui mes copines ? C’est cinq babtous, jolies, ou en tout cas socialement jolies, et hétéros. Du coup, il n’y a pas une grande mixité sur mon plateau, et ça m’a dérangée dès la sortie de Mon Olympe. Sauf que je ne pouvais pas non plus les remplacer ! Donc je suis obligée de partir de ces cinq là et d’en rajouter. Seulement, pour avoir une vraie mixité au plateau, je ne vais pas demander à une renoie ou une reubeue de venir, juste pour faire la racisée de service. Je veux bien équilibrer les choses et ça me force un peu à avoir des gros plateaux.

Ça va parler de quoi ?
D’âgisme, ou de comment les femmes âgées sont discriminées : au départ, je voulais demander à des hommes plus âgés de participer aussi, mais en fait, ils n’ont pas besoin de moi pour travailler et pour être représentés. Je me suis demandée à quoi ça servait d’avoir des hommes au plateau et je me suis rendue compte que pour raconter le général, on part du principe qu’il faut des hommes. Mais pourquoi ce serait plus général avec eux, qu’avec que des femmes ? J’ai bien envie que le neutre puisse être féminin.

Oui, on se sent toujours obligées de mettre des hommes pour être sûres qu’ils ne sentent pas exclus…
Pour être neutre ! C’est dingue ! Du coup, je me suis dit qu’avec des femmes, ce serait tout aussi neutre et que les hommes n’avaient qu’à s’y retrouver. Donc, j’ai cherché cinq comédiennes : à la base, je voulais à partir de 60 ans, mais c’est impossible, du coup j’ai élargi à 55 ans, et ça va de 55 ans à +++. J’en ai rencontré quinze et j’en prends cinq. Mais c’était dur de choisir !

C’est la première fois que tu castais des personnes ?
Oui, plus ou moins, parce qu’avant, c’était mes potes. Là, j’ai dû appeler des meufs que je n’avais jamais vues de ma vie. Je ne connaissais qu’une comédienne de 55 ans et je lui ai dit « Bah passe le truc et si t’as des copines, fais passer l’info ». Et la sororité a fait que, tu en appelles une et elles font toutes : « Oh, mais il faut absolument que tu appelles elle, elle, elle et elle. » Alors qu’elles ne sont même pas sûres d’avoir le rôle elles-mêmes ! Ce qui montre bien que c’est une bonne blague, la rivalité féminine. C’était incroyable en vrai. Il n’y en a pas une qui ne m’ait pas balancé deux numéros.

Est-ce que les comédiennes que tu as castées t’ont dit si elles jouaient moins depuis quelques années ?
Oui, et c’est pour ça qu’elles sont super intéressées par le projet. Elles en ont gros sur la patate. Elles, à partir de 50 ans, c’est terminé. Il leur faut attendre 70 ans pour être LA grand-mère de la pièce.

Ah ouais, donc il y a vraiment une traversée du désert entre 50 et 70 ans. C’est chaud…
Ouais, elles sont un peu déprimées. Surtout qu’en plus de ça, avant elles étaient jeunes, et c’était d’autres problèmes. Y en a une qui m’a dit un truc super touchant la dernière fois, et je ne savais pas quoi répondre. Elle m’a dit : « Bah moi, tu vois ma tête, t’imagines bien qu’à 20 ans, personne ne voulait de moi. Donc finalement, j’ai vraiment commencé à bosser de mes 30 ans à mes 45 ans, pendant quinze ans quoi, et après, je suis devenue trop vieille. Et là, je retravaille un peu parce que j’ai 60 ans et que ça y est, comme j’ai une tronche, je ressemble déjà à une grand-mère quoi. »

Qu’est-ce qu’elles font du coup pendant cette traversée du désert ?
Elles jouent quand même un peu, mais elles donnent aussi beaucoup d’ateliers, de cours, etc. Il y en a qui ne sont même plus intermittentes et qui bossent ailleurs, qui font d’autres choses. Mais c’est marrant parce que je n’ai pas senti de désespoir. Je m’attendais à des choses parfois un peu plus tristes que ça, et pas du tout. En fait, c’est des meufs normales. Je me suis un peu reconnue et je me suis dit que ça allait être nous plus tard. Tu vois, quand tu ne perces pas toute seule, quand tu n’as pas une carrière à la Isabelle Huppert, parfois tu bosses, parfois tu ne bosses pas…

Comment t’as fait pour que ta troupe soit mixte du coup ?
J’ai galéré au début. J’ai appelé les premières comédiennes qu’on m’a conseillées, ce n’était que des babtous. Ce qui est triste, c’est qu’on doive préciser que l’on « cherche aussi » des comédiennes racisées pour qu’on nous parle d’elles.

Tu l’avais vu F(l)ammes [pièce d’Ahmed Madani, créée en 2016, qui mettait en scène de nombreuses comédiennes amatrices racisées] ?
Ouais, mais tu vois, ça reste quand même assez rare. C’est une petite galère de trouver des comédiennes qui ne soient pas blanches. Mais on ne va pas se mentir, c’est aussi une question de volonté : moi, je me suis pas mal cachée pendant des années en me disant qu’il n’y en avait pas, mais en fait, c’est juste qu’elles n’étaient pas dans mon école et qu’il fallait les chercher.

Bon, et du coup le projet c’est quoi alors ? Comment tu bosses  ? Qu’est-ce que tu vas leur conseiller de lire ?
Alors, il n’y a pas d’histoire pour l’instant. Ça va juste être dix femmes, dont cinq de 25 à 30 ans et cinq de 53 ans – mais elle en aura 55 quand ça sortira ! – à … je ne sais pas. La plus vieille franchement, je me demande si elle n’a pas 85 ans. Mais elle ne m’a pas dit. Et je ne demandais leur âge que lorsqu’elles me semblaient vraiment très jeunes, parce que le but, c’est quand même de représenter des femmes qui ont au moins traversé quelque chose de physique. Mais elles le disent toutes assez facilement, surtout vu le projet.
Je commence par une phase de débats : on se regroupe et je deviens un peu la Denisot de la réunion en animant la discussion. Je commence par des questions très larges, genre « Si vous deviez écrire vous-même la pièce, qu’est-ce que vous voudriez dire ? » et selon ce qui se dit d’une semaine à l’autre, ça évolue. Puis, on se donne des trucs à lire, à écouter. C’est la phase de documentation pour donner de la matière et que tout le monde ait des choses à balancer en impro.
J’ai essayé de faire une liste : il y a un livre qui s’appelle « L’âgisme », de Martine Lagacé qu’il faut absolument que je lise [L’Âgisme : comprendre et changer le regard social sur le vieillissement. Dirigé par Martine Lagacé. Presses de l’université, Laval, 2010.]. Il a aussi une série de nouvelles indiennes de Bulbul Sharma qui s’appelle Maintenant que j’ai cinquante ans (2013), il y a Sorcières (2018) et Beauté fatale (2012), de Mona Chollet… Après, il faut lire Despentes, pour une langue de femme complètement queer, et je trouve que ça serait bien si les comédiennes pouvaient s’en emparer.

Ce n’est pas la première fois que je t’entends parler de Despentes : c’est ton autrice préférée ?
Ouais, je la kiffe. Je n’aime pas tout ce qu’elle écrit, mais j’aime ce qu’elle fait. Même si parfois, elle m’agresse moi, ce que je suis. C’est peut-être un peu fort, mais elle me remet à ma place, en tant que femme cis, qui se retrouve très bien dans les codes de la féminité. J’ai l’impression de rentrer dans une petite case, qui ne me convient pas forcément, mais disons que je ne suis pas inconfortable dedans. Alors parfois, je me sens un peu jugée par elle.

Photo : Iviu Torre

Et pourtant, dans Mon Olympe, j’avais l’impression que vous remettiez aussi en question cette idée de la féminité normative…
Mais grave ! Ce que je veux dire, c’est qu’intérieurement, je ne me retrouve pas du tout dans les codes de féminité, mais socialement, on me voit comme une jeune femme, je suppose « mignonne », je n’ai pas vraiment de problème, je ressemble à ce qu’on attend de moi. Je ne vais jamais galérer à avoir un appart par exemple.

Justement, le fait d’avoir une troupe plus mixte racialement cette fois, ça va peut-être permettre de poser ces questions-là, non ?
J’espère. Après, je n’ai pas envie de leur faire dire des choses qu’elles n’ont pas envie de dire ou de prendre les positions qu’elles n’ont pas envie de prendre. Donc j’espère, mais ce n’est pas trop à moi de me positionner comme ça.

On est d’accord qu’il n’y a pas de mecs dans le nouveau spectacle ? Parce qu’il y en avait dans ton deuxième, Yourte, que tu as créé en 2018.
Non, il n’y en a pas. Les mecs, c’est terminé. Même dans l’équipe technique, c’est que des meufs. Sauf le petit frère d’une comédienne, qui fait la musique, mais c’est tout.

Ça a vraiment changé quelque chose à la dynamique de groupe d’avoir des mecs dans la troupe ?
Oui, c’était incroyable. Ils sont supers en plus. C’est mes amis, je les aime, mais franchement, ça n’a rien à voir. Déjà il y a une intimité, une confiance, qui se perdent dans les témoignages. Mais même, le rapport qui s’établit est complètement différent. Tu vois, j’ai quand même rencontré quinze femmes à partir de 55 ans à des cafés, avant de les retrouver au plateau. Et au café, ça part direct dans des trucs super intimes, super intéressants, on ne s’arrête pas de parler pendant trois heures, on a oublié pourquoi on était là. C’est un truc de fou. Les mecs, quand je leur ai proposé le précédent projet, ça s’est fait en quinze minutes : « Tu veux le faire ? – Grave. C’est comment ? On fait quoi ? » Je trouve qu’ils s’investissent beaucoup moins émotionnellement dans les choses, ce n’est pas grave, mais c’est moins intéressant.

D’ailleurs, je me demandais, tu as eu des retours négatifs sur Mon Olympe ?
Non, très peu. Les seules remarques négatives, ça a été par des grosses, grosses féministes, très très queer, ultra vénères, qui m’ont dit que ce n’était pas assez. Et en fait, elles ont raison, mais c’est le propos du spectacle. Je ne le prends pas mal, c’est de la sensibilisation. C’est justement pour reprendre les bases. Je suis très contente qu’il existe d’autres spectacles pour approfondir mais clairement, moi je suis partie de l’idée de tout réexpliquer depuis le début.

J’ai vu que vous aviez pas mal de critiques positives pour Mon Olympe, de Causette, de Cheek Magazine…
Oui, Causette nous suit depuis le début. On a sorti Mon Olympe en 2016, à l’époque où on était encore dans un centre d’animation, avec des chaises en plastiques, et tout. J’ai appelé Causette, genre je m’en fous, je les veux en preums. Sarah Gandillot est venue à la deuxième représentation. A l’époque, c’était « juste » une rédactrice, maintenant c’est devenu la rédactrice en chef, c’était une bonne pioche. Et elles nous ont suivi direct.

Et maintenant, le théâtre de Belleville !
Oui, c’est miraculeux ! On remplace une programmation qui a été annulée… Bref ! Le théâtre n’est pas prêt pour ce qui va lui tomber dessus !

Infos et réservations
Théâtre de Belleville du 6 au 29 février 2020 Mon Olympe
Billeterie

Cassandre

Cassandre - Balade sa tignasse hirsute au musée / au ciné / en librairie / en festival / en club, et souhaiterait le don d’ubiquité pour Noël.