Son nom ne vous dit probablement rien, pourtant Barbara Hammer est une pionnière du cinéma queer à la renommée internationale. Après quarante ans de carrière et près de quatre-vingt films à son actif, elle a été exposée au MoMa de New York, à la Tate et au Jeu de Paume. Portrait d’une cinéaste expérimentale qui a marqué sa génération.
Née en 1939 à Hollywood, rien ne prédestinait Barbara à l’art vidéo. Après des études de psychologie, elle obtient une maîtrise de littérature anglaise et une maîtrise de cinéma. Elle se marie et devient enseignante au lycée de Santa Rosa. Dans une interview réalisée par le Jeu de Paume en 2012, l’artiste raconte : « J’étais une femme au foyer, mariée, et puis je me suis dis qu’il y avait plus de choses à vivre, que je pouvais faire mieux que de servir du café. Alors j’ai commencé à lire des biographies d’artistes comme Van Gogh et Gauguin, et j’ai trouvé qu’ils avaient eu des vies très excitantes. Donc j’ai divorcé, j’ai fait mon coming-out et j’ai découvert un nouveau monde. »
La découverte de sa sexualité correspond au moment où Barbara se consacre pleinement à l’art vidéo. Elle dit être partie sur sa moto, armée de sa caméra Super-8. Elle commence à réaliser des courts-métrages expérimentaux dans les années 1970, qui sentent bon ces folles années hippies : la nudité, la jouissance féminine, la nature sont omniprésents. Les plus connus : X, Dyketacticts (ça ne s’invente pas), Superdyke et Women I Love (1976), dans lesquels Barbara se met en scène, seule, avec sa partenaire et/ou des amies. Ainsi commence son travail d’archivage de la mémoire et de l’histoire cachée lesbienne. Barbara souhaite déconstruire un cinéma qui limite souvent la femme au statut d’objet. « Mon travail donne de la visibilité à ces corps et ces histoires. En tant qu’artiste lesbienne, je n’ai pas trouvé beaucoup de représentations de la culture queer dans l’art vidéo. Alors j’ai mis des lesbiennes sur un écran, laissant un héritage culturel aux futures générations. »
Barbara Hammer et Poe Asher en train de faire l’amour dans Dyketactics.
Barbara explore la sexualité féminine et surtout lesbienne, tant et si bien qu’on a dit que c’est la première lesbienne à filmer des lesbiennes. Elle exerce une petite révolution esthétique. Barbara veut briser les tabous : « Dans les seventies, mon travail s’est concentré sur le corps et les lesbiennes. Lesbienne parce que je le suis, et le corps parce qu’il y a tellement d’aspects de la construction féminine qui n’ont pas été traité… » Exemple : les menstruations. Barbara réalise Menses (1974) pour contrer les mentalités de Amérique puritaine comme pour dire : « Non, il n’y a rien de sale la dedans, ni de quoi avoir honte. » Dans les années 80, l’artiste utilise l’impression optique et ses films, plus formels, explorent la perception, la fragilité de la lumière, de la vie et du film lui-même. Comme dans No No Nooky T.V. :
No No Nooky T.V. and Other Humorous Films by barbarahammer.com from barbara hammer on Vimeo.
Puis, dans les années 90, elle consacre une trilogie au lesbianisme et à l’histoire du Mouvement de libération gay : Nitrate Kisses (dans lequel elle brise le tabou de l’âge en filmant deux vieilles dames en train de faire l’amour), Tender Fictions et History Lessons. Cette période explore les aspects cachés de l’histoire queer. Elle questionne le spectateur sur qui fait l’histoire, et quels sont ceux qui sont mis de côtés, oscillant entre fiction et réalité. Plus tard, dans Love Other (2005), Barbara s’intéresse à l’histoire de Claude Cahun et Marcel Moore, respectivement Lucy Schwob et Suzanne Malherbe. Ces demi-sœurs forment un couple d’artistes surréalistes, résistantes pendant la Seconde guerre mondiale sur l’île de Jersey, capturées et condamnées à mort.
Extrait de Love Other (2005).
Souvent en noir et blanc, qu’ils soient documentaires, historiques ou autobiographiques, ces films marginaux ne passent pas inaperçus et Barbara reçoit de nombreux prix. Dans le livre du MoMa, « Modern Women : Women Artists at The Museum of Modern Art », on peut lire « C’est un acte politique de travailler et de parler en tant qu’artiste lesbienne dans le monde de l’art, et de parler en tant qu’artiste avant-garde à un public gay et lesbien. »
Extrait de Nitrate Kisses (1992).
Son but ? L’égalité des représentations, pour que l’hétérosexualité ne soit plus l’unique norme. Il serait difficile de faire ici une rétrospective de toutes les œuvres de Barbara Hammer, entre un hommage à Maya Deren, le magnifique A Horse Is Not A Metaphor sur son combat contre le cancer, la relation entre art et politique à travers Henri Matisse et Pierre Bonnard, un hommage à la vie d’Elizabeth Bishop (Welcome to this house, 2013)… Le mieux est de consulter son site, qui répertorie grand nombre de ses vidéos, ou de lire son autobiographie sortie en 2010 Hammer! Making Movies Out of Sex and Life.