Dans les couloirs du métro à Paris, impossible de rater en ce début d’année la double affiche de l’exposition de la Maison Européenne de la Photographie dédiée à Zanehe Muholi qui dure jusqu’au 21 mai 2023.
A gauche, en gros plan, un portrait saisissant réalisé en noir et blanc, où l’artiste, savamment coiffée de ce qui semble être des éponges en boule d’inox étincelantes, nous fixe d’un regard franc. A ses côtés, toute autre ambiance, la pose fière d’une de ses modèles couronnées, Miss Gay RSA 2019-2020, drapée dans son écharpe. Les deux photographies sont puissantes, intenses, intemporelles, et beaucoup d’autres adjectifs positifs qui commencent par “in” que je pourrais utiliser ici mais ça ferait un article trop long. Subjuguantes. Comme de nombreuses personnes, j’ai pris cela pour une invitation à découvrir l’univers d’un.e artiste qui m’a profondément marqué.e. D’autres, beaucoup plus cons, auront décidé de vandaliser ces affiches prenantes à la place. Quel dommage. Ils auront raté l’exposition la plus forte de ce début d’année.
Tout d’abord, une petite mise au point nécessaire ; Zanehe Muholi est un.e artiste non-binaire et souhaite qu’on utilise les pronoms neutres, c’est pour cela que j’écrirai ici en inclusif pour parler d’iel. Si j’ai merdé sur une occurence, n’hésitez pas à me le dire en MP !
Un.e activiste visuel.le
Petit.e dernièr.e d’ue famille de huit enfants, Zanehe Muholi est né.e en 1972 à Umlazi, en Afrique du Sud, en plein apartheid. A cette période, sa mère travaillait pour une famille blanche. Son père étant mort quand iel était jeune, c’est donc sa famille éloignée qui l’a élevé.e. Après des études portant sur la photographie, le graphisme et le documentaire, iel commence à travailler au début des années 2000. Reconnu.e depuis internationalement, son travail voyage énormément, de Brooklyn à Paris, où iel pose ses valises jusqu’au printemps.
Zanehe Muholi se considère comme un.e activiste visuelle et travaille à la fois la photographie, les installations et la vidéo. Pendant le confinement, iel s’est aussi mis.e à la peinture, et on découvre d’ailleurs pendant l’exposition quelques unes de ses toiles. Avec son travail, iel cherche à mettre en lumière les membres de la communauté LGBTQIA+ de son pays, le premier au monde à condamner les discriminations portant sur son orientation sexuelle dans sa constitution mais où existe aussi le “viol correctif”, un crime de haine où des membres de la communauté LGBTQIA+ sont victimes de viols censés “corriger” leur orientation sexuelle. Une des séries de Zanehe Muholi leur est d’ailleurs dédiée, en cachant leurs visages pour qu’ils et elles ne subissent pas de représailles.
Rendre visible, et questionner
Iel immortalise de nombreuses personnes, notamment les lesbiennes, avec des portraits en noir et blanc puissants, mais aussi réalisent des autoportraits où elle explore et questionne les canons de beauté, mis en place par les personnes blanches pour les personnes blanches. Avec une utilisation forte du noir et blanc, tout en contraste, quitte à se peindre le visage en noir et ourler ses yeux de blancs, aidé.e une mise en lumière particulière, iel célèbre ces personnes avec son objectif et leur donne toute la visibilité qu’il.elle.s méritent.
Au détour des couloirs de cette retrospective importante et touchante, on voit aussi tout ce que fait aussi Zanehe Muholi à côté, notamment avec son organisation installée en Afrique du Sud qui aide notamment les femmes lesbiennes noires ou encore le média qu’elle a imaginé. Une lutte de tous les instants pour cet.te artiste qu’on a souvent essayé de faire taire : son travail lui a déjà été une fois volé et l’un.e de ses collaborateur.rices a été poussée dans les escaliers.
Un travail prenant, politique, fort, et toujours en cours, qu’il faut absolument voir, et duquel je suis ressortie un peu sonnée, et bouleversée. La rétrospective est en plus très bien accompagnée par la maison européenne de la photographie, qui met en place plein de ressources pour mieux comprendre l’impact des œuvres de Zanehe Muholi dans l’histoire et la société de son pays. Une exposition incontournable.