Pénétrer l’œuvre de Virginia Woolf, c’est tenter de saisir toute la complexité de l’angoisse humaine. C’est accepter qu’elle oscille entre folie et génie. Bien que dans le cas de Woolf, les deux pendants semblent faire corps et donner à ses livres une atmosphère à la fois mystique et poétique. Virginia est un personnage réservé, quasiment effacé alors qu’elle tutoie les sommets des lettres anglaises. En 2002, Nicole Kidman, méconnaissable, campe majestueusement une Woolf tourmentée dans The Hours de Stephen Daldry. Le réalisateur y donne à lire une torture psychologique qui finira par pousser l’auteur de Mrs Dalloway au suicide en 1941.
Vita Sackville-West est à l’opposé de Woolf. Les contraires s’attirent, n’est-ce pas. Essayiste, traductrice, jardinière, romancière et poétesse, elle est surtout un nom connu de l’aristocratie anglaise. Bien que mariée, elle assume pourtant son homosexualité dans l’Angleterre du début du 20ème. Vita jouit complètement de son rang, adule les mondanités, côtoie écrivains et intellectuels. Sackville-West connait déjà une notoriété bien assise en tant qu’auteure, quand elle rencontre Virginia Woolf lors d’un dîner en 1922. Virginia, à la tête de la Hogarth Press avec son mari Leonard lui propose alors de publier son prochain livre.
C’est le début d’une correspondance qui durera 18 ans, jusqu’à la mort de Woolf. Correspondance 1923-1941 – Vita Sackville- West/Virginia Woolf est le titre du livre paru chez Stock en 2010 et qui retrace en quelques 576 pages la liaison épistolaire qu’ont entretenue les deux femmes. Dans une société qui ne badine pas avec la bienséance, leur liberté de mœurs n’est pas toujours admise. A ce sujet, Woolf écrira à son « amie » le 17 février 1926 : « … J’ai eu des tas d’ennuis avec des parents à moi, des gens âgés. Trois vieux messieurs, aux alentours de la soixantaine, ont découvert que Vanessa (sa sœur) vit dans le péché avec Duncan Grant et que je suis l’auteure de Mrs Dalloway – ce qui équivaut à vivre dans le péché. »
Heureusement, dans un cas comme dans l’autre, les deux femmes ont pu se consoler d’avoir deux époux assez « compréhensifs ». Le mari de Sackville West étant lui-même bisexuel, ça aide. A son sujet, elle dira d’ailleurs : « Naturellement, il n’est pas jaloux ».Pourtant, au vu de la nature des échanges de Vita et de Virginia, il y a matière à l’être. Entre autres invitations aguicheuses, on peut ainsi lire :«Si je te voyais me donnerais-tu un baiser ? Si j’étais au lit, est-ce que tu me *** ». En décembre 1925, la relation devient explicitement charnelle. Les lettres sont alors jalonnées de « ma chérie », « très chère créature ». Etc.
Pour autant, l’échange reste majoritairement axé autour de réflexions sur l’écriture et la littérature. West est fascinée par le génie littéraire de Woolf : « Je compare mon écriture d’analphabète à la vôtre, si savante, et je rougis de honte ». « … C’est là le genre de chose que j’aimerais écrire moi-même ». Par la suite, Virginia dressera le portrait de Vita, sous les traits d’Orlando, une biographie fantasmée dans laquelle le héros, double reconnaissable de Vita, traverse les siècles et change de sexe. A propos de ce livre, Nigel Nicolson, le fils de Vita dira que c’est « la plus longue et la plus charmante lettre d’amour de la littérature ».
Rania
Illustration de couverture : Carol Anshaw