Dans une société pleine d’images qui appellent la peau et arrachent les sens, il est difficile de ne pas évoquer dans une journée la sexualité, de quelque manière qu’elle soit. Que ce soit imagé ou direct, les allusions sont présentes partout, tout le temps.
Puis l’été, la chaleur, nos peaux nues, le frottement des cuisses, les jambes nues des autres filles, la transpiration…toutes les conditions étaient réunies pour ne pas tenir un pari stupide pris il y a quelque temps : le pari de ne pas parler de sexe pendant près d’une semaine.
Lundi soir, j’annonce à ma coloc que « Ca y’est, c’est décidé, demain je commence le pari ». Elle me rit au nez. Moi, je me sens puissante d’une telle décision, je sais, je sens que je peux y arriver, que je vais me dépasser.
Je dors, pas de rêve érotique, bon signe ? Pas sûr.
MARDI
Je passe ainsi ma journée à annoncer mon objectif de la semaine à chaque fois qu’une personne évoque la sexualité. Je me dis que ce sera facile, ma nièce de 9 ans est à Paris, je compte passer du temps avec elle, je sais qu’elle n’est pas une interlocutrice qui sera capable de faire des allusions sexuelles à chaque mot et entre chaque virgule.
Mais mon annonce passe au milieu de toutes mes autres annonces du moment et on ne me prend pas au sérieux : « Sarah, je vais te faire foirer ton pari rapidement. ».
Je souris. Non. J’y arriverai
Mais ça commence mal : c’est aujourd’hui qu’une nana canon décidé d’arriver à mon boulot. Je cherche à l’aborder par tous les moyens, j’échoue. Non pas parce que je n’ai ni le droit de parler de cul (mais encore moins de pratiquer) mais surtout parce que je suis un peu une looseuse en matière de drague. Je pense à cette fille toute la journée et évidemment mes pensées ne sont pas chastes : échec n°1.
Je n’ai même pas commencé que c’est déjà plus difficile que ce que je pensais : au cours d’une conversation, j’écris « hormones » à la place d’ « homophobes », je répète plusieurs fois « Stop je ne peux pas parler de cul » ; je suis déjà tellement sur les nerfs avant midi que ma sœur m’envoie par texto un « Keep calm and eat pussy ». Tout le monde semble ainsi bien décidé à me faire foirer le pari que je foire finalement toute seule. Je copie colle le « Keep calm and eat pussy » à des amies : échec n°2, le premier jour, il n’est pas même douze heures.
En conversation à trois, mes amies les plus proches parlent par métaphores. Mais je n’en peux plus déjà, j’ai envie de répondre, de réagir. Je trouve des procédés plus ou moins passables pour parler de sexe. Je ne parle pas de « faire l’amour » mais de « mélange des parties génitales ». Je donne ainsi un aspect médical au cul pour en parler, mais ça reste du cul : échec n°3, toujours le premier jour.
MERCREDI
J’emmène ma nièce voir Le roi et l’oiseau. Aucune chance d’échouer cette fois-ci, je suis persévérante. Tu parles. Le roi et l’oiseau, sous-titré « La bergère et le ramoneur »…ouai…O-kay. Ra-mo-ner. : échec n°4. Enfin, j’en suis plus à ça près…
Autour de moi, tout le monde a envie de baiser. On comble ainsi par la parole le manque d’actes. Une amie écrit en majuscule « BAISER » trois fois à la suite, mes yeux sortent de leur orbite. Je ne réponds plus que par des « Pffff pffff pffff » et des « Stop » à chaque phrase. Je devrais couper la messagerie facebook et me concentrer sur mon travail, mais il fait chaud, la nana canon est revenue, j’échoue à nouveau dans la drague. Je suis frustrée, surtout parce que je ne peux pas parler de cette frustration.
Mes amies intensifient leur conversation sur le sexe, elles font exprès je le sais et je ne sais plus finalement si j’échoue à chaque fois de plein grès. Je me dis finalement que ça peut être drôle de parler de mon échec dans un article plutôt que de ma réussite. De toute façon, le but n’était pas de le réussir ce pari et je me suis déjà plantée plusieurs fois.
JEUDI
La chaleur est à son comble et la transpiration fait dire à mes amies des choses qu’elles ne disent pas d’habitude. Les langues se délient. Elles parlent de frottement des corps et de faire l’amour pendant 24 heures.
Je fonds à mon tour parce qu’il fait chaud. J’écris un récit érotique court et leur envoie : échec n° je-ne-compte-plus. J’ai vraiment perdu. Ma coloc me dit que si j’annonce dans mon article que j’ai réussi mon pari, elle serait là pour faire éclater la vérité au grand jour. Mais de toute façon, je ne vous aurais jamais menti.
Fin de journée à la Mutinerie, il fait très très chaud. Après quelques verres de rosé, je répète que « La vie est dure ». La vie est très dure quand on ne peut pas parler de cul, mais qu’on le fait quand même.
VENDREDI
La fin de mon pari approche, parce que je ne comptais pas faire durer ce pari toute une vraie semaine et surtout parce que je dois écrire l’article pour dimanche.
Vendredi soir, des amies viennent dîner à la maison. La vie est toujours dure. Même le repas que je prépare me fait penser au sexe parce qu’ « on baise comme on mange » mais aussi « on baise comme on cuisine ». On me fait remarquer que j’en fous partout quand je cuisine, mais que finalement, je cuisine bien. Je prends ça pour une métaphore sexuelle et le fais savoir. Quelques verres de vin blanc, mes amies parlent de leur vie sexuelle, je pose des questions, raconte ma semaine durant laquelle je n’aurais finalement fait que ça : parler de cul. Parce qu’évidemment, le but n’était pas de réussir. Cette non-expérience m’aura permise de développer un vrai TOC avec la sexualité, ou de me rendre compte que j’en avais un.
Finalement, je me suis dit que je ne parlais pas beaucoup de sexe, non, j’en parle tout le temps. C’est transversal à toutes mes conversations.
Bref, c’était bien b(i)aisé d’avance.
Sarah
Nota bene : l’autocensure, c’est pire.