Vendredi soir, je dansais à l’acte 3 lorsqu’une fille nous a posé cette question étrange qu’on ne m’avait pas posée depuis cinq ans : «Vous êtes lesbiennes ?». A l’époque, j’aurais répondu le plus naturellement possible « Oui ». Aujourd’hui, avec l’expérience et le recul, cette question me choque.
Ma réponse fut peut-être dure : « C’est quoi cette question ? En quoi ça te regarde ? C’est parce qu’on a les cheveux longs ? ». Je n’ai pas eu les réponses à mes questions, mais cette remarque a renforcé mon envie de vous parler d’un concept connu dans le milieu lesbien : la Gold Star.
Pour celles qui ne connaissent pas l’expression, la lesbienne Gold Star est une lesbienne qui n’a jamais couché avec un homme. La lesbienne Gold Star a souvent été synonyme de « pure » lesbienne dans la bouche de certain-e-s…
Apparemment, il faudrait ne jamais avoir couché avec un homme pour s’auto-définir lesbienne. Avant ça, il faudrait arriver à définir ce que veut dire coucher et ce que signifie être un homme. Chose qui n’est pas forcément évidente quand on [ vous ] pose la question.
Quand je suis arrivée dans le milieu lesbien, j’entendais des filles dire – sur le ton de l’humour- qu’il fallait absolument décrocher l’étoile d’or, cf : une lesbienne qui n’avait jamais couché avec un homme. Je trouvais cette idée absurde mais je dois avouer que cette sacralisation de la lesbienne qui n’avait couché qu’avec des femmes avait quelque chose de rassurant pour la jeune femme que j’étais à l’époque. J’avais peur que la fille avec qui j’étais parte avec un homme. Aujourd’hui, je trouve cela stupide. Pourquoi serait-il plus grave d’être trompée avec un homme plutôt qu’avec une femme ? Est-ce que la présence d’une bite aggrave l’acte ?
N’est-ce pas une vision totalement binaire du genre et de la sexualité ? Comme le dit si bien la bloggueuse de Gender Offender : si j’ai une relation sexuelle avec une personne trans, comment dois-je alors me définir ? Si je couche avec une trans M to F, cela fait-il de moi une lesbienne non Gold Star ? Ou alors, faut-il coucher avec un homme cis genre* pour ne plus être une lesbienne Gold Star ? Est-on bie si on couche avec un trans F to M ? Est-on lesbienne ? Est-on Queer ?
J’aime penser que chacun-e se définit comme il/ elle l’entend : qu’on se définisse comme lesbienne, hétéro, bie, ou pansexuelle, cela ne devrait pas importer dans nos relations aux autres et surtout dans nos jugements. Ce qui devait sans doute me rendre méfiante au début de ma vie amoureuse lesbienne à l’égard des filles bies, c’était l’idée d’être abandonnée, trahie. Mais cela est arrivé quand bien même les filles se définissaient lesbiennes. C’est parce qu’il y régnait une atmosphère de méfiance vis à vis des filles bies ou pansexuelles dans le milieu lesbien que cela m’avait rendue moi-même méfiante sans le savoir. Les lesbiennes ne sont pas exemptes de préjugés et de clichés.
Aujourd’hui, même s’il est plus facile de s’assumer lesbienne socialement, ça n’a pas toujours été facile. Il a fallu du temps pour que les lesbiennes s’affirment dans l’espace social, tandis que l’espace médiatique est encore à gagner en termes de qualité et de quantité. Notre espace est constamment menacé. La peur d’une orientation sexuelle qui ne soit pas exclusivement lesbienne a peut-être prit racine dans cette menace constante.
Ce qui est intéressant, c’est que ces préjugés sur les lesbiennes qui ont couché / couchent avec des hommes/ ont des relations sexuelles ou amoureuses avec des hommes rejoignent aussi la stigmatisation des lesbiennes Gold Star.
Le concept de la lesbienne Gold Star me fait penser au mythe de la virginité. Si être vierge signifie ne jamais avoir eu de relations coïtales (pénis/vagin), être une lesbienne Gold Star implique la même chose.
Il m’est arrivé que l’on me pose cette question à laquelle je n’ai jamais eu envie de répondre. L’idée que c’est la pénétration sexuelle d’un vagin par un pénis qui définit le rapport comme sexuel reste ancré dans mon inconscient, il est très difficile de se détacher de ça malgré toutes les lectures et déconstructions possibles. C’est très puissant et très vicieux.
Toujours est-il que je répondais « non » à cette question : « Non, je ne suis pas une Gold Star, j’ai été avec des hommes » comme si la bite était l’instrument de mesure universelle de la catégorisation des femmes. : vierge, pas vierge, lesbienne Gold Star, bie…etc. Qu’est-ce qui a pu faire de la bite un instrument de mesure ou de valeur ? Pourquoi même dans le milieu lesbien définissons-nous les lesbiennes en fonction des rapports qu’elles ont eu ou non avec les hommes ?
Il y aurait donc deux types de lesbiennes : les « pures » et les « autres ». Ce concept de la lesbienne Gold Star est non seulement très phallocentré et hétérocentré mais aussi totalement binaire. Il n’inclut pas les personnes trans, ni celles qui ne souhaitent pas définir leur genre, les gender fluid ou même les personnes pansexuelles.
Le milieu lesbien reproduit, peut-être malgré lui, des clichés issus de la société hétéropartiarcale. C’est parce que ces clichés là sont tellement ancrés en nous qu’il est difficile de s’en débarrasser. Mais il serait quand même bien -une bonne fois pour toutes – si nous souhaitons que le milieu lesbien soit safe pour toutes, d’arrêter de stigmatiser celles qui ont « osé » coucher avec des hommes.
Sarah