Voilà presque un an, Lydia Lunch faisait s’ouvrir la terre de La Java de quelques grondements sombres et chaotiques. Elle revient mercredi 17 septembre pour faire part au monde de ses quelques mots, lors du K-Barré Apoca-Lipstick, un spectacle de cabaret d’un nouveau genre imaginé par la chorégraphe Barbara Mavro Thalassitis. Le cabaret, pour Lydia Lunch, c’est un « format unique », « une grande première » ou en bref, un véritable « challenge ».
Mais qu’est ce qui fait peur, en vrai, à la princesse amère de Teenage Jesus and The Jerks, à la reine de la no-wave et des sous-sols new-yorkais des années 70 ? Rien. Lydia Lunch, la chanteuse. Lydia Lunch l’écrivain. Lydia Lunch la poétesse. Lydia Lunch l’actrice. Lydia Lunch la militante pro-sexe. Lydia Lunch l’humaniste. Autant de raisons de prononcer son prénom, puis son nom, avec le plus grand des respects. Parce que Lydia Lunch, c’est avant tout un être humain à la sincérité grosse comme sa réputation de punk et d’audacieux trouble-fête. Alors, la sachant tout juste arrivée à Paris, comment s’empêcher de lui téléphoner ? Louanges, flatteries, exaltations diverses, compliments et applaudissements mondains, Lydia Lunch n’en a que faire. On savait, avant de l’appeler que la bête allait rugir, et crier à l’assassin, toujours avec cette drôle de tendresse ambivalente qu’on lui connaît. On savait, avant de l’appeler, que Lydia avait le don de malmener nos idéaux, toute d’hurlements à l’Apocalypse vêtue, d’imprécations aussi catégoriques qu’équivoques, dressée, on savait que Lydia allait nous faire frémir, nous parler de Kafka et du Marquis de Sade, nous faire sourire aussi par sa finesse et le regard peu clément qu’elle porte sur le monde. On savait bien que Lydia allait réveiller en nous le soldat rebelle aux convictions étouffées par les Internets et nos multiples tendances à la complaisance. Ce que l’on ne savait pas, c’est qu’en raccrochant, rien n’allait pouvoir combler le vide qu’elle laissait alors. Âmes sensibles s’abstenir. Interview.
Partout, on te présente comme une icône féministe, ce qui n’a pas vraiment l’air de t’inspirer…
En fait je n’en ai rien à foutre de ce que les gens peuvent écrire sur moi. Je me vois plus comme un humaniste que comme une féministe. Tu sais, les hommes souffrent aussi du patriarcat, du système conspirationniste et de la domination vénale de l’économie de marché. Nous avons besoin d’être libérés. Beaucoup d’hommes souffrent également du système. Dire qu’on est féministe, ça ne veut pas dire grand chose, c’est comme dire « moutarde » ou « hamburger », ça ne fait pas sens. C’est pour la condition de tous les êtres humains, en général, qu’il faut se battre, contre la cabale des multinationales qui préfèrerait les voir tous morts pour pouvoir leur prendre leurs biens. C’est contre eux qu’il faut se soulever.
Et c’est quoi être humaniste pour toi ?
Tu sais, j’ai passé ma vie sur scène. Je crois que la chose la plus importante sur terre aujourd’hui, contre cette société génocidaire, meurtrière, dominée en grande partie par ces terroristes qui dirigent les États-Unis et détruisent cette planète, c’est, au lieu de s’horrifier et de rester dans l’agonie, pour nous en particulier, les femmes, de se réunir, de former des collectifs et de créer autant que possible. Laisser toujours plus de place à la création artistique, et prendre autant de plaisir que possible dans la création, c’est la seule rébellion possible contre le chemin qu’emprunte notre monde. On ne peut pas sauver le monde, mais on peut se sauver soi-même, et envoyer valser la misère qu’on essaie de nous faire avaler. L’art, la création, c’est ça qui parle aux gens.
Mais d’après toi, pourquoi tant de gens ne se rebellent pas ?
Je préfère penser aux gens qui font des choses, il y en a beaucoup qui réagissent, c’est juste qu’on ne les entend pas assez. Il y a de super magazines et journaux en ligne qui osent dire les choses. Les gens protestent, regarde Occupy, aux États-Unis, qui a été étouffé par le gouvernement… Les gens sont menacés quand ils protestent. Les États-Unis sont un pays de fascistes de toute façon. Mais plein de gens continuent de se rebeller. Regarde, en Espagne les gens se font entendre. En France aussi. Nous même on essaie de faire quelque chose. Mais tu sais, il fut un temps où protester dans la rue voulait encore dire quelque chose, aujourd’hui ça n’a plus aucun poids. Il faudrait aller manifester directement au domicile des membres de cette société secrète conspirationniste qui dirige la planète. Même le mot « grève » ne veut plus rien dire. Grève, tu parles… J’aimerais pouvoir frapper les politiciens en pleine face, pour avoir laissé le monde se détériorer de la sorte ; les politiciens sont des marionnettes, des pantins, actionnés par les banques. Je ne prétends pas avoir la solution à quoi que ce soit tu sais. Je montre juste du doigt d’où vient le gros du problème. Je crois en la synergie, en la libération, et au plaisir que les gens peuvent ressentir dans la création. Ces gens m’octroient le droit d’être une sorte de messager, une boîte remplie de leurs voix… et de leur cris.
Crédit photo : Bernhard Schaub
Mais se faire entendre, aujourd’hui, c’est presque impossible, comme tu le dis plus haut…
Je sais oui. Le problème majeur, c’est l’avancée des technologies. Grâce à Internet les gens pensent qu’ils sont connectés, même s’ils sont loin les uns des autres, Internet fait que les gens n’ont plus le réflexe de se voir en face pour discuter vraiment. Autrefois, on avait pas le choix, il fallait qu’on se réunisse et qu’on se parle face à face pour lancer des actions, aujourd’hui ce n’est plus le cas. Un univers alternatif doit être créé, une lumière dans la nuit, afin que les gens qui pensent de la même manière sachent où leurs dollars passent, il faut qu’on arrête de consommer toute cette merde, qu’on arrête d’acheter tous ces trucs électroniques et qu’on se parle les uns aux autres, en petits groupes ; on ne peut pas changer la planète, mais on peut changer le rôle qu’on y tient.
Tu penses qu’un jour, ce que tu dis, ça arrivera ?
Je le vois déjà partout où je vais, j’ai beaucoup voyagé, et dans tous les pays que j’ai vus, des collectifs se forment, les gens créent, les gens prennent leur pied, c’est ça se rebeller aujourd’hui, que veux-tu de plus ? Si tu penses pouvoir éradiquer toute cette merde qu’on a dans les rues, c’est que tu as plus d’espoir que moi. Pour citer Kafka, l’espoir existe mais pas pour nous. C’est un beau sarcasme car s’il n’y a plus d’espoir pour nous qui nous rebellons encore, je ne suis pas sûre qu’il y en ait pour qui que ce soit.
C’est quoi qui te met le plus en colère aujourd’hui ?
Les États-Unis, avant toute autre chose. Je n’en peux plus que l’on nous accuse d’être de ce que nous sommes. Nous sommes un pays de pauvres, il y a plus de pauvres aux États-Unis que d’habitants en France, en Espagne et en Italie réunis. Il y a plus de 200 millions de pauvres aux États-Unis. On est une nation pauvre, pleine de préjugés et stupide, qui se permet d’aller terroriser des peuples et de leur reprocher nos propres crimes. Ça, ça n’a pas changé. Et c’est de ça dont il faut parler.
Et tu as l’impression que les choses vont mieux en Europe ?
Je ne sais pas, ça fait 8 ans maintenant que je vis à Barcelone et on ne peux pas résumer l’Espagne à l’Europe, par exemple. Tous les pays européens sont différents mais je pense que oui, les gens, les choses vont mieux ici qu’aux États-Unis.
Tu as travaillé avec quelques artistes français telles que Virginie Despentes ou encore Barbara Mavro Thalassitis pour K-Barré Apoca-Lipstick, d’après toi pourquoi la France t’aime tellement ?
Je n’en ai pas la moindre idée chérie (rires), toi, dis moi pourquoi ! Parce que les français lisent encore des livres je crois ?! Parce que l’idée de protestation fait encore sens pour eux. Parce qu’ils me comprennent. Tu sais ça fait 36 ans que je fais ça et je n’ai pas l’intention de m’arrêter, que l’on me comprenne ou pas, qu’importe qui est là, qui en parle, qu’importe qui vient me voir performer, qu’importe qui ça touche ; je pourrais être seule en haut d’une montagne, un mégaphone à la main, un fusil de chasse dans l’autre et un chien de garde à mes côté, je continuerais de faire exactement ce que je fais aujourd’hui.
Tu n’as donc.. peur de rien.
Non, je n’ai peur de rien. Je ne sais pas ce qu’est la peur. Mais tu sais, je ne sais pas non plus ce que sont la jalousie, la vénalité, l’envie, je ne ressens pas d’émotions humaines normales, elles me feraient perdre mon temps. On doit absolument se déprogrammer de ces émotions malsaines, cancérigènes, qui ne sont basées que sur la peur. L’envie, la jalousie, la cupidité, tout ça, ça vient du sentiment de peur. Se débattre ne sert à rien, on va tous mourir de toute manière, il faut évoluer.
Et toutes ces idées tu les transmets à travers tes mots donc ? Ça fait longtemps que tu écris ?
La première chanson que j’ai écrite s’appelle Popularity is so boring, c’était juste après avoir découvert Hubert Selby, Henry Miller ou encore le Marquis de Sade, j’avais 12 ans. J’ai tout de suite su que c’était ce que j’allais faire de ma vie, j’ai tout de suite su que j’allais devoir combler le vide que ces livres avaient laissé chez moi, avec mes mots. Ma vie c’est ça. La littérature est la chose qui m’inspire le plus sur terre, plus que la musique ; la musique est juste un outil qui me permet de déclamer mes mots, la musique est quelque chose de plus abordable, c’est un langage universel. Je me considère comme une sorte de journaliste et d’historienne de mon propre temps, quelle que soit la forme que ça prend, même une photo, c’est un témoignage.
Et comment tu en es venue à travailler avec Barbara ?
C’est elle qui m’a espionnée et m’a demandé de travailler avec elle (rires), non mais c’est génial ! Elle a vu beaucoup de mes spectacles et m’a proposé quelque chose ; je n’avais jamais participé ni même vu de cabaret avant ça, je trouve que c’est un format unique, et c’est une première pour moi. En gros, elle utilise ma musique pour ses chorégraphies et entre chaque chorégraphie j’apparais et j’interviens avec mes mots, sur le thème du rapport de la condition féminine, de la religion, de la guerre, de la domination. Tu sais c’est un cabaret, donc c’est à la fois drôle et ridicule et en même temps c’est très sérieux, et très beau et là-dedans on essaie de faire passer un message très spécial via ma performance sur scène ; ce n’est pas rien pour moi, mais c’est un challenge car tout ça va créer un panel d’émotions assez large et je trouve ça très excitant.
Tu es surprise qu’on en soit encore à réfléchir à la condition des femmes, au statut de « genre » dans un pays soit-disant avancé tel que la France ?
Tout ça c’est des conneries, vous avez tout un tas de conneries machistes par chez vous avec ces histoires de genre, ça devient complètement ridicule. On devrait déjà commencer par arrêter la ségrégation sexuelle, arrêter de dire à un petit garçon comment il doit se conduire pour être un homme, de lui dire de ne pas pleurer, arrêter de dire aux femmes d’être plus douces pour être de vraies femmes ; si on devait s’en tenir à ça je dirais que je me sens tout autant homme que femme parce que j’ai aussi des qualités dites d’« hommes ». On devrait juste apprendre aux gens à être en phase avec ce qu’ils ressentent et le monde irait beaucoup mieux. La religion est une des causes de ce dérèglement, mais pas seulement, la ségrégation sociale est également un fléau et ces deux choses polluent la race humaine dans son intégralité.
Crédit photo : Tao Ruspoli
Si tu pouvais, tu ferais disparaître la religion ?
Oui. Tu te rends compte ? Quel Dieu, cette figure d’autorité, aurait été assez cruel pour clouer son fils nu, ensanglanté, torturé sur une immense croix et ensuite damner le monde entier et faire en sorte qu’on soit tous foutus ? On est tous foutus, je te le dis ! Donc oui, on doit se rebeller contre ça et Dieu a toujours été dans mon viseur. Si je pouvais, je lui en mettrais une entre les deux yeux, Dieu c’est un mensonge, c’est faux tout ça, les gens sont faibles alors ils s’inventent des choses, ils ont besoin de croire qu’il y a quelque chose après la mort. Je ne dis pas que je ne crois en rien. Mais ma religion à moi, c’est l’énergie, et au fond ça n’a rien à voir avec la religion, c’est quelque chose de spirituel.
Tu leur dirais quoi aux gens qui croient en Dieu ?
Je leur dirais qu’on leur a menti et qu’on leur ment encore. Ils doivent réévaluer ce que ces espèces de bandes dessinées leur racontent. Les Hommes n’ont pas été créés à l’image de Dieu, Dieu a été créé à l’image des hommes, c’est ça qu’il faut retenir mon amie ! (rires)
K-BARRÉ APOCA-LIPSTICK, ce soir, au Cabaret Sauvage !!
Propos recueillis par Adeline
Crédit photo de couverture : Jasmine Hirst