Le paternalisme dans le couple lesbien

Il nous est toutes arrivé de ressentir l’emprise d’un proche : de nos parents qui veulent décider ce qui est mieux pour nous, d’un ami qui dénigre notre comportement, voire de la personne avec qui l’on vit. Ce genre de comportement paternaliste n’est pas l’apanage des couples hétérosexuels. Non, les femmes aussi reproduisent ces schémas de domination dans leurs relations.

Ici, la question n’est pas de savoir si le paternalisme est bien ou mal. Je suppose que si l’on veut soutenir une personne qu’on aime, on a parfois tendance à dépasser des limites sans s’en rendre compte. Mais ayant moi-même subi le comportement paternaliste d’une de mes ex, je ne pourrais souscrire à l’idée que le paternalisme peut parfois faire du bien, puisque je n’en pense pas un mot. Cela dit, certains témoignages m’ont permis de comprendre les mécanismes du paternalisme : comment cela se met en place, qu’est-ce qui est en jeu quand cela a lieu et enfin comment il est vécu, de chaque côté de la relation.

Mais tout t’abord, qu’est-ce que le paternalisme ? Il s’agit d’une tendance à appliquer une attitude qui dépasse la bienveillance puisque elle devient condescendante et parfois très autoritaire.

Valentine nous le décrit très bien :

« J’avais l’impression de ne jamais bien faire quoi que ce soit. Je ne choisissais pas les bons amis, je n’avais pas les comportements qu’il fallait avoir. J’en ai fini par manquer de naturel, ne plus être moi-même et agir de façon incohérente, ce qui a précipité notre rupture ».

Le risque à trop vouloir dire à l’autre ce qui est bien pour elle, c’est de lui ôter tout naturel dans la relation, voire, toute spontanéité. Où est l’intérêt d’une relation amoureuse si elle ne nous permet pas d’être nous-mêmes ? Quel profit tire-t-on d’une relation où l’on se voit dicter son comportement ? J’ai la nette impression qu’avoir un comportement paternaliste, ce n’est pas aimer l’autre dans ce qu’il/elle est mais vouloir le/la changer pour en faire une personne qui correspond à nos attentes.

Judith a subi pendant plusieurs années le comportement abusif d’une exe, mais a mis plusieurs mois pour réaliser ce qui s’était passé. Elle dit avoir un tort : celui de n’en avoir jamais parlé. Elle vit encore le traumatisme du comportement de son ex :

« En fait, je me suis rendue compte que mon ex avait eu un comportement paternaliste avec moi peu de temps après notre rupture. J’ai passé des semaines à ressasser notre relation entière et pour moi, j’avais été dans le déni pendant ces deux années. En réalité, je pensais que c’était moi qui avais un problème, et pas elle. J’ai mis du temps à mettre des mots dessus. C’était très insidieux parce que d’un côté, elle me disait souffrir de ça : quand les gens lui disaient qu’il fallait faire les choses d’une certaine manière et pas une autre. Mais elle le reproduisait avec moi. Par exemple, lorsqu’on prenait une douche ensemble, elle me disait comment me laver, parce que j’ai des seins un peu gros et qu’il fallait que je nettoie bien en dessous. Elle ne supportait pas non plus que je porte des t-shirts transparents car ça attirait le regard dans la rue. Je crois qu’elle avait peur que je lui échappe. Elle voulait que je corresponde à l’image qu’elle se faisait de moi ».

Le comportement paternaliste est un véritable problème. L’autre, que ce soit dans le couple ou même dans le cadre d’une relation amicale, n’est pas là pour vous dire quoi faire. Il peut vous amener d’autres pistes à explorer en partant de sa propre expérience, mais il n’est pas là pour dire ce qui est mieux pour nous. Nous avons toutes des personnalités différentes, des ressentis et des façons de réagir qui sont différentes : de par nos vécus, notre éducation, nos expériences. Appliquer notre façon de réagir « A ta place, je ferais ça comme ça » c’est croire que l’autre est comme nous, ou que notre façon de réagir est la meilleure, voire la seule.

Evidemment, je crois que nous avons toutes tendance à reproduire cela à des niveaux différents. Il m’est arrivé de le faire dans le cadre de relations amicales mais à force de réflexions et de remises en question, on finit par s’en rendre compte et on peut travailler dessus, parce oui, aimer quelqu’un, ce n’est pas le faire se sentir comme une merde. Je me suis longtemps interrogée sur la façon dont ce type de relation peut se mettre en place. J’ai eu un début de réponse en recevant deux témoignages d’un même couple :

Yoko et Lucie sont ensemble depuis un an. Toutes les deux se disent complémentaires mais Yoko a tendance à être un peu trop paternaliste :

« Cela va bientôt faire un an que je suis avec Lucie, et j’ai une attitude assez paternaliste avec elle bien que je le sois bien moins qu’avant. Par attitude paternaliste, j’entends que j’ai tendance à lui faire la morale. Cette attitude est liée à deux facteurs : premièrement il faut savoir que j’ai du jouer à la maman un peu trop tôt avec mes petits frères et sœurs à cause d’une figure maternelle défaillante. D’autre part, j’aime aider les autres, les conseiller, les épauler, les secouer quand il le faut. Deuxièmement, Lucie et moi sommes complémentaires parce que différentes. Disons que là où je cherche à saisir les choses, elle se laisse saisir par elles. Elle est insouciante et spontanée, c’est à dire qu’elle prend les choses comme elles viennent sans trop y réfléchir. Le bon coté c’est qu’elle est d’une fraicheur, d’une joie de vivre, d’une ouverture au monde et à l’autre extraordinaires. Un petit soleil. Le moins bon côté, c’est que dans certaines situations, tout lui tombe sur la tête et pas forcément de manière positive. Autrement dit, elle a une personnalité assez enfantine là où j’en ai une parentale.»

Ce témoignage permet d’identifier ce qui est en jeu dans le comportement paternaliste : un vécu et une expérience spécifique qui ont rapidement mis Yoko dans une position de « papa ». Elle l’explique de façon très clairvoyante :

« Communiquer a permis à notre relation d’évoluer. Au début j’étais vraiment excessivement paternaliste, parce que je ne comprenais pas qu’elle ne fonctionne pas comme moi. C’est bête, mais vraiment je ne saisissais pas qu’elle voyait les choses de manière différente, et j’avais tendance à lui faire la morale. Il faut le dire, l’une des causes du paternalisme, c’est un fort ego. Et j’avais vraiment un ego très fort, parce que finalement peu d’amour propre. Or en discutant, en construisant notre relation, Lucie m’a fait part de ce qui la dérangeait et je me suis rendue compte de mon attitude gênante. Malgré les mauvais côtés du paternalisme (car rien n’est tout blanc ou tout noir), je pense que certains conseils même moralisateurs ont pu lui permettre de se développer, tout comme ses conseils, sa merveilleuse ouverture à l’autre et sa joie de vivre m’ont aidé. Et parce que nous sommes dans une relation d’amour, de confiance, de liberté, je me suis sentie mieux. Mon ego a diminué, donc mon besoin de prendre le dessus sur l’autre a diminué également.»

La clef dans cette histoire, et comme dans de nombreuses d’ailleurs, c’est de communiquer avec l’autre et de savoir se remettre en question. Quand un comportement est dit  « automatique » alors qu’il fait du mal à l’autre, il faut être capable d’identifier les raisons du comportement et de le remettre en question.

Lucie le dit d’ailleurs très bien :

« Depuis presque un an, je suis en couple avec Yoko, qui a une attitude plutôt paternaliste avec moi. Si cela s’est amélioré avec le temps, assez régulièrement, elle me suggère ce que je dois faire et me met en garde concernant mes choix. La plupart du temps, cette attitude me gonfle et face à elle, je me braque. Je n’apprécie pas que quelqu’un me dicte ce que je dois faire et j’ai un problème avec l’autorité. Néanmoins, je me dois de reconnaitre que j’ai tout de même besoin de cadre. D’ailleurs, toutes mes relations de couple les plus longues ont été avec des personnes ayant un tempérament fort, assez autoritaires. Yoko est mon « garde-fou », mon « Jiminy Cricket ». Alors que je suis très spontanée, insouciante et éparpillée, elle est  dans le contrôle et l’anticipation. Nous avons des personnalités très complémentaires. De plus, nous communiquons énormément, ce qui fait la force de notre couple. Nous faisons donc toutes les deux des efforts : elle pour être moins paternaliste et moi pour être moins insouciante et mieux organisée. »

Finalement, il y a quelque chose d’assez genré et binaire dans le rapport paternaliste et condescendant à l’autre. L’insouciance et la spontanéité sont des qualités qui sont, depuis toujours, associées aux femmes, tandis qu’un comportement responsable et organisé est reconnu comme typiquement masculin.

Dans une société qui dénigre totalement les qualités dîtes féminines, l’attitude de la personne paternaliste semble être le bon comportement. Sauf que non, nous gérons chacune nos vies de manière différente, et cela implique aussi de se laisser surprendre par des problèmes. C’est quand on souffre de notre façon de gérer les choses qu’on apprend, qu’on évolue. Mais ce n’est pas à l’autre de nous secouer, de le faire pour nous. Cela doit venir de nous.

Le paternalisme ne laisse pas de place à l’autre, au ressenti de l’autre. Il empêche l’autre d’aller mieux par lui-même. Mais ça, c’est le sujet de la semaine prochaine.

Sarah

 

Photo de couv’: La fille aux yeux d’or

Sarah

Sarah ne parle plus trop de cul ni d'amour d'ailleurs mais ses passions demeurent : féminisme, antispécisme, santé mentale et gingembre.