Les femmes dramaturges sont rares. On pense forcément à Colette, George Sand, Virginia Woolf, néanmoins toutes trois plus connues pour leurs romans que pour leurs pièces. On pense aussi bien sûr à Ariane Mnouchkine. S’il est difficile de faire le portrait de cette femme de théâtre, sa personnalité lumineuse bien connue des amoureux des planches, spectateurs et comédiens, mérite qu’on s’y arrête.
Enfant de la balle, Ariane Mnouchkine grandit dans les années 1930 en banlieue parisienne entre un père russe, producteur de cinéma et une mère anglaise, descendante d’une famille qui a marqué le théâtre londonien du XIXe siècle. La jeune Ariane a dès son plus jeune âge l’occasion de côtoyer le monde du cinéma. Il lui semble alors à la fois trop superficiel et trop cadré, elle qui aime déjà les voyages et les changements d’atmosphère.
Etudiante à Oxford, elle suit des cours de théâtre. C’est au cours d’une expérience en tant que figurante qu’elle prend véritablement conscience que c’est ce milieu qu’elle veut passer sa vie. Puis Ariane Mnouchkine part étudier à Paris. C’est à cette occasion qu’elle fonde l’Association théâtrale des étudiants de Paris. A peine cinq ans plus tard, en 1964, elle décide de monter sa propre troupe qu’elle nomme le Théâtre du Soleil. Etrange clin d’oeil d’une passionnée de mythologie grecque, qui fait ainsi référence à l’origine de son nom, Ariane étant la petite fille Hélios, le dieu du soleil, ou plutôt à sa personnalité tout feu tout flamme?
Toujours est-il que mûe par l’enthousiasme, elle commence un tour de France des théâtres, à la recherche de salles de spectacle prêtes à lui ouvrir ses portes. Loin du théâtre classique encore en vogue à cette époque, malgré le développement de l’éducation populaire, chère à Jean Vilar, la distribution des pièces qu’elle commence à mettre en scène n’est pas figée, évoluant au fur et à mesure des discussions de la troupe et des représentations. C’est ce théâtre construit sur la force du collectif que développe donc Ariane Mnouchkine de la moitié des années 1960 jusqu’à nos jours.
La dramaturge développe dans ses pièces une approche qui se veut également politique, s’inscrivant chaque fois dans l’histoire passée ou présente. Ariane Mnouchkine s’abreuve des préoccupations de ses contemporains pour les porter sur les planches. La montée des intégrismes religieux nous travaille ? Son Tartuffe, montre déjà en1995, un dévot musulman radicalisé, qui séduit une famille progressiste. Militante engagée par-delà le théâtre, Ariane Mnouchkine s’implique dès les années 1970 dans le combat pour l’abolition de la peine de mort. Elle signe le Manifeste des 343 salopes pour la légalisation de l’avortement et ouvre à plusieurs reprises les portes de son théâtre à des sans-papiers. Politique mais aussi parfois partisane, elle co-signe en 2007 une tribune avec 150 autres intellectuels pour soutenir la candidature de Ségolène Royal à la présidence de la République.
Une femme qui soutient les femmes en politique ? Se considérant devenue féministe sur le tard, elle déclare en 2003 : « J’ai toujours eu du mal à accepter la simplification obligée de tout militantisme. Le discours idéologique, ça va un peu, mais, au détour d’une phrase, surgit une formule qui m’assèche le coeur. D’ailleurs, j’ai surtout besoin d’idéaux (…) Et puis, Hélène Cixous (Ndlr : écrivaine et dramaturge) est arrivée. Elle m’a fait comprendre beaucoup de choses. Elle me fait toujours comprendre beaucoup de choses. Je suis persuadée aujourd’hui que la lutte des femmes est la plus urgente des luttes. Tant qu’elles n’ont pas les lois pour elles, elles les ont contre elles. » C’est peut-être ce féminisme impensé qui rend sa gestion du Théâtre du Soleil toujours autant novatrice, puisqu’elle y recrute à parité depuis sa fondation des hommes et des femmes, tous payés le même salaire.
Idéaliste, jetant un regard cru sur les maux de ce monde, le théâtre d’Ariane Mnouchkine rêve les yeux grands ouverts. Cette patte Mnouchkine se retrouve jusqu’à la Cartoucherie, espace perdu au milieu du bois de Vincennes à l’Est de Paris, qu’elle a investi depuis plusieurs décennies. Elle y accueille elle-même le public, fait à manger pour les spectateurs après le spectacle et reste disponible, même par mail, pour répondre à leurs questions. La Cartoucherie accueille du 26 juin au 5 juillet deux pièces de théâtre chinoises montées par une femme : La grande mélancolie et Une femme chaste. L’occasion de s’en mettre plein la vue… et de faire un bon repas.
En savoir plus:
Josette Féral, Trajectoire du Soleil autour d’Ariane Mnouchkine
Béatrice Picon-Vallin, Ariane Mnouchkine