Si les féministes pro-sexe qui défendent la création de films pornographiques de qualité, filmés par et pour les femmes, sont aujourd’hui celles que l’on entend le plus sur la scène médiatique, il existe également toute une frange féministe, notamment américaine, qui s’oppose fermement à la pornographie. Tour d’horizon des arguments féministes contre le porno.
La pornographie, un outil supposément avilissant pour les femmes
La pornographie a longtemps véhiculé l’image d’un phénomène à la fois dangereux pour la morale et la pérennité d’institutions sociales comme le mariage, des positions plus conservatrices que féministes. C’est Andrea Dworkin et Catharine MacKinnon qui, dès les années 1980, à la suite de la virulente opposition au film Snuff, lancent le collectif Women against pornography. L’un des arguments les plus puissants de l’opposition à la pornographie est la violence et la maltraitance supposément inhérentes à tous les tournages de porno. Au-delà du préjudice physique imposée aux femmes, c’est l’absence de respect et de leur dignité qui sont particulièrement soulignées. C’est avant tout le désir des hommes spectateurs qui est mis en scène plus que celui des femmes, qu’elles soient actrices ou observatrices.
Les films porno, un viol devant la caméra?
Un tel constat peut être renforcé par l’observation des origines sociales de la majorité des actrices porno . Dès lors, il semblerait difficile pour Andrea Dworkin d’affirmer que la pornographie est un choix. Peut-on parler de libre exercice de la pensée quand une scène permet de gagner en une après-midi ce que la smicarde mettra deux semaines à engranger dans le cadre d’un emploi souvent peu valorisé? Un exemple-type d’une telle situation est celle de Linda Lovelace, l’actrice de Deep throat. Désireuse de quitter le foyer familial, elle déclare, huit ans après la sortie du film qui la rend mondialement connue, avoir été contrainte, battue et violé par le réalisateur du film, son compagnon de l’époque. «Quand vous voyez le film Deep throat, vous me voyez en plein viol» déclare t-elle ainsi dans son autobiographie , une version contestée à la fois par son ancien petit ami et les membres de l’équipe de tournage. Une telle déclaration fait dire à Andrea Dworkin et Catharine MacKinnon, qui soutinrent Linda Lovelace lors de ses déclarations que «la pornographie est la théorie et le viol la pratique».
La pornographie, incitation à la violence sur les femmes?
Plus généralement, les féministes opposées à la pornographie établissent un lien systématique entre pornographie et violence faites aux femmes. En effet, la pornographie banaliserait des pratiques sexuelles extrêmes comme le gang-bang ou le face fucking. Les films pornos encourageraient ainsi «aux yeux des consommateurs l’appropriation contrainte du corps des femmes». La question, ici soulevée, renvoie au fait que la pornographie encouragerait le viol, le présentant comme une composante «naturelle» de la sexualité féminine et essentielle au désir des hommes. En effet, devant la caméra, «les femmes ‘disent non et pensent oui’, justifiant par avance la mise en oeuvre du désir masculin tout en déniant aux femmes la maîtrise de leurs propres désirs.»
La pornographie, responsable des discriminations sexistes de la société?
La pornographie développerait et encouragerait donc les violences sexuelles. Elle inciterait également les mécanismes de domination masculine pour reprendre l’expression de Pierre Bourdieu. La pornographie met ainsi souvent en scène des femmes soumises, entièrement possédées par le désir des hommes. La vie quotidienne des femmes renverrait à ce même mécanisme de dépossession de l’autonomie et de l’indépendance financière ou intellectuelle. Si les féministes anti-porno n’accusent pas ces films d’être entièrement responsables de l’inégalité des sexes, il est certain à leurs yeux qu’ils encouragent et diffusent des représentations sexistes.
La réalisation politique des arguments abolitionnistes
Fortes de ces arguments, Andrea Dworkin et Catharine MacKinnon, ont cherché à convaincre dans les années 1980 de la légitimé d’interdire les films pornographiques. Grâce à leur lobby, la ville de Minneapolis devient la seule, en 1983, à permettre aux femmes qui ont tourné dans des films porno de pouvoir poursuivre en justice producteurs et distributeurs au nom de la violation des droits civils . Pourtant, la Cour suprême des Etats-Unis déclare quelques mois plus tard une telle ordonnance irrecevable au motif qu’elle ne respecterait pas la liberté d’expression, première des libertés américaines.
Changeant son fusil d’épaule, c’est auprès de l’Etat canadien qu’Andrea Dworkin continue de militer en faveur de l’abolition de la pornographie. Elle enregistre plusieurs victoires, notamment en faisant inscrire dans la Charte canadienne des droits et des libertés la lutte contre la pornographie au nom du respect de l’égalité entre les sexes. Une telle disposition restreint de fait la distribution et la vente de films pornographiques au Canada.
Les luttes d’Andrea Dworkin ont été ternies lors des dernières années de sa vie par la controverse autour de son viol. Elle continuera toutefois jusqu’à sa mort à se battre contre la pornographie, évoquant en interview qu’elle souhaitait que son travail appartienne un jour à l’histoire, consigné dans un musée .
Les féministes anti-porno sont souvent considérées comme paternalistes en ce qu’elles s’opposent violemment au droit de disposer de son propre corps. Or, cette position ne prend pas en compte la capacité des femmes à choisir librement de tourner dans des films. Il est regrettable que les abolitionnistes ne reprennent pas à leur compte les propos d’Annie Sprinke : la solution au mauvais porno n’est pas son interdiction mais au contraire, une production de meilleure qualité pensée par et pour les femmes.
Matthieu Lahure, La pornographie, outil d’oppression?, Esprit, octobre 2013. Ibid. p.32
Linda Lovelace, Out of bondage, Berkeley, 1987
Andrea Dworkin et Catharine MacKinnon, Pornography and civil rights. A new day for womens’ Equality, Harvard University Press, p. 47, 1997
Matthieu Lahure, Ibid., p.33 Ibid., p.37
Elisabeth Badinter, Fausse route, Odile Jacob, 2003