La frustration. C’est sans doute ce qui définit le mieux Sylvia Plath, la femme qui voulait être Dieu. La poétesse, qui souhaitait dépasser les limites physiques de l’expérience et écrivait pour échapper à son morne quotidien d’épouse, n’atteignit la renommée qu’elle méritait qu’à sa mort.
“I can never read all the books I want; I can never be all the people I want and live all the lives I want. I can never train myself in all the skills I want. And why do I want? I want to live and feel all the shades, tones and variations of mental and physical experience possible in life. And I am horribly limited.”
Sylvia Plath n’a jamais atteint la renommée de Virginia Woolf et ses oeuvres ne sont pas aussi nombreuses, mais son univers est tout aussi riche. Si j’ose comparer ces deux artistes qui ne sont pourtant pas nées à la même époque, c’est parce qu’il y a dans leur univers narratif quelque chose d’unique et de similaire. Toutes les deux sont à la recherche de leur être authentique, et toutes les deux se battent contre la dépression, pour pouvoir écrire, pour avoir, chacune, « a room of [her] own ».
Sylvia Plath est née en 1932 dans la banlieue de Boston. C’est une enfant brillante qui écrit à l’âge de huit ans son premier poème. Mais c’est aussi une adolescente qui souffre très tôt de troubles bipolaires graves. Ses troubles la suivront toute sa vie et modèleront en partie son travail d’écriture. Parmi un roman et des nouvelles, Sylvia Plath a principalement écrit des poèmes. La poésie, genre dans lequel elle excelle. Oui, elle excelle dans l’art de dissimuler des indices psychiques. Tentez, un jour, d’analyser Ariel, Lesbos, ou Daddy. Rien n’est limpide, son écriture est complexe, les mots se heurtent et écorchent le rythme. Mais sa prose disperse des indices pour qu’on la comprenne. Sylvia Plath voulait être Dieu, mais elle voulait aussi être comprise, de son vivant.
C’est en 1950, alors inscrite dans une université réservée aux femmes : le Smith College, qu’elle fait sa première tentative de suicide. Après un séjour en institut psychiatrique qui voit sa guérison, Sylvia Plath réintègre l’université. Elle publie des poèmes, participe à une revue et à la vie universitaire. Mais même diplômée (en 1955, avec les félicitations), Sylvia Plath se sent prise dans un étau, déchirée entre le confort qu’apporte une vie conformiste et la liberté entière à laquelle elle aspire. C’est probablement en rencontrant Ted Hughes (un poète anglais) que le choix se fera à sa place. Elle l’épouse en 1956, seulement quelques mois après leur première rencontre.
Entre 1956 et 1962, ils font des allers retours entre Londres et les Etats-Unis, ils ont également deux enfants : Frieda et Nicholas et tous deux écrivent et publient leur poésie. Mais en 1962, il se séparent, peut-être à cause des troubles psychiques de Sylvia, sans doute à cause de la liaison extra conjugale de Ted ou peut-être tout simplement en raison de ce problème que Betty Friedan nomma dans son ouvrage The feminine Mystique: « the problem that has no name ». Ce dont Sylvia Plath souffrait, c’était ce dont souffraient la plupart des femmes, à jamais enchaînées à une vie domestique aliénante.
C’est ce qui poussera d’ailleurs Sylvia à se suicider, dans une mise en scène à la symbolique lourde : elle placera un torchon dans son four après avoir pris soin de calfeutrer la porte de sa cuisine pour épargner ses deux enfants. Elle mourra, étouffée. Etouffée par la vie domestique.
Ce n’est qu’après sa mort que son oeuvre sera véritablement reconnue : son roman d’inspiration autobiographique The Bell Jar, sa poésie, dont les derniers recueils seront publiés seulement en 1981. Sylvia Plath faisait partie de ces écrivaines qui n’ont atteint la renommée qu’elles méritaient qu’après leur mort, à un temps où les lecteurs pouvaient comprendre que les femmes n’écrivent pas que pour leur journal intime.
Sarah