La représentation de la sexualité lesbienne dans la littérature est rare et parfois malhabile. Marie Evkine, avec son roman Jours de mûres et de papillons a parfaitement relevé le défi. Ce premier roman, paru aux Editions Moires est le récit à la première personne de l’histoire d’un amour de femmes ou plutôt de la fin d’une relation d’emblée placée sous le signe de l’érotisme et de la sensualité. Séance de rattrapage.
La narratrice et sa compagne sont séparées par la maladie. Lorsque le verdict tombe, les corps s’éloignent peu à peu. Et plus que de l’histoire d’amour en elle-même, Jours de mûres et de papillons est le récit de l’après, de la séparation et de l’absence de l’aimée. Il s’agit de combler le manque que crée la fin d’une relation passionnelle, osmotique, charnelle. C’est de cette distance des corps que souffre d’abord la narratrice. « Désire-moi encore » voilà le cri qu’elle lance dès la fin du premier paragraphe. Comment vivre et désirer au-delà de la rupture et la séparation ?
« Alors, oui, aimer ses fesses, ses cuisses, son ventre, plat, chaud ou rond, aimer sa langue et ses doigts fins, son dos large ou ses bras souples, c’est toujours aimer une femme. La désirer, soupirer, l’attendre, la rêver, la humer. La baiser. »
Le roman nous entraîne dans une incessante des corps qui s’avère être un magnifique éloge du corps féminin, des corps féminins. Les descriptions sont parfois très crues et très concrètes des relations charnelles, il n’y a pas de tabous dans Jours de mûres et de papillons, aucun. Au début de la première partie, on peut lire « Peu m’importent la bien-pensance, la bien-jouissance, la conformité sentimentale et sensuelle », et de fait, le roman nous entraîne, sans voyeurisme aucun et toujours avec beaucoup de poésie, vers des images érotiques multiples, des pratiques allant du SM au fist-fucking, sans jamais tomber dans le vulgaire. Cette célébration du corps féminin, que l’on retrouve par exemple, dans de très belles et très poétiques descriptions de la ligne d’un sein, est indissociable d’une déclaration d’amour à Paris. Paris, « piège à filles » où la narratrice erre à la recherche du désir perdu.
« Depuis toujours, j’aime Paris. J’y ai vécu quinze ans auparavant, avant de revenir ici pour toi. J’aime Paris malgré le bruit, l’insolence, l’assourdissance, l’absence, l’absence de bienséance aussi. J’aime Paris, pour ses quais et ses filles, pour ses aubes et ses nuits, et jamais je ne m’y ennuie. J’aime les ponts de Paris la nuit. Nous marchons près du pont des Arts, le long de la Seine. La ville est en lumières, tour Eiffel et réverbères. Paris est au printemps et cette saison lui va bien. »
Marie Evkine est une auteure aux multiples talents, poète, essayiste, romancière… Nous l’avons rencontrée.
BBX : Marie Evkine est un pseudonyme, vous avez publié sous différents noms, entre autres sous le nom de Marie Léon … Pourquoi ces multiples identités ?
Marie Evkine : Marie Léon, c’est mon vrai nom et je l’utilise pour mon travail de journaliste (guides pratiques et articles). Pour le « Osez », j’ai évité de garder mon vrai nom, c’était quand même un thème… chaud et le pseudo (que je n’utiliserai plus, je pense) m’est venu comme ça. Quant à l’écriture poétique et littéraire, j’utilise le pseudonyme Marie Evkine depuis plus de vingt ans, cela me permet de séparer quotidien et création.
Votre bibliographie est assez impressionnante. Vous dites que votre roman est un « aboutissement ». Pourquoi cela ? Pourriez-vous revenir un peu sur sa genèse ?
J’ai toujours écrit depuis que je sais lire, mais la vie professionnelle m’avait empêchée auparavant de m’y consacrer davantage. J’en ressentais toutefois de plus en plus la nécessité. Cela faisait longtemps que je voulais écrire – et faire publier – un roman. Un premier livre – sur un autre thème – avait déjà été remarqué en 2008 par de grandes maisons d’édition, mais il n’était pas assez abouti. Pour Jours de mûres, j’avais des notes un peu partout depuis des années et j’ai décidé en 2012 de les rassembler.
C’est souvent le cas avec les narrations à la première personne, une question se pose : Jours de mûres et de papillons est-il un roman autobiographique ?
Non, et ce n’est surtout pas un journal intime ! Bien sûr, il y a toujours un socle autobiographique sur lequel on s’appuie pour faire défiler l’histoire, mais rien de plus. Et le choix de la première personne, tout comme le refus de donner des noms ou des prénoms, tient davantage du travail littéraire.
Le roman est une très belle déclaration d’amour à Paris. Pourquoi avoir choisi de faire de cette ville le centre de l’univers de ce couple de femmes ?
Parce que j’aime cette ville depuis très longtemps, que je suis heureuse d’y vivre et que c’est à Paris que j’ai rencontré les femmes avec lesquelles j’ai vécu les plus beaux moments amoureux. Et surtout la femme avec laquelle je vis !
Le désir et le plaisir tiennent une forte place dans le roman sans pour autant que l’on puisse le qualifier d’érotique. Que pensez-vous de la représentation de la sexualité lesbienne dans la littérature ?
Dans les pays anglo-saxons, elle est beaucoup plus présente qu’en France, où on trouve bien plus d’histoires d’amour lisses et mièvres que du sexe. D’ailleurs, plusieurs éditeurs, malgré l’intérêt qu’ils avaient pour mon écriture, se sont montrés frileux ! Pourtant, à chaque rencontre, à chaque dédicace, je m’aperçois que les femmes sont en réelle demande d’histoires qui parlent de leur sexualité.
Il me semble avoir lu que vous aviez également rédigé « Osez les conseils d’une lesbienne pour faire l’amour à une femme » aux éditions de la Musardine, la question de la visibilité lesbienne est-elle importante pour vous ? Pensez-vous être une auteure engagée ?
Absolument pas, je ne suis ni militante ni engagée. Mais je vis ma sexualité sans problème et sans souffrance depuis toujours, j’ai cette chance. J’admire et respecte infiniment toutes les femmes qui font un travail énorme pour la visibilité homo, mais ça n’est pas mon truc. J’écris sur ce que je connais le mieux, tout simplement.
Avez-vous d’autres projets en cours ?
Oui. Rien à voir, un livre sur Brest, qui sortira à l’automne. Et un deuxième roman, quasiment terminé, pour lequel j’ai obtenu une bourse du CNL (Centre national du livre).
illustrations : Hope Gangloff