En mai dernier, la blogueuse et illustratrice Muriel Douru sortait sa première BD pour adulte, narrant son parcours de jeune lesbienne, du coming out aux premiers amours. Elle y partage des réflexions sur l’homosexualité, l’homoparentalité, le féminisme… Notre rédactrice Sarah a posé quelques questions à son auteure.
Au terme de ma lecture de Beyond the Lipstick de Muriel Douru, je me suis demandée à qui était destinée cette bande dessinée qui me semblait dire des évidences. En questionnant son auteure, j’ai réalisé que ce qui nous paraît évident ne l’est pas forcément pour tout le monde. Certaines personnes hétéros ignorent tout de nos vécus, de nos interrogations quotidiennes, des agressions que nous subissons. Grandir en se rendant compte que l’on est pas hétérosexuel et que l’on ne correspond pas à la norme change notre perception de la vie, du monde, des cases.
Les différentes planches de la BD traduisent parfaitement ces interrogations de femme lesbienne et féministe, par le biais d’ histoires quotidiennes ou d’événements plus forts comme les manifestations du mariage pour tous.
BBX : D’où est partie l’idée d’écrire cette bd ?
Muriel Douru : Comme ça fait longtemps que j’écris des livres à thématique LGBT et que par ailleurs je suis illustratrice de profession, je sais qu’il y a un manque de visibilité de nos couples et de nos familles dans les arts visuels. Cette BD, je l’ai écrite comme le livre que j’aurais aimé trouver plus jeune, quand je me cherchais et que je guettais les histoires de filles.
Aujourd’hui j’ai presque 40 ans, je m’assume, je suis heureuse en couple, maman, et j’ai la chance d’être freelance. Etre visible pour ceux qui ne peuvent l’être et raconter notre banale réalité me semble essentiel, non seulement pour en finir avec l’homophobie qui est un vrai fléau mais aussi pour ne plus se cacher parce que tant que l’on restera invisibles, la société n’avancera pas et continuera de nous imaginer autrement que comme nous sommes en vérité.
L’homosexualité doit se découvrir parce que l’hétérosexualité nous est imposée comme la norme, et tout autour de nous- médias, livres, films…- nous ramène à cette injonction. Avoir un support qui nous raconte, qui parle de nos émotions, de nos expériences de vie et de notre sexualité sans tabou, avec simplicité et sincérité, c’était ce que je voulais faire. Démonter les clichés aussi parce qu’ils nous collent à la peau et pas seulement vis à vis des hétéros mais aussi dans la communauté (quand je parle de la notion de « non-choix » par exemple dans laquelle je ne me retrouve pas).
Cette BD, c’est un moyen de dire aux homophobes et aux réactionnaires : « Regardez comme notre réalité est aux antipodes de vos fantasmes et de vos tabous ! C’est vous qui avez un problème, pas nous ! ».
Pourquoi avoir choisi le titre Beyond the lipstick ?
Le titre a plusieurs sens. Un premier sens lié au féminisme car c’est une façon de dire qu’on peut être une femme qui aime jouer avec les codes de la féminité tout en ayant un cerveau, une réflexion au delà de l’apparence physique. La pression sur le corps des femmes est tellement forte dans notre société qu’on a parfois l’impression de n’être que des enveloppes vides. « Beyond the lipstick » c’est une façon d’amener les gens à regarder au delà de l’apparence.
L’autre sens ne fonctionne qu’avec les initiés ! La « Lipstick » c’est la lesbienne féminine, celle qu’on a longtemps considérée comme une « hétéro qui s’ignore » parce qu’elle est coquette, ce que beaucoup imaginent comme une volonté de séduire le sexe masculin. J’aime mettre du « lipstick » et du vernis mais j’aime les femmes et coucher avec elles ! Les deux ne sont pas incompatibles.
Personnellement, cette BD me semble destinée à des personnes qui n’ont pas conscience de tout ce que l’on traverse quand on est pas hétéro. C’est assez pédagogique. Est-ce que c’était le but?
La « pédagogie » dont tu parles- même si l’ouvrage ne se veut surtout pas théorique – est en effet destinée aux hétéros qui ignorent ce que nous traversons avant de nous assumer mais aussi aux homophobes car dans mes rêves les plus fous, j’aimerais les amener à comprendre qu’il n’y a aucune raison de l’être ! La bande dessinée est un moyen très efficace de faire passer des messages forts parce qu’elle est ludique, que les images accompagnent les mots et qu’on est loin d’un ouvrage rébarbatif. C’est un moyen « grand public » de s’adresser au plus grand nombre et donc d’aborder des thèmes délicats avec humour et légèreté, à condition d’être dans l’auto-dérision. Elle plait à la jeune génération et oui, bien sûr, j’adorerais toucher le plus de jeunes possibles pour que ceux qui se découvrent homos s’y retrouvent et que les autres se rendent compte que c’est l’homophobie le problème, pas l’homosexualité. Si ça pouvait également aider les homos à s’assumer – en offrant l’ouvrage à tata Simone par exemple -j‘aurais accompli mon but !
Nous avons obtenu le mariage mais l’égalité n’est pas encore totale (ne serait-ce qu’en ce qui concerne la PMA) et pour qu’un jour, l’homosexualité ne soit plus un sujet, nous devons nous montrer, sortir de l’ostracisme qui nous relègue dans certains milieux et dans une minorité silencieuse. Nous sommes nombreux et pourtant, nous sommes invisibles dans la société ! Il serait temps de sortir de nos placards !