Sidonie travaille dans un ministère où elle cache précautionneusement son homosexualité. Dans le dernier épisode, Sidonie et sa jeune stagiaire Alice, s’éternisaient dans l’open-space pour énumérer les multiples avantages de leur orientation.
Paris ne dort jamais. Alice et moi sommes toujours au bureau, autour d’un whisky, retardant le moment de mettre fin à notre conversation. Elle questionne ma fidélité, le regard que je pose sur certaines femmes, et notamment sur la jeune Daphné, rencontrée lors de sa crémaillère. Il m’est difficile de parler des femmes à une lesbienne, je m’en rends compte. C’est comme avancer à découvert. Me voilà bien embarrassée.
Allez, leçon n°12, évoquons les ratés, les râteaux, les orages, et une femme, aimée, mais aimée, mais jamais conquise, revisitons ce grand classique lesbien, version Alice ou version Sidonie. Une Madeleine, une Camille ? « Mais pourquoi aime-t-elle les hommes celle-ci, pourquoi pas un peu les femmes, pourquoi pas moi ? » Elle était à « ça » de m’aimer, elle n’a pas pu et restera : la non-femme de ma non-vie.
Sidonie : Je n’ai pas regardé Daphné ! Tu es ronde ! Ça ne tient pas l’alcool, les stagiaires.
Alice : Mieux que les chefs. Et bientôt vous ne serez plus ma chef. Daphné vous a parlé longtemps et elle vous a fait rire.
Sidonie : Certes…
Alice : Elle a dansé pour vous.
Sidonie : Pas pour moi.
Alice : Face à vous.
Sidonie : Tu as vu ça, toi ?
Alice : Oui.
Sidonie : Ça ne fait pas d’elle un objet de désir.
Alice : Noooon.
Sidonie : Tu veux me démontrer quoi ? Que je peux être infidèle ?
Alice : Que Daphné vous a plu !
Sidonie : Elle ne m’a pas plu, comme tu le penses ! Je l’ai trouvé drôle, intelligente, jolie, oui, mais non vraiment, tu mélanges tout…
Alice : Vous lui avez plu, vous. Vous le savez très bien !
Sidonie : Mais non, enfin !
Alice : Ah si ! Daphné elle cherche sa maman !
Sidonie : Oh pitié ! Le coup de la maman à chaque fois qu’une lesbienne est plus jeune que moi !
Alice : Mais c’est vrai !
Sidonie : Mais c’est exactement ce que dit Cat à ton sujet, Alice !
Alice : Quoi ?
(Cat est la vraie femme de ma vraie vie. Je la cite brièvement à propos de ma relation à Alice : « Childhood shit, mothering, fucking french drama ! »)
Sidonie : Oui ! Je te materne, je te console, je te trouve du boulot !
Alice : Ça n’a rien à voir !
Sidonie : Tu lui expliqueras !
Au fil des épisodes, tout le monde n’est pas inconditionnellement fan de ma stagiaire lesbienne…
Alice : Vous n’auriez pas envie de fumer ?
Sidonie : Si.
J’ai toujours une cigarette dans un tiroir de mon bureau. Nous montons au dernier étage où un petit escalier en colimaçon permet d’accéder au toit. C’est beau Paris quand même… Une clope pour deux ramène le calme.
Alice : Il y a plein de femmes avec qui je regrette de ne pas avoir couché, moi… Mais surtout une…
Sidonie : Raconte un peu.
Alice : Madeleine…
Un soupir, un souvenir, un regard au loin…
Alice : Mon hétéro…
J’aime tellement quand Alice est tranquille et réfléchie… Je suis un peu fatiguée de me défendre et je ne crois pas être aussi rude avec elle, implacable jeunesse…
Alice : J’ai fantasmé sur Madeleine pendant plus de deux ans. J’étais sûre qu’on serait ensemble un jour, que ça allait marcher, je me suis entêtée. Je l’ai vue changer de mec, se faire plaquer, en retrouver un autre. J’ai tenu la chandelle même, des fois. Avec un de ses copains, on allait en boite. Ils se roulaient des pelles interminables. Je la regardais tout le temps. Celui-là, elle l’aimait. Quand elle a couché avec lui, j’ai tout cassé dans ma chambre. Sylvain… Je me suis inscrite au karaté rien que pour lui péter la gueule. Mais il l’a plaqué. Je n’aimais qu’elle, c’était horrible. J’aurai fait n’importe quoi. J’ai fait n’importe quoi. J’ai supporté tellement de trucs… J’ai été son chauffeur, son déménageur, son infirmière, je me suis même occupée de son chien… J’ai été en dessous tout…
Sidonie : Eh bien… Je n’aurais jamais imaginé… Tu la revois ?
Alice : Oui, on se croise, elle habite toujours en Lorraine. Elle est toujours aussi hétéro…
Sidonie : Elle savait que tu l’aimais ?
Alice : Ah oui ! Elle l’a toujours su ! Elle disait qu’elle était désolée, qu’elle ne pouvait pas… Elle m’a demandé tellement de services, j’étais trop conne. Je rêve d’elle encore parfois. Mais c’est tellement rien, comparé à Rosa… Rosa je l’aimais encore tellement plus !
Elle baisse la tête.
Alice : Ça me saoule de tout rater comme ça… Tout m’énerve… Et vous alors, une Madeleine ?
Sidonie : Oui… Mais elle n’était pas vraiment hétéro. Je ne sais pas si j’ai trop envie de parler d’elle.
Alice : Pourquoi vous avez toujours honte de me parler ?
Et vlan ! Et oui ! Honte, gêne, réticence, à étaler mon homosexualité devant Alice. Hésitation, tergiversation devant sa franchise et la brutalité avec laquelle elle se livre. Je peine à lui parler alors qu’elle est lesbienne et que cela devrait me faciliter les choses. Mais pourquoi je lutte ?
Sidonie : Ok, ok. Camille.
J’ai évité, je me suis interdit d’aimer Camille. Elle me plaisait malgré moi, il a fallu la contourner, puis l’éloigner. C’était une manie à l’époque, me prémunir de mes sentiments. Mais pour Camille, cela s’avéra avisé. Parce qu’elle ne pouvait pas aimer les femmes, physiquement. Gros problème pour elle, puisqu’elle ne pouvait pas vraiment aimer les hommes non plus.
Je me souviens très bien de la première fois que j’ai vu Camille. J’en avais écrit quelques mots, parce qu’il m’arrive de prendre des notes, pour fixer une idée, une impression (j’avoue prendre des notes sur Alice). Après ma première rencontre avec Camille, j’ai écrit : « Camille rencontrée aujourd’hui. Prof de musique, belle belle. Gay ? Voulait prendre un café, non, me suis défilée. Ne doit pas me plaire. » Mais, consigné, c’était déjà trop tard, faute avouée est à moitié pardonnée, elle me plaisait atrocement.
Donc, j’ai tout fait pour l’éviter. Autre itinéraire, autre horaire, autre café, autres potes. Cela a duré quelques semaines. J’étais bien tranquille. De loin en loin, l’impression provoquée par Camille s’estompait. Mais elle est venue me chercher. Elle m’a croisée, a relancé l’idée de prendre un café, en ajoutant immédiatement : « Enfin, je préférais un apéro. » Soit. Café, apéro, ce qu’on voudra… Je cédais à l’envie de la rencontrer, l’impression forte était là à nouveau, je trouvais Camille magnifique et monstrueusement ambiguë. Elle a pris mon numéro, il y avait de la vie, du feu, de l’homosexualité dans ses yeux.
Je voulais croire à une attirance réciproque, mais j’avais des doutes. J’ai connu le grand amour à quinze ans, moi, cela m’a rendu difficile. On ne me jette pas, comme ça, de la poudre aux yeux. J’avais des doutes, j’avais des doutes, il y avait un truc en elle que je ne sentais pas. Je me disais qu’elle identifiait un terrain homosexuel chez moi, mais… Voulait-elle que je me dévoile ? Voulait-elle partager cette homosexualité ? Voulait-elle que je la courtise en vain ?
Elle a appelé. Et la danse de la séduction a commencée. Proche, loin, envie, pas envie, tu me fais envie, mais non. Je me suis méfiée. Mais je la désirais tellement… Je l’ai laissée s’approcher quand même. Certes, j’ai souffert de son incapacité à m’approcher tout à fait ! Elle me tournait autour sans pouvoir se résoudre à l’abandon et au sexe. C’est agaçant. Elle venait vers moi, même beaucoup, je devenais dingue.
« C’est sûr, Camille, les copines, entres elles, quand elles ont peur d’un orage, peuvent se retrouver sur le même canapé, côte à côte, ou même enlacées. Mais pas l’une sur l’autre. Pardon, mais aucune de mes copines, quand elle a très peur de quelque chose, ne vient se coucher sur moi, pour me rouler des pelles, pour se rassurer ! Je connais les femmes, tout de même, quand l’une d’elles me fait un truc pareil, elle n’est pas sous l’emprise de la peur ! »
A chaque fois, sur un canapé ou ailleurs, les rendez-vous avec Camille se terminaient de la même façon, dans le feu de l’action, à moitié à poil, quand on est bien bien bien, quand c’est doux et chaud et bon et rouge sous les yeux… Et soudain, juste pour faire suer, non, non, non, pardon, enlève ta main, je ne peux pas, je me rhabille, je dois filer. Raaaaaah bon sang ! Sur l’oreille ! Pour plus tard ! Que ça m’agace ! Que c’est désagréable ! Que ça me frustre totalement ! Ah la putain d’éducation judéo-chrétienne de mes deux ! « Casses-toi, Camille ! Casses-toi tout de suite ! »
Elle revenait. Je la laissais revenir. Et le canapé. Et les départs précipités, comme si elle avait eu le feu aux fesses. Le cul sur la commode ! Je me suis fatiguée. La non-vie rime avec le non-sexe, et ce n’est pas drôle. La magie de la non-femme a commencé à se dissiper… Camille ne voulait pas m’aimer, mais voulait que je l’aime. Discuter avec elle revenait à m’embrouiller davantage : je veux, mais je ne veux pas, c’est agréable, mais cela ne l’est pas.
Un samedi soir, elle est arrivée chez moi pour dîner, un peu avant les autres convives. Tranquillement, en ôtant son manteau, elle m’a demandé : « Alors, tu as invité de beaux garçons pour moi, ce soir ? » Cela a été une telle claque, après l’orage et tous les canapés… J’ai été déçue, humiliée, ignorée, et elle… était-elle donc vulgaire ? Me pensait-elle aussi stupide, osait-elle insulter mon intelligence ? Tout cela devenait crétin, je ne pouvais pas le tolérer. J’ai accueilli les gens et servi l’apéritif comme une zombie. « Mais oui, évidemment, Camille, tu aimes les hommes, et tous nos gestes, tous nos baisers, sont le fruit de mon imagination. »
Et alors que je me remettais, un verre à la main, je l’ai trouvée cruelle et j’ai eu cette idée… De jouer à mon tour. Elle voulait de beaux garçons, j’allais lui en donner.
Alice : C’est bien ce que je dis, vous êtes un peu tordue.
Sidonie : Oui, là, tu as raison, c’était assez tordu.
A partir de ce moment-là, j’ai organisé des dîners où j’ai invité tous les hommes possibles, mes copains célibataires, leurs amis, mon frère et ses troupeaux de potes, des voisins, des amis d’amis de voisins, des grands, des petits, des bruns, des blonds, des sportifs, des intellos, des drôles, des pas marrants, même des musiciens ! Des hommes, en veux-tu, en voilà.
Juste pour constater que, décidément, Camille ne les aimait pas. Et pour la regarder s’empêtrer dans ses contradictions. Au cours du dîner, je lui indiquais, d’un petit signe de tête, cet homme-ci, ou cet homme-là… Elle n’a jamais voulu de mes cadeaux. Elle s’est montrée beaucoup moins sensuelle avec eux qu’avec moi. Pendant près de quatre mois de ce petit jeu, elle n’a eu aucun geste ambigu, envers aucun homme, jamais, ni aucune aventure, aucun rencart.
Quant à moi, je mettais tout en œuvre pour n’être plus jamais seule avec elle. Camille m’appelait, regrettait de ne pas me voir en tête à tête (sans témoin), laissait des tonnes de messages. Je tardais à lui répondre, et finalement, cessais de lui lancer toute invitation.
J’ai jouis de pas avoir Camille à ma table ! J’ai jouis parce qu’elle savait n’être plus conviée à mes dîners ! J’ai quand même continué à la désirer, à la trouver magnifique et émouvante, à me retourner les tripes quand je la croisais. J’étais laminée, en vrac, quelques heures, non, quelques jours. Elle ressemblait tant à la femme que j’aurais voulu aimer (croyais-je…), la non-femme de ma non-vie. Et puis, je me relevais, j’étais dure à nouveau, et refusait de céder à ses prières : « Quand est-ce qu’on se voit, ça me ferait plaisir que tu m’appelles un peu. » Je n’appelais pas. Renoncer est une discipline que j’ai pratiquée très jeune, et j’y ai excellé. Camille insistait, voulait des explications, pourquoi étais-je distante, pourquoi n’étions-nous plus amies ? De quelle amitié parlait-elle ? Je feignais de ne pas la comprendre. Oh… Amies comme ça, comme lors d’un soir d’orage ? Elle voulait passer me voir absolument, sur le champ. Je refusais. S’était-elle brutalement décidée à me tomber dans les bras ? S’assurait-elle une nouvelle fois de son pouvoir de séduction ? Dans le doute, je préférais m’abstenir et garder ma porte close. Une gouine avertie en vaut deux.
Alice : Nan ! Mais vous avez anéanti des mois de drague !
Alice se tord de rire, se moque. Elle a toujours envie de m’emmerder un peu. Mothering ? Mon Dieu qu’elle est jeune… Je ne vais pas lui expliquer comment s’est terminée ma conversation téléphonique avec la non-femme. Je lui ai parlé des hommes ; j’en fréquentais un, plus ou moins, que j’avais rencontré chez moi d’ailleurs. Cela m’a permis de dire à Camille qu’elle s’y prenait mal avec eux, qu’elle ne savait pas les séduire. J’ai enfoncé le clou : « Certains garçons sont tout de même assez faciles, allons, ce n’est pas si compliqué ! A moins d’être homosexuelle, mais dans ton cas la question ne se pose pas ! Quoique, ce serait drôle, si finalement, c’était toi la gouine dans l’histoire ! »
Je pleurais et enrageais en même temps. Je la quittais. Elle pleurait aussi et répétait qu’elle m’aimait. « Et puis ? Tu serais l’hétéro inaccessible et moi la lesbienne éperdue ? Il n’en est pas question ! Je souffre de mes propres incapacités, de mes propres carences, j’en ai suffisamment pour ne pas m’encombrer des tiennes ! Tu ne peux pas aimer les femmes ? Tu n’as rien à offrir ? Alors arrête ta comédie, passe ton chemin, passe à autre chose, oublie moi ! »
Je ne suis pas fière de ces propos tenus sous le coup de la colère et dans un esprit de revanche. Il ne m’a pas suffi de mettre Camille sur la touche, j’ai voulu la blesser, la mettre à l’amende, la réduire au silence. J’ai réussi. Elle a raccroché, et n’est jamais revenue discuter de cette non-histoire. Les dîners ont continué sans elle. Je m’ennuyais, elle me manquait, je la rêvais encore, j’ai tenu bon. J’étais mûre pour la vraie vie.
La prochaine fois, sobres et reposées, Alice et moi parlerons des vraies femmes. Pas de la vraie-femme de ma vraie-vie, qui, si j’écris une ligne de plus la concernant, va se transformer en tigresse celtique, ok, ok, une autre, une femme permise, conquise pour de bon, quand tu veux où tu veux, l’histoire de cul qui court sur plusieurs années… Allez, pas ambiguë, pas drama, pas bullshit, voici la claque de la Fuck buddy on your ass ! Ce sera la leçon n°13, la bonne amie de la baise : la Sex friend.
Sidonie