Il y a 20 ans, Susanne Kirchmayr alias Electric indigo, lançait le réseau female : pressure, lassée de voir les femmes boudées des programmations des clubs et festivals de musique électronique. Le principe : un site internet offrant une base de données complète des femmes du métier : productrices, djs, vjs, compositrices et même bookeuses, de 74 pays différents. Un pied de nez au sexisme et un engagement fort pour la visibilité des femmes artistes du digital.
Kaltès, membre active du réseau, organise des soirées female : pressure au Trésor à Berlin. Pour la Wet For Me Happy New Queers du 13 janvier prochain, elle a invité ses artistes coups de coeur à rejoindre la scène de la Chaufferie à la Machine du Moulin Rouge.
BBX : Pourquoi avoir crée female:pressure ?
Kaltès : Electric Indigo en avait simplement marre d’entendre à chaque fois qu’elle jouait à quel point il était rare de voir une femme derrière les platines. Elle avait bien sûr conscience du manque de visibilité des femmes dans la musique électronique mais rageait d’autant plus d’en connaitre des centaines et de s’entendre répéter les mêmes litanies et préjugés, du public comme des promoteurs. Elle a commencé par rédiger une liste de toutes les artistes qu’elle connaissait à l’époque. On est en 1998, c’est le début de l’internet, et plutôt que d’en faire un simple papier qu’elle distribuerait à chaque “Il n’y a pas de femmes dans le milieu”, elle décide de mettre cette liste en ligne, la rendant ainsi accessible à tous, à tout moment et partout dans le monde. female:pressure est né.
Electric Indigo
Pourquoi ce nom ?
Connaissant l’histoire de sa création, ce nom a du sens, mais effectivement, vingt ans plus tard, c’est une question qui se pose. Le problème avec un réseau qui compte plus de 2000 artistes de partout dans le monde, c’est de parvenir à s’accorder. C’est une discussion que l’on a eu plusieurs fois, et que l’on aura certainement encore. female:pressure est un réseau international qui met en avant les artistes femmes, transgenres, intersexes et non binaires.
Ces statuts, dans leur définition, ont évolués depuis la création du réseau. Le nom, lui, est resté inchangé. A la préférence de la majorité, pour son histoire et parce que ce nom est devenu une référence. Tout ce que je peux espérer, c’est que le réseau continue d’évoluer et que ces discussions nous mènent vers un mieux et une plus grande cohésion. Que chaque personne en faisant partie prenne conscience également de ses propres préjudices et de ses privilèges. Les affres du patriarcat et les discriminations doivent aussi se combattre à l’intérieur de nos structures…
Ton constat sur le sexisme en 2017 ?
Il est plus difficile aujourd’hui d’excuser son ignorance, de tenir des propos sexistes, ou de se vautrer dans les clichés sans passer pour un con, et c’est une très bonne chose. Il y a encore beaucoup de travail à faire, mais nos efforts ne sont pas vains et deviennent même visibles!
Il y a à peine quelques années, on entendait régulièrement cette excuse des agents, des promoteurs, il ne connaissaient pas de femmes artistes…C’est un argument qui ne tient plus la route, et female:pressure a définitivement fait preuve de figure de proue, inspirant de nombreux collectifs et initiatives remettant les pendules à l’heure. On a gagné en visibilité. Pas seulement pour les artistes, mais dans tous les domaines de la musique électronique. Pour les “techniciennes”, notamment, un secteur qui a particulièrement la dent dure en terme de sexisme.
Plus de femmes s’imposent et réduisent en poussière les clichés, comme par exemple la très badass Nadine Neven.
Les filles ont aussi plus de modèles auxquels s’identifier et certaines en sont déjà elles-même, comme Caitlin, mon héroïne, qui du haut des sa dizaine d’année, t’explique à l’aise comment te servir de ton système modulaire.Ça, ça me donne grave la frite! Il y a de l’espoir.
Les artistes qui te soutiennent ou que tu soutiens ?
Impossible de ne pas mentionner ma sainte trinité perso : Gudrun Gut, Electric Indigo et Paula Temple. Ma carrière serait bien différente sans le soutien et l’inspiration que ces artistes ne cessent de me procurer. Nene H. évidemment avec qui je sors un EP le mois prochain. Eomac, qui est un de mes artistes préféré depuis des années et qui sort notre disque sur son label, Eotrax. Un rêve! LAIR et Christina Sealey de Orphx, qui ont participé à cette sortie avec deux remixes qui renforcent notre message, notre revendication initiale. Que du bonheur. Mais la liste est longue, je pourrais en citer des centaines sans problème.
Une anecdote ?
Mon nom de scène vient de “Kaltes Klares Wasser”, le légendaire morceau de Malaria ! C’est mon amie, Marie Vermeiren, une cinéaste féministe bruxelloise qui m’a fait découvrir ce groupe. J’ai rencontré Marie alors que j’avais à peine plus de 20 ans. C’est une femme qui a joué un rôle primordial dans mon éducation féministe. J’ai passé des après-midis à prendre le thé chez elle, à discuter. Elle est fascinante, Marie, et elle a toujours eu l’art de voir juste dans ce qui me faisait vibrer. Elle m’a prêté des dizaines de livres, de films, de cds et m’a fait découvrir Alexandra Davis-Néel, Bikini Kill, Valerie Solanas, Cheryl Dunye, Sadie Benning, Le Tigre, Sarah Lucas, dans le désordre et j’en passe… Un jour elle m’a fait écouter Malaria!, Gudrun Gut et des artistes de son label Monika Enterprise. Ca a été une révélation monumentale. A l’époque j’étais saxophoniste et j’étudiais l’improvisation au conservatoire. Je ne connaissais rien au punk rock, aux Riot Grrrls , ni à la musique électronique. Ce moment à tout chamboulé. “Kaltès” c’est donc bien entendu un hommage à Gudrun Gut, mais aussi à tous ces moments sacrés, à tout cet héritage, ce “matrimoine” qui m’a été légué par des femmes exceptionnelles.
Gudrun Gut
Quels sont tes projets pour 2018 ?
Pas de grandes résolutions pour 2018, si ce n’est de prendre soin de ce que l’on a semé l’année dernière. Continuer. Faire plus de musique, collaborer avec de nouveaux artistes. Prendre des vacances quand je serai morte et me réincarner en mon chat la vie prochaine.
#resist #persist
Carte blanche à female:pressure, samedi 13 janvier dans la Chaufferie de La Machine du Moulin Rouge