A Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, le CFIAM (Centre Féminin d’Initiation et d’ Apprentissage aux Métiers à Ouagadougou) enseigne à de jeunes femmes -entre 16 et 22 ans, environ- le métier de mécanicienne automobile. Pour son film, Ouaga Girls, la réalisatrice, Theresa Traoré Dahlberg, a suivi une classe en dernière année d’apprentissage. Une année charnière pour ces filles qui sont prises entre contraintes sociétales et leur envie d’indépendance. Nous avons rencontré Theresa Traoré Dahlberg, à l’heure du petit-déjeuner, le jour de la sortie du film en France.
Burkinabée par son père et suédoise par sa mère, Theresa Traoré Dahlberg, qui vit désormais à Stockholm, a grandi entre ces deux pays qui semblent bien éloignés. Venue à Paris pour rencontrer le public du film – qui a également été sélectionné au Festival International des Films de Femmes-, elle évoque la genèse du film, la classification genrée des métiers et comment, grâce à cette formation, elles conservent le pouvoir sur leurs vies.
Connaissais-tu cette école de mécanique exclusivement féminine avant de réaliser Ouaga Girls ?
Oh non ! Le sujet du film s’est en quelque sorte présenté à moi. En 2010, j’ai réalisé Taxi Sisters, un court-métrage documentaire sur une femme conductrice de taxi à Dakar, qui, contrairement aux héroïnes de Ouaga Girls, subissait énormément de violences sexistes de la part des autres chauffeurs de taxi de la capitale.
Lorsque je suis retournée à Ouagadougou, mon film a été vu et apprécié. C’est là que l’on m’a informée de l’existence de cette école qui formait les jeunes femmes à des métiers dits masculins tels que l’électricité, la mécanique automobile, la soudure etc. J’ai choisi de me pencher sur la classe de mécanique automobile. Je suis allée au sein de l’école sans caméra, tout d’abord, afin de les rencontrer, connaître leurs différents parcours mais aussi afin d’expliquer ma démarche. Ensuite, j’ai tourné pendant toute leur dernière année scolaire, celle du diplôme, celle pendant laquelle, elles sont en quelque sorte, en transition, où l’apprentissage est en train de s’achever mais où leur vie professionnelle n’a pas encore commencé.
Theresa Traoré Dahlberg par Patricia Reyes
Pourquoi décident-elles d’apprendre ce métier perçu comme « hors normes » pour une femme, au Burkina Faso -mais aussi, en Europe, ceci dit- ?
La plupart de ces jeunes femmes sont en proie à des difficultés familiales et économiques importantes (certaines n’ont peu ou pas de famille, d’autres ont eu des enfants seules et plutôt jeunes etc.) . Cette école leur permet et leur enseigne l’indépendance. Les professeurs, au sein de leurs cours, tendent à leur rappeler combien il est important voire nécessaire de gagner son propre salaire, de pouvoir subvenir seules à leurs besoins. Quant au choix de ces métiers, il est lié à cette envie de reprendre le pouvoir sur leur vie en assumant des tâches qui ne sont, habituellement pas pratiquées par des femmes. Cependant, la classe que j’ai suivi est divisée. Certaines ont vraiment une envie profonde de travailler comme mécanicienne, d’autres sont emplies de doutes notamment quant à la pression sociale de leur statut de femme, justement.
OUAGA GIRLS – bande annonce from Juste Doc on Vimeo.
A ce propos, on a parfois l’impression qu’elles s’autocensurent dans leur carrière. Certaines se demandent s’il s’agit d’une bonne idée de faire ce métier quant à leur vie sentimentale.
A 20 ans, elles ont les mêmes interrogations que les européennes peuvent avoir autour de la trentaine, en lien, évidemment avec cette même pression sociale de la famille, du couple, de la maternité. Et elles ne veulent pas que leur carrière soit une entrave à cette quête du bonheur familial. D’autres ont bien compris qu’en ayant, justement, cette carrière, elles acquéraient une certaine liberté qui leur permettrait, plus tard d’accéder aux besoins de leur famille.
Est-ce qu’elles se revendiquent comme féministes ?
Pour la majorité, elles n’ont pas conscience d’avoir un parcours particulièrement féministe, elles font surtout cette formation pour subvenir à leurs besoins. Certaines ont l’envie de monter leur propre entreprise. Mais en visionnant le film, elles se sont rendues compte à quel point, elle étaient peut-être les pionnières d’un mouvement de libération plus large au Burkina Faso, qu’elles pouvaient devenir un modèle de pouvoir, d’empowerment. L’école ayant été créée il y a à peine une dizaine d’années, on commence juste à se rendre compte du chemin parcouru. C’est toute la différence avec la Suède où tout à chacun se revendique féministe – extrêmement rare, par exemple, d’entendre un homme dire qu’il n’est pas féministe- mais sans se poser, parfois, les bonnes questions quant aux différentes problématiques.
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