Il y a quelques mois, nous vous faisions découvrir la douce étymologie du mot « gouine ». Aujourd’hui, cap sur les expressions de notre si facétieuse langue française, celles qui ont l’honneur de désigner nos pratiques instables et perverses, qui font les choux gras des piliers de comptoirs et des conversations potaches.
Pédé comme un phoque
L’expression « Pédé comme un phoque » est l’un des adages les plus énigmatiques. L’hypothèse la plus répandue, mais aussi la plus grotesque, consiste à dire que les phoques mâles témoignent de comportements homosexuels prononcés. C’est en tout cas ce qu’affirme le Dictionnaire des expressions et locutions, d’Alain Rey et Sophie Chantreay. En réalité, non seulement ces comportements sont légion chez de nombreuses espèces animales, mais aucune preuve scientifique n’a jamais étayé le fait que les phoques se réchauffaient entre eux sur la banquise. Certains petits malins avancent que le phoque faisant partie de la famille des pinnipèdes, le jeu de mot était facile…
Pour contrer cette hypothèse naturaliste, d’autres se sont penchés sur la piste d’un malentendu orthographique. Il ne s’agirait pas du « phoque » mais du « foc », qui, sur un bateau, désigne : « des voiles d’étai triangulaires établies entre le mât de beaupré et le mât vertical qui le suit ». Pour faire simple, le foc prendrait le vent par l’arrière (je vous laisse faire le rapprochement). Débat sans fin sur les forums, où spécialistes de voile et de marine s’écharpent pour savoir si oui ou non le vent tape perpendiculairement ou dans l’axe. Boooooring.
Être à voile et à vapeur
On reste dans la métaphore marine, avec cette expression connue pour désigner les bisexuels. L’hypothèse la plus répandue veut que les marins, lors de longs mois en mer entourés de pectoraux virils, se laissaient tenter par des rapports homosexuels avant de retrouver leur femme, et donc l’hétérosexualité, une fois rentrés au port.
Mais, si la vapeurs désignent la féminité (les vapeurs hystériques), et la voile la masculinité (le mât, symbole phallique s’il en est), l’expression pourrait recourir une tout autre signification. En effet, l’apparition des premiers bateaux capables d’utiliser les deux moyens de propulsion aurait pu engager un rapprochement sémantique jusqu’à désigner les bisexuels. Comme ces bateaux, les bisexuels pouvaient marcher à la fois à la vapeur et à la force du vent, au féminin et au masculin. Cette hypothèse est étayée par l’existence d’expressions similaires dans d’autres langues (en espagnol « Funcionar a gas y electricidad » signifie « fonctionner au gaz et à l’électricité », en argot américain « To be AC/DC » signifie « être sur courant alternatif et courant continu »).
Etre du bâtiment / Etre de la jaquette
Les deux expressions « être du bâtiment » pour les lesbiennes et « être de la jaquette » pour les gays, fonctionnent sur le même procédé d’inversion. Si « être du bâtiment » signifie au départ « être expert » ou « faire partie du club », sans connotations sexuelles, il a récemment pris un sens nouveau, s’appuyant sur l »idée que les lesbiennes, nécessairement masculines, étaient toutes du BTP. Associer l’homosexualité féminine à des codes masculins pour mieux la décrédibiliser, classique.
L’expression « être de la jaquette » est bien plus intéressante. Au 19e siècle, des clubs privés rassemblaient de nombreux hommes fortunés. La mode était à la jaquette, une veste ajustée et fendue dans le dos. L’ordre de la Manchette était l’un de ces clubs. L’expression d’origine, « être de la Manchette » désignait un membre de ce groupe. Après la fermeture du club, l’expression « être de la jaquette » fut adoptée pour se moquer des hommes qui se rendaient à ces réunions interdites aux femmes. On dit que les jaquettes, de par leur longueur, laissaient deviner les fesses masculines… Ça paradait grave au 19e siècle.
Lubna