Les créations graphiques de Maïc sont colorées, joyeuses, militantes, intrigantes, drôles et 100% queer. On a voulu en savoir un peu plus sur son parcours et son univers. ITW.
Salut Maïc, tu fais quoi en ce moment?
Je traverse l’hiver en m’exerçant sur des sets à venir, je prépare un projet textes-images avec une amie autour des pratiques et stratégies sexuelles de tout un tas de bestioles fascinantes, je réfléchis beaucoup à la mort, et je fais des trucs plus ou moins intéressants ou chiants aussi, pour gagner des thunes.
Tu es dessinatrice, graphiste, sérigraphiste, affichiste, DJ, et bientôt tatoueuse (?), j’ai bon?
Ah ah oui, effectivement toutes ces pratiques font partie des mon quotidien. Mon métier, ce que j’ai appris via mes études, c’est la création d’images. Ce métier se décline entre le moyen de subsistance principal, graphiste en freelance, l’espace de liberté avec les œuvres personnelles que je diffuse sous le nom de Maïc Batmane qui relèvent cependant toujours du travail, et qui complètent accessoirement mes revenus de graphiste, et enfin une pratique plus intime/amicale (le tatouage) que je ne compte pas à l’heure actuelle pratiquer à plus large échelle. En plus de cela, il y a la pratique du DJing, qui est un travail que j’apprends sur le tas. Enfin, accessoirement, pour compléter financièrement certains mois, je travaille très occasionnellement en tant que domina ou escort fétichiste.
Tu as une formation classique (Estienne et Arts Déco), à quel.s moment.s et dans quelles circonstances as-tu découvert l’esprit DIY, les féminismes et la culture queer?
Je me suis politisée en tant que féministe lors de ma deuxième année aux Arts-déco, à l’époque je sortais avec une fille mais je ne connaissais pas d’autres queers. Cela s’est fait par un cheminement personnel, le refus de l’hétérosexualité, du sexisme et des rôles de genre qui m’insupportaient sans que j’aie clairement des mots à mettre sur ce ressenti ; cela se combinait avec un contexte familial compliqué, je viens d’une famille de droite, ma mère était catholique, profondément homophobe, des traits exacerbés dans son cas par une maladie mentale très difficile à vivre pour ses proches. J’étais très en révolte et en souffrance ; à cette époque j’ai commencé à faire des recherches, des lectures via internet, sur le féminisme, l’anarchisme, ce que je découvrais parlait très fort à ma colère, et l’envie de militer est rapidement apparue ; en découvrant le féminisme, j’ai donc très vite intégré un groupe activiste féministe non-mixte, et découvert tout un ensemble de choses qui gravitaient autour du féminisme radical et de la culture queer, dont les fanzines et la philosophie du DIY, qui rejoignaient tout en l’interrogeant mon goût et ce que j’apprenais de la fabrication d’une image.
Dans ton travail tu t’empares de plusieurs traditions iconographiques, que ce soit à travers certaines techniques (qui rappellent la gravure au burin) ou certaines thématiques (l’icône, de l’icône religieuse à l’icône pop, la peinture de Vanités, etc.), c’est une façon de revoir le cours de l’histoire ? Une subversion ? Un ancrage ? Une fascination ?
J’ai un peu trop de lacunes en histoire de l’Art pour m’ancrer intentionnellement dans une tradition, une école. Je ne théorise pas le traitement graphique que je choisis pour mes images, cela relève vraiment du plaisir de faire, de telle façon, avec tel type de feutre, tel tracé. Initialement, ma formation orientée vers le design graphique et mon goût pour l’affiche m’amènent souvent à choisir un traitement impactant, efficace, simple, dans la composition de l’image comme dans les outils graphiques ; à partir de là, j’ai pris des libertés dans mon travail, je vais vers des créations parfois plus illustratives, et surtout je ne reste pas figée dans une forme de prédilection, je m’autorise le choix et la variation des outils et du tracé, j’explore différentes modalités de dessin, cela m’intéresse plus qu’aboutir un style unique, précis et invariable.
Quant aux thématiques, elles se nourrissent de mon vécu. Concernant l’iconographie catholique, c’est limpide : j’ai été élevée dans le catholicisme et à l’adolescence tout d’abord j’ai perdu la foi, puis j’ai développé un rejet et une colère très forte vis-à-vis de cette religion qui, telle qu’elle m’a été enseignée, est terriblement manichéenne, culpabilisatrice et réactionnaire. C’est difficile de se débarrasser de ce qu’elle instille en vous, même lorsque vous ne croyez plus à un Dieu. J’ai officiellement apostasié en devenant féministe, et j’ai traversé une période de très fort anticléricalisme. Aujourd’hui encore j’ai une grande colère vis-à-vis de cette institution homophobe, pédophile, misogyne, réactionnaire, profondément nuisible et toxique. Mon histoire familiale proche comporte beaucoup de souffrances, de la folie et de la dépression, de l’homosexualité non-assumée et honnie, de la folie au sens psychiatrique du terme, des suicides ; la place qu’ont pris les discours religieux catholiques dans cette histoire douloureuse rend impardonnable à mes yeux cette institution.
Cependant mon rapport aux croyances de chacun.e est plus nuancé aujourd’hui, et détourner cette iconographie dans laquelle j’ai baigné fait partie d’un processus d’apaisement ; une iconographie qui quelque part, me fascine par sa grandiloquence, son érotisme aussi, à l’opposé finalement de l’ordre moral que les représentants de l’Eglise prétendent défendre. A travers ces détournements, qui soulignent cette contradiction, je prends plaisir au blasphème, parce que quelque part je le redis, c’est difficile de sortir complètement du paradigme. J’y reste donc en partie, je ne m’extraie pas complètement de ce vécu, mais en entrant du côté du blasphème, j’apaise quelque chose de cette colère.
Et tu vois, je suis assez fan du Temple Satanique par exemple ; cette organisation américaine n’a pas grand-chose à voir avec le fait d’adorer Lucifer ou non, mais elle utilise de façon très futée et ironique son statut religieux, très protégé aux Etats Unis, pour promouvoir, au nom du religieux et des croyances, la lutte contre la pédophilie et les violences faites aux enfants, le mariage pour tou.te.s, les libertés individuelles, avec un sens du happening politique et de la performance qui me délecte. Utiliser les armes des croyants réactionnaires contre eux, avec une talentueuse ironie, c’est brillant !
La monstruosité (au sens étymologique) revient beaucoup dans ton travail, est-ce que c’est aussi une façon de faire une histoire visuelle du queer?
Je dessine pour les queers, dont je fais partie. J’assume une démarche assez communautaire : je m’adresse avant tout à mes paires. Nous avons besoin de représentations, de supports d’identifications. Nous avons besoin de nous représenter. Tu parles d’étymologie – « monstre » vient de « montrer ». Je veux nous montrer à nous-mêmes, nous qu’on montre du doigt. En tant que militante (quand je milite…) je dénonce : je dénonce le système hétérosexuel, le patriarcat, la misogynie ; mais en tant qu’artiste, ce sont des représentations en positif que je veux créer.
Je dessine des corps, des sexes et des sexualités qui sortent de la norme hétérosexiste. Je ne prétends pas à l’exhaustivité, ni donc à une histoire visuelle du queer, mais j’explore et j’extrapole à partir de moi – mon corps, mon vécu, ma sexualité, mes fantasmes, ma socialité. Être queer, c’est se revendiquer en dehors de la norme et refuser de l’intégrer, c’est la questionner par notre existence même, c’est la faire péter à force de la tordre. Je dessine pour les queers, les tordu.es, les freaks. A l’origine du mot, le monstre est ce qui s’écarte de la norme, que ça soit en positif comme en négatif : il n’y pas de différence de nature entre le monstre et la merveille…
Au cœur de tes créa, il y a toujours l’image, politique disons, et il y a aussi l’organique, le vivant dans toutes ses dimensions. Le cyborg, la biomécanique, c’est pas trop ta came on dirait, tu saurais nous dire pourquoi ?
Mmmm bonne question… oui j’ai envie de dessiner du corps. L’univers du cyborg, de la machine en lien avec le vivant, c’est un univers sans doute pertinent à explorer y compris politiquement, mais je laisse faire celleux qui ont quelque chose à en dire. Je n’ai jamais vraiment accroché à la science-fiction, aux univers et esthétiques technologiques, et je n’ai pas réussi à lire le Manifeste Cyborg (!!). J’ai envie de dessiner de la peau, des poils, des corps, des sexes, des fluides, de l’animalité – les liens et le décloisonnement humanité/animalité m’intéressent d’ailleurs plus que les liens humanité/machine. De fait, les êtres non humains, animaux ou chimères, sont, eux, souvent présents dans mon travail.
Ton allure est reconnaissable entre toutes, piercings, tattoo, veuch, poils, et tu t’es mise au tatouage, ton corps est un territoire ? Le corps est un territoire ? De quoi ?
Le couplet sur la réappropriation de son corps, je le fais court on le connait, mais oui, se tatouer et se piercer relève bien sûr de ça : faire sien un corps destiné au regard masculin, à la sexualisation à peine sorti de l’enfance, à la norme hétérosexuelle du ni trop peu ni pas assez. Comme plein de personnes queers et/ou AFAB, j’ai eu des TCA (anorexie en ce qui me concerne), je me scarifiais, bref, tout ce qui est en notre pouvoir à l’adolescence pour faire sien et maitriser envers et contre tout un corps qui semble appartenir au domaine public et à ses normes. Le temps passant, en ce qui me concerne ces stratégies ont évolué et se sont orientées vers une démarche de bod mod plus « apaisée » disons.
Et puis il y a la dimension vestimentaire et « ornementale » : les couleurs, les formes, les motifs. Ça me fait réellement du bien à l’âme de jouer avec, de les voir, de les regarder, de les porter ; c’est physique, les couleurs fluorescentes ou très vives, les motifs qui en jettent, ça m’apporte une grande satisfaction visuelle, physique, ça doit produire une décharge d’endorphines dans mon cerveau. C’est un anti-dépresseur, littéralement.
J’enfonce des portes ouvertes en disant ça mais je vois les drag queens comme des artistes, j’aime cette possibilité de créer un personnage, et le talent que certaines développent autour du costume et du maquillage, c’est très puissant et réjouissant.
Tu mixes depuis un certain temps, et depuis récemment sous le nom de Dj·endër, c’est quoi ton univers musical ?
Il est en pleine construction, parce que je ne viens pas du tout de la musique, au départ. J’écoute des tas de trucs, je sélectionne au feeling, ce qui me fait danser. Hormis la techno, la house, l’électro en général, que je laisse à plus connaisseur.se que moi, je mélange beaucoup de styles différents, que je préfère souvent chantés. Reggaeton, trap, dancehall, hip-hop, kuduro, pop, dance… Et j’essaie autant que possible de passer des artistes femmes et queer, aussi.
Et puis cet été, j’ai eu envie de créer un cadre pour passer des choses pas forcément dansantes, disons moins en vue dans le clubing queer, des choses qu’on écoute chez soi pour poétiser sa dépression du dimanche soir ou sa colère mélancolique, des trucs qui nous reste de l’adolescence, qui n’ont pas autant la classe sur le dancefloor que des beats d’electro hip hop bien foutus mais qui font du bien quand même. Je voulais pouvoir passer des vieux morceaux déprimants de Mylène Farmer, de la witch house, des remixes de Tatu, de l’emorap et du post-punk de maintenant, je voulais mettre de côté le bon goût, et faire un collage post-ringard. Un mélange hétéroclite avec comme fil rouge : qu’écoute mon adolescent.e dépressif.ve intérieur.e ? Dans cette optique d’assumer un mauvais gout teen emo punk, je fabrique des montages vidéos un peu approximatifs, autour de mes obsessions visuelles : des nonnes saphiques, des films de J-Horror, des vieux clips de Mylène Farmer (encore)… J’ai fait la première soirée en août à la Mutinerie, ça a plu, on a remis ça en octobre, et la prochaine « Messe Noire » est pour décembre.
Mixer et dessiner c’est quoi le rapport ?
C’est assez différent en fait, parce que je n’ai pas du tout le même parcours avec l’un et l’autre. Le dessin, j’en fais depuis toute petite et j’ai enchaîné sur des années d’études en arts graphiques, disons que j’ai un bagage professionnel et une pratique qui ne date pas d’hier. La musique, je pars de zéro, aucune connaissance, je n’ai jamais joué d’aucun instrument, mes parents écoutaient peu de musique et surtout des trucs nazes comme Johnny Halliday. Persuadée que c’était un domaine qui me serait pour toujours étranger, je ne m’y suis pas vraiment intéressée avant longtemps, je n’ai pas osé le faire, en rangeant sous le tapis les trois trucs que je pouvais apprécier et qui ne me paraissaient aucunement sérieux ou légitimes.
Passer du son, ça s’est donc fait très progressivement. J’avais juste envie de pouvoir écouter un peu de Riot Grrrls dans des soirées souvent plus orientées électro ou hip-hop, donc je passais quelques mp3 de Bikini Kill et Sleater Kinney. La Mutinerie où je mixe maintenant régulièrement était un endroit où j’ai pu faire quelques sets approximatifs, et *surprise* ça m’a plu ! Alors j’ai commencé à chercher des sons un peu plus sérieusement, à *écouter* ce qui se faisait. Au pif. Si j’aimais bien un truc, je cherchais d’autres sons du même style et je laissais se dérouler les suggestions Youtube pendant des heures. Un univers infini s’est soudain ouvert à moi. J’ai débarqué là-dedans avec la naïveté enthousiaste de l’ignorante et je suis encore à ce stade je crois. Un mélange d’euphorie délicieuse et de gros bails de légitimité à oser prétendre passer de la musique…
Le lien avec les arts graphiques et visuels, il existe quand même, car c’est en majorité par le biais des clips que je découvre des nouveaux morceaux et que j’accroche à un.e artiste. Et comme je te disais, j’ai commencé à projeter des montages vidéos cheap, des boucles de clips, des morceaux de films, pendant certains de mes sets, pour injecter de l’image, une ambiance visuelle. Une vidéo et une musique qui passent ensemble, quelles qu’elles soient, multiplient réciproquement leur pouvoir évocateur, c’est une puissante synergie.
Tu mixes souvent à la Mutinerie, tu y exposes, tu peux nous expliquer ce que représente ce lieu pour toi ?
C’est un lieu queer, pour les trans et/ou les gouines, c’est déjà rare ; et c’est plus qu’une soirée, c’est un lieu pérenne, ce qui nous manque cruellement à l’heure où l’on parle beaucoup de « la fermeture des bars lesbiens » par exemple. C’est un lieu et une équipe que j’aime, que je soutiens, dans lesquels j’ai des implications affectives, que j’ai aidés dans des périodes difficiles, et qui m’ont fait assez confiance pour me permettre d’explorer différentes dimensions de la création – de l’organisation d’évènement de micro-édition à mes débuts en tant que dj amateure.
Deux/trois obsessions ?
les chat.te.s
les couleurs fluo
l’angoisse de la mort
Deux/trois inspirations ?
… les chat.te.s?
… les couleurs fluo ?
… l’angoisse de la mort ?
Un mot d’ordre ?
Ce qui ne tue pas rend plus fort.
Le ridicule ne tue pas.
Le ridicule rend plus fort.
CQFD.
Hot line panne Kdo NO-Hell ?
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