Lancée il y a tout juste un an professionnellement dans le milieu de la nuit, Crystallmess est remarquée rapidement grâce à ses performances au Berghain à Berlin et à la Boiler Room à Paris. Son premier EP autoproduit “Mere noises” est sorti en décembre dernier, depuis rien ne semble arrêter la tornade Crystallmess que nous accueillons le 26 janvier prochain à la Wet For Me Nude Edition lors d’un DJ set qui s’annonce épique. Rencontre.
Crystallmess est une musicienne autodidacte d’origine antillaise et ivoirienne. Issue d’une famille d’immigrés installée dans une cité, ses parents ont d’autres projets pour elle. “Ils attendent de toi que tu les sortes de la merde et non pas que tu deviennes intermittente du spectacle”. Elle compose déjà mais dans son coin, complexée. Etudiante en droit, elle jongle avec un job de journaliste musicale pour les médias Noisey et The Fader. Rapidement les rencontres avec les artistes l’intéressent plus que le droit administratif des biens, elle décide de se dédier à la musique.
Si on l’associe souvent à l’”afrofuturisme”, mouvement de pensée et façon de spéculer sur le futur en prenant en compte son afrodescendance, Crystallmess se réclame du “hood futurism”. Son approche artistique se projette dans le futur (contrairement à la vision franco-française d’africanité qui ressasse son passé douloureux), tout en étant dans le réel, en mélangeant techno, race et modernité à travers les médiums de la musique et de la recherche. C’est d’ailleurs dans cette optique qu’elle a participé en 2018 au cycle Afrocyberfeminisms à la Gaité Lyrique. Elle y a présenté “Collective Amnesia : In Memory Of Logobi”, une performance sur la mémoire des gestes des afrodescendants français avec en fond sonore certains de ses tracks.
“Être musicienne c’est parler à l’enfant qui est en toi, ma musique est intuitive et permet de me réconcilier avec mes identités qui sont multiples”. Comme influences elle cite le zouk, le coupé-décalé, le kompa et les raves party. “Faire exister une africanité dans la techno aujourd’hui c’est antithétique alors que c’est une musique rythmique à l’origine noire, née à Détroit aux Etats-Unis dans les années 80, qui a été coopté par un public blanc”. Ce whitewashing musical a effacé le rôle d’artistes noirs dans l’avènement de la techno, au profit d’artistes blancs tout en participant aujourd’hui encore à un racisme systémique et d’oppressions.
Les oppressions dans la musique ne s’arrêtent pas là, elle nous indique que régulièrement lors de shooting photos de stylistes on omet de lui demander en amont sa taille de vêtement, partant du principe qu’elle fait une taille standard. Comme si toutes les artistes avaient des corps identiques… Pour éviter toute déconvenue, elle prévoit constamment ses propres vêtements pour être assurée de pouvoir faire le shooting tout en mettant en avant ses formes. Autre oppression mais non des moindres, lorsqu’on aborde son âge Crystallmess nous répond qu’“il y a un culte du jeunisme dans la musique, surtout lorsqu’on est une femme… dans l’électro pour l’instant on est plutôt épargné”.
Elle sort dans le milieu queer, où elle se sent le mieux. Ses soirées fétiches ? La Shemale Trouble, la Créole, la Parkingstone. “Tu peux y twerker tranquille, personne viendra te bumper”. Est-ce qu’elle se définit comme queer ? “J’y ai pas forcément ma place. Je suis ultra féminine, noire, fem. La femme noire est toujours représentée dans le milieu queer mais de façon bizarre. Stéréotypée à l’américaine à parler avec les mains, de façon sassy (impertinente ndlr)”. Sans pour autant se définir en tant qu’activiste, elle utilise un langage de militante consciente de ses privilèges : “Je ne veux pas prendre trop de place, je suis cis, valide, queer mais pas lesbienne, mon orientation sexuelle n’est pas affirmée”.
Aujourd’hui bookée par AMS, l’agence de Maud Geffray, d’Aamourocean, Crystallmess souhaite se focaliser sur sa musique, tourner et sortir un EP sur un label “pour le challenge”. Nulle doute que 2019 exauce ses vœux.