A l’occasion de l’exposition Computer Grrrls qui aura lieu du 14 Mars au 14 Juillet, la Gaîté Lyrique donne carte blanche à Barbi(e)turix le temps d’une soirée, samedi 16 mars, consacrée à la musique expérimentale. Nous avons rencontré Flore, Dj et productrice, et Méryll Ampe, sculptrice et artiste sonore, deux des artistes qui se produiront ce soir-là.
“Et si les ordinateurs étaient des ordinatrices ?”, c’est avec ces mots que la Gaîté Lyrique ouvre cette exposition dédiée aux femmes qui évoluent dans les technologies numériques.
En effet, celles-ci ne sont pas bien nombreuses dans les industries scientifiques, numériques, innovantes ou technologiques. Une étude récente a montré qu’en France, seulement 33% des postes relatifs à ces industries sont occupés par des femmes et que 15% d’entre elles sont des diplômées du numérique. Une tendance qui ne se limite malheureusement pas à nos frontières. Cependant cela n’a pas toujours été le cas. Pionnières dans l’informatique, et ce dès les années 50, les femmes ont peu à peu déserté la discipline à partir des années 80. C’est de ce constat qu’est née cette exposition, laquelle donne à réfléchir à un monde numérique plus inclusif et plus diversifié.
Bonjour Flore, qui es-tu ? Quel a été ton parcours ?
Je suis dj et productrice basée à Lyon. Je co-manage le label POLAAR aux côtés de mon pote Marc, label qui existe depuis 5 ans. J’organise également des soirées sous le nom de POLAAR sur Paris et Lyon et à côté de ça, je donne des cours de composition musicale sur le logiciel Ableton Live.
J’ai démarré la production en 1997, à l’époque où les ordinateurs de maison étaient une denrée rare et où le wifi n’existait pas. J’ai découvert le mix un an plus tard. Mes premiers amours furent la drum’n bass et le trip hop, mais assez rapidement mon champ musical s’est ouvert à d’autres esthétiques, break, house, techno… J’ai joué un peu partout en France et en Europe, sur de nombreux festivals comme les Transmusicales, les Nuits Sonores, Electron, Fusion Festival, Glade… J’ai sorti une bonne trentaine de maxis et de remix, et un album, RAW, en 2010 sur le label anglais Botchit & Scarper. Dernièrement le projet qui m’a beaucoup portée, c’est le projet RITUAL que je vais jouer à l’occasion de la soirée Computer Grrls.
Comment définis-tu ta musique ? Qu’est-ce qui t’as amenée vers la musique expérimentale ?
Je dirais qu’avec les années, ce qui m’anime, ce sont les courants musicaux qui se mélangent aux musiques « noires » qu’elles soient hip hop / funk / techno / traditionnel. J’aime l’hybridation et les musiques qui parlent aux fessiers. J’aime également quand les sons synthétiques viennent se frotter aux sons « réels », instrument, voix ou espace réel.
Méryll, qu’est-ce qui t’as amenée à devenir artiste sonore ?
Adolescente j’ai commencé une pratique acoustique, le violoncelle et la batterie. J’étais fan de ces instruments pour leur timbre et effets vibratoires. Puis j’ai commencé des études à l’Ecole Boulle à Paris, pour suivre ma formation de sculpture sur bois pendant 5 ans.
Pratiquer la batterie et la sculpture en même temps m’a questionnée, a produit une rencontre entre ces deux disciplines qui sont pour moi intrinsèquement liées. Elles ont en commun des notions qui m’ont intéressée, les volumes, les rythmes, le relief, la matérialité, la physicalité.
C’est en entrant aux Beaux-Arts de Cergy Pontoise que j’ai pu poursuivre et développer un travail de création plastique et sonore.
Mon travail prend forme à travers des concerts, des compositions, des installations et sculptures. Il s’applique aussi à d’autres domaines comme le cinéma indépendant et le spectacle vivant.
À quoi faut-il s’attendre pour cette soirée ?
Ce sera un live de musique électronique dite « expérimentale » dont les sources sonores proviendront de sons préenregistrés et de machines analogiques. Je conçois mes live en direct, l’improvisation est importante pour moi car j’introduis l’espace acoustique du lieu et le système son comme composantes et filtres. Je n’ai pas tous les paramètres et j’aviserai en fonction de la salle de la Gaîté Lyrique.
Flore, tu vas présenter ton album RITUAL. Quelles ont été tes inspirations, ton état d’esprit, tes émotions ?
J’ai composé RITUAL à un moment très spécial de ma vie. Après pas mal d’années dans le milieu à en voir des vertes et des pas mûres, je me suis questionnée sur ce qui (musicalement) m’avait donné envie de faire de la musique. J’ai eu aussi envie de creuser le rapport entre la/ma pratique des arts, quels qu’ils soient, et le Sacré…. Bref, vaste sujet. Le résultat ce sont donc 3 EP, sortis sur POLAAR, où je renoue avec mes influences, rave, tribale, broken beat, psychédélique… Des influences comme le groupe anglais Leftfield, Pink Floyd ou encore The Knife…. Quelque chose d’assez viscéral, qui parle au corps et à la tête.
Méryll, certains de tes projets sont accompagnés d’installations pour lesquelles tu fais des études et des plans. Est-ce que tu te considères plutôt comme artiste ou plutôt comme chercheuse? Entre l’artistique et le scientifique la frontière semble bien mince. Est-ce qu’on peut dire que ton studio est devenu un labo ?
En effet j’ai étudié des phénomènes acoustiques qui se réfèrent au domaine scientifique mais je pense que l’observation est nécessaire tant au niveau scientifique qu’artistique. Il est nécessaire d’observer son quotidien, son environnement lorsqu’on creuse un sujet. C’est via ce besoin que j’ai découvert et expérimenté des choses pour mettre en forme mon intérêt pour le son, que ce soit l’aspect vibratoire, fréquentiel ou rythmique. Je considère aussi mon studio atelier comme un laboratoire (haha).
A mon sens il n’y a pas de frontière entre ces deux domaines, on a la même démarche, théorie, pratique, recherches empiriques, expérimentations et erreurs, avec un point important, être disponible pour l’inconnu.
Tu construis tes live selon la technique cinématographique du plan-séquence. Peux-tu nous en dire plus? Comment on construit un live comme ça? Tu viens de dire que l’improvisation était importante pour toi, quelle place elle a dans ta musique ?
J’ai trouvé la notion de plan séquence adaptée au développement de ma musique en live. Ce terme plan-séquence est pour moi une intention, la visualisation d’un décor, une manière de dérouler l’action de la musique en direct, pour que je puisse agencer mes matières sonores selon le contexte. Il y a quelques sons préenregistrés que j’ai retenus selon les projets en cours puis mes machines me permettent de jouer avec, je compose en direct avec ces enregistrements et ces apports analogiques. Mais mes live de ne sont pas “programmés”, je joue sans filet, je les prépare juste avant la date, je m’accorde. Mon corps fait également baromètre, des sensations physiques provoquées par les vibrations par exemple peuvent guider ou influencer mon jeu.
Quelles sont vos inspirations ? Sur quoi vous partez pour créer ?
Flore : C’est un mélange de tout, des samples que tu collectes au fils des années, des enregistrements que tu fais au besoin (je sample beaucoup de sources sur youtube par exemple), beaucoup de boulot sur le traitement des sons (j’adoooore les effets et j’aime les utiliser comme une matière à part entière). Le point de départ ce sont les morceaux des EP, mais pour beaucoup, ils sont trafiqués pour l’occasion. Tout ça monté en live, contrôlés par différents outils, un Push2, un Joué, un iPad et quelques autres contrôleurs…
Méryll : J’utilise des éléments acoustiques captés dans mon quotidien et des sources sonores récoltées, enregistrées qui sont travaillés de manière empirique. Je les utilise comme matières, en ajoutant des « outils sonores » : électroniques et analogiques. Des sons comme des bruits de ballon de basket, d’un lecteur cassette ou des éléments de batterie : cymbales, tomes etc. donc le spectre m’inspire et m’ouvre un imaginaire.
L’expérimentation, le processus de création m’interroge particulièrement sur la “chair du son”, j’ai un intérêt permanent pour les volumes, les masses, la rugosité, la porosité, la taille directe, les ponctuations, les limites, qui sont mes points de départ et le lien avec la sculpture.
Flore, qu’est un live 360° ? Comment as-tu préparé ta collaboration avec WSK ? Quelle place a l’image dans ton projet ? J’imagine que ton projet se base sur la pleine connexion entre la vue et l’ouïe ? Qu’est-ce ça apporte au son ?
Ritual est au départ un Live A/V avec une scénographie très spécifique. Pour l’occasion, nous avons adapté notre scénographie à la salle de la Gaîté lyrique, ce sera une première pour nous et j’ai vraiment hâte!
Cela faisait plusieurs années que j’avais envie de travailler avec des artistes vidéos et de travailler sur un contenu vraiment écrit pour l’occasion, avec des choix artistiques clairement affirmés. Sur Ritual, avec les WSK, nous avons travaillé sur les thèmes du symbole, des écritures primitives, avec des sources d’inspiration graphique allant du vitrail, aux cristaux, en passant par l’architecture rétro-futuriste.
Cette soirée s’inscrit dans le contexte de l’exposition Computer Grrls, qui propose une réflexion sur la place des femmes dans les industries techniques, scientifiques et numériques. Qu’est-ce que tu penses de cette initiative, est-ce que tu es optimiste pour le futur ? Selon toi, comment expliquer l’absence des femmes à la technique ? Comment les choses se sont passées pour toi à ce niveau-là ?
Méryll: Je trouve que c’est une très bonne initiative de parler de femmes pionnières, de femmes passionnées qui ont été moteur dans différents domaines et qu’elles ne soient pas évincées. Il est nécessaire de connaître d’autres figures importantes qui ont contribué à l’avancement technologique, à l’histoire.
Ce qui serait bien dans le futur c’est qu’il y ait plus de directrices et de programmatrices musicales et dans tous les domaines culturels confondus d’ailleurs. Des initiatives et collectifs tels que «fair play», «comme nous brûlons» ou le vôtre sont heureusement très actifs et permettent d’augmenter les prises de conscience et visibilité. Mais c’est un long processus d’éducation.
Il y a quelques années, la filière technique était sûrement moins proposée aux femmes, c’était des voies plus prisées par les hommes. Peut-être qu’elles leur étaient aussi moins proposées et moins accessibles. Je remarque quand même lors de mes interventions dans différents espaces artistiques que les femmes investissent de plus en plus ces lieux et des métiers a priori réservés aux hommes. Elles restent minoritaires dans les équipes, mais l’évolution se constate.
Personnellement je n’ai encore jamais ressenti qu’être femme était un frein. Depuis que j’ai commencé je tente de faire ce qui me plaît tous les jours dans mon domaine et de le partager, c’est aussi un choix de vie.
J’ai travaillé et appris auprès de femmes et d’hommes sans constater d’injustice ou de discrimination à mon égard. J’ai pu suivre mes envies sans avoir peur et m’adapter à l’environnement même masculin sans faire de concessions. J’ai surtout évolué dans le milieu artistique, un univers à priori plus ouvert à la diversité.
Flore: Je suis très optimiste pour l’avenir. Tous les jours je rencontre des jeunes (hommes notamment) de 20 piges qui me font penser que le meilleur est devant nous. Aujourd’hui, le rapport entre garçons et filles est vraiment différent d’il y a 20 ans, il s’exprime notamment par le fait qu’aujourd’hui il est vraiment classique de voir des amitiés très solides se faire au-delà des considérations de genre. Chose qui n’était pas forcément évidente avant, pour tout un tas de raisons. Il y a quelques années j’avais publié un billet d’humeur sur mon mur facebook pour critiquer les line ups féminins, ça avait fait beaucoup de bruit. Il faut bien savoir que pendant des années, certains promoteurs (il n’y avait que des hommes à cette époque) usaient de cet argument à des fins marketing, et j’en avais marre de participer à ça, j’étais également complètement saoulée d’être principalement bookée parce que j’étais une femme, et de noter également que certains line ups n’étaient pas à ma portée car je n’étais pas dans le crew d’un tel ou un tel. Depuis quelques années, ma position là-dessus a bougé en même temps que j’étais de plus en plus sollicitée par des femmes organisatrices de soirées, ce qui d’un coup avait un tout autre sens à mes yeux.
Tellement de choses se sont passées ces dernières années! Porté par le mouvement #MeToo beaucoup d’hommes qui tiennent les rênes du business commencent à capter que les femmes ne se laissent plus faire. Je ne supporte plus d’entendre qu’il n’y a pas assez de femmes djs, c’est surtout que beaucoup devraient sortir de leurs habitudes de travail et de penser autrement. Le fait de réhabiliter aussi la présence des femmes dans le secteur des sciences, de la musique, et des arts en général, est vraiment extrêmement enthousiasmant, je trouve notre époque vraiment excitante sur ce point.
Flore, une dernière question: tu as commencé la musique en autodidacte en 1998. Aujourd’hui tu es la première femme française certifiée Ableton Trainer. Qu’est-ce que tu retiens de ces 20 dernières années ? J’imagine que la diversité fait partie intégrante de ton enseignement ?
Je suis arrivée à l’enseignement un peu par hasard. Et j’adore ça. Je ressors toujours de mes sessions de formation nourries des idées et des aspirations de mes élèves, c’est tellement rafraîchissant (et tellement loin du milieu de l’industrie musicale ahaha). Je rencontre des gens passionnés de musique et de technologie et le fait de partager avec eux des techniques qui pourraient les aider à mettre en place leur projet perso me nourrit énormément. Je suis en effet autodidacte. J’ai commencé sur un vieil Atari 1040STE et un sampler, avec comme seul ami le mode d’emploi de Cubase! En 1997, je n’avais pas internet chez moi, donc je squattais le shop de matos de Lyon de l’époque et je leur posais toutes les questions du monde! J’y ai vraiment passé des jours dans ce magasin, car hormis Le Peuple de l’Herbe et quelques djs hardcore ou hip hop, on était très peu à produire sur les machines à l’époque. Ensuite il y a eu l’internet 56ko et les premiers forums. Là c’était déjà un miracle, on pouvait glaner des infos à droite à gauche, continuer à creuser… Aujourd’hui la problématique est inverse, il y a beaucoup de contenus, sur youtube notamment, du coup les gens apprennent au fur et à mesure de leur besoin, quelle chance! Mais je constate que souvent l’apprentissage n’est pas toujours facile et logique, donc j’essaie tant que je peux d’animer des workshops, afin de les aider à trouver leur réponse et à organiser un peu leur pensée.
Flore et Méryll Ampe seront en live samedi 16 mars à La Gaîté Lyrique aux cotés Aïsha Devi, Léonie Pernet, Rag & Raptor. Toute la programmation ICI