Pleurer comme une fillette ? Et comment ! Une récente étude de l’Université de Toronto démontre que les hommes sont plus sensibles à la douleur que les femmes. En même temps, entre mutilations, déni voire mépris, les femmes, les trans et les intersexes sont les spartiates des temps modernes. Petit tour d’horizon de l’ignorance et des violences médicales pour comprendre la nécessité absolue des collectifs qui cherchent à changer le regard de la médecine sur nos corps et nos sexualités. Une question vitale donc.
Clito : le retour
Vous avez toutes et tous étudié en classe sur des bureaux recouverts de pénis, dessins que l’on retrouvait sur les murs, les coins de feuilles. Le pénis c’était cool, il fallait le dessiner partout, on n’a jamais dans l’histoire de l’univers, découvert personne aussi fière, qu’un homme-cis de son pénis. Vous rappelez vous avoir vu des clitoris ? Probablement pas.
Comme l’explique Emma dans sa BD « Check ta chatte », le clitoris a eu ses lettres de noblesse, notamment au XVIe siècle où l’on pensait que fertilité et orgasme étaient liés. Puis il y a eu l’excision, l’humiliation et l’omerta. Au XXe siècle ce dénigrement est renforcé par les théories freudiennes selon lesquelles le clitoris est réservé aux petites filles tandis que les femmes devraient s’épanouir dans les rapports vaginaux. Il crée même le concept d’orgasme vaginal qui n’est ni plus ni moins qu’un orgasme clitoridien (par la stimulation des parties internes du clitoris).
Il faudra attendre 2005 pour que les scientifiques opèrent une première découpe en 3D du clitoris, 2008 pour première échographie de l’organe durant un rapport sexuel, 2017 pour qu’un schéma complet de celui se glisse dans les manuels scolaires d’anatomie (Magnard). Ces « avancées » n’ont malgré tout pas fait l’unanimité comme on a pu le voir lors des réactions face au premier un clitoris en 3D à échelle réelle, grâce à Odile Fillod, utilisé en 2018 dans les collèges et lycées et dont BBX avait fait un article ici. Revendiqué depuis de longues années par le mouvement féministe, un collectif a même récemment décidé de prendre sa revanche en placardant à son tour des clitos sur les murs (le projet « It’s not a Bretzel ») joli pied de nez au tabou clitoridien.
Cachez ce sang que je ne saurais voir !
Ce tabou continue naturellement avec les cycles menstruels. Jusqu’en 2018, les pubs pour les protections hygiéniques utilisaient un liquide bleu pour représenter le sang… la goutte de trop !
D’ailleurs, jusqu’au XXe siècle, nos mères et grands-mères utilisaient des protections lavables. Les premiers tampons sont arrivés dans les années 1920. Ces protections jetables sont alors une grande révolution (pas très écologique) pour les femmes d’alors qui passent déjà beaucoup de temps à frotter. Il faudra cependant attendre les années 80 pour que les centres de recherches fassent le lien entre choc toxique et tampon. Ainsi en 1980 l’entreprise Protect&Gamble doit retirer ses tampons du marché après qu’il ait été prouvé que ceux-ci avaient causé pas moins de 1500 cas de choc toxiques dont 88 décès en un an uniquement aux États Unis. Depuis les chocs toxiques continuent d’entraîner la mort et l’amputation de nombreuses femmes. D’autant que les fabricants de protections hygiéniques n’ont toujours aucune obligation concernant la communication des produits chimiques utilisés.
En 2018 l’ANSE publie une liste de produits chimiques, parmi eux le lindane et le quintozène, deux pesticides interdits en Europe depuis 2000 et qui sont pourtant présent dans les serviettes et tampons. Des produits cancérigènes et de perturbateurs endocriniens entre autres, qui se retrouvent donc en contact avec nos muqueuses, qui les absorbent. Face à ce scandale sanitaire, mais aussi pour des questions écologiques, de nombreuses femmes ont décidé de retourner vers les protections lavables sans produits chimiques, des cup ou même le flux libre. De rares marques commencent à réagir en proposant désormais des protections sans produits chimiques.
Livre d’anatomie pop-up du XVIIe siècle (source)
Les violences obstétricales
Le fait est que le désintérêt manifeste des scientifiques pour les organes génitaux et la santé des femmes se retrouve dans la manière dont est pratiquée la médecine féminine.
IVG
L’IVG a depuis toujours été la pièce maitresse du combat pour la liberté des femmes à disposer de leurs corps. Des siècles et des siècles plus tard il reste encore interdit dans de nombreux pays, et un droit continuellement remis en question. Récemment le SYNGOF, le syndicat national des gynécologue obstétriciens français a appelé à faire la grève des IVG dans le but de faire pression sur un dossier n’ayant rien à voir avec l’IVG : une dizaine de médecins suspendu pour fautes médicales. Le SYNGOF a donc trouvé totalement normal d’appeler au boycott d’une pratique aussi nécessaire que l’IVG pour la santé et la sécurité des femmes pour un dossier personnel. Une fois de plus le corps médical prouve que la santé des femmes passe au second plan. Le SYNGOF n’en est d’ailleurs pas à son premier coup d’essai puisqu’en 2018, Bertrand de Rochambeau, président du syndicat, avait annoncé refuser de pratiquer des IVG qu’il assimilait à des meurtres.
Episiotomie et point du mari
La libération de la parole des patientes ainsi que de certaines personnes du corps médical a permis ces dernières années de se rendre compte de l’étendue des violences obstétricales. C’est en 2014 que l’écrivaine et sage-femme Agnès Ledig attire l’attention du grand public sur quelque chose de bien connu des soignants : l’épisiotomie et le point du mari. Des témoignages viennent appuyer sa déclaration et commencent à montrer l’ampleur d’un phénomène totalement banalisé (notamment cette BD de Juliette Boutant et Thomas Mathieu ou celle d’Emma). L’épisiotomie c’est une incision dans la paroi vaginale lors d’un accouchement qui est ou devrait être pratiquée lorsqu’il y a un risque que l’enfant déchire les parois du vagin en sortant. Littéralement ce que cela veut dire c’est qu’on agrandit votre vagin a coup de scalpel avant de le recoudre, quelque chose d’assez traumatisant donc. Le problème c’est que cette pratique est devenue presque systématique en dépit des séquelles qu’elle laisse : cicatrisation puis douleurs lors des rapports dans de nombreux cas.
Mais ce n’est pas tout, en plus d’être pratiqué de manière un peu trop arbitraire et systématique, certains gynécologues ont pris l’habitude de recoudre l’incision plus serré, afin de donner aux femmes « un vagin de jeune fille », mais surtout donner au « mari » la satisfaction de sensations plus fortes via un vagin plus « ferme ». Non seulement ce « point du mari » est souvent fait sans concertation avec la patiente, c’est-à-dire que l’obstétricien.ne prend la décision de faire une intervention esthétique avec de lourde conséquences sans le consentement de la concernée sans parfois l’en informer par la suite. Beaucoup de femmes se retrouvent à ressentir des douleurs persistantes durant des années, avec une vie sexuelle réduite à néant à cause de ce « lifting » non consenti. 4 ans plus tard après la première alerte, cette pratique, pourtant interdite sans consentement préalable de la patiente, est toujours en vigueur comme en témoigne Émilie.
Viol gynécologique
Vous avez sans doute déjà entendu ces histoires ou les patients se font opérer et marquent sur le membre sain « NE PAS OPÉRER » de peur de sortir du bloc le genou gauche opéré et le droit toujours en vrac. Sachez qu’il aurait été plus prudent de mettre un post-it sur votre chatte ou coincé entre vos fesses « NE PAS VIOLER ». C’est en tout cas ce que révélait Elsa Dechézeaux. Interne en médecine en 2017, elle dévoilait sur son blog que certains médecins demandaient à leurs élèves de procéder à des touchers rectaux ou vaginaux sur des patients·e·s endormi.es et non consentant.es. Autrement dit, vous rentrez pour vous faire arracher les dents de sagesse et vous ressortez sans savoir que vous avez aussi servi de cobaye pour l’équipe d’internes… Ces déclarations ont été corroborés par les témoignages d’autres internes et plusieurs documents officiels venant de différentes Universités françaises destinés aux internes spécifiant que « l’examen clinique de l’utérus et des annexes par le toucher vaginal et le palper abdominal se fera en apprentissage du bloc sur patiente endormie ». Le ton est donné.
Un ton assumé puisque lorsque le CNGOF (collège national des gynécologues obstétriciens français ) a été contacté à ce sujet en 2015, son président Israël Nisand affirmait qu’il ne voyait aucun problème à l’absence de consentement de la/ du patient, en contradiction donc avec la loi (et le minimum de déontologie que tout médecin devrait avoir) qui veut que « l’examen d’une personne malade dans le cadre d’un enseignement clinique requière son consentement préalable ». Dans un entretien pour Slate, Amina Yamgnane, gynécologue obstétricienne assurait même ne connaître aucun étudiant de sa promo qui n’ait appris autrement à faire du toucher vaginal que sous anesthésie de la patiente.
Le corps des femmes malmené
L’endométriose est connue depuis l’Antiquité, elle est décrite notamment dans le corpus hippocratique et on la traitait même avec des produits anti-estrogéniques. Cependant malgré les diverses études et observations faites depuis lors, elle est souvent sous-estimée par le corps médical qui l’associe à une douleur mentale. En effet les médecins estiment que les femmes ont mal pendant leurs règles, rien d’anormal donc. Aujourd’hui encore peu de gynécologues savent déceler l’endométriose, touchant pourtant 1 femme sur 10, et il faut aller voir de rares spécialistes (frais d’honoraire en plus bien entendu) pour obtenir un diagnostic sûr. En parallèle les troubles de l’érection ont été recherchés, étudiés et la commercialisation du viagra a débuté en 1995. De plus, dans le cas d’endométriose il est conseillé aux femmes voulant des enfants de congeler leurs ovocytes. Or en France si les hommes peuvent congeler leurs spermatozoïdes, les femmes sont obligées d’aller dans les pays limitrophes pour le faire, tels que l’Espagne qui est devenue la destination de préférées des Françaises pour congeler leurs ovocytes, mais aussi pratiquer la PMA.
La charge sexuelle sur les épaules des femmes…
Depuis quelques années les femmes font marche arrière concernant la pilule, au grand damne de nos mères qui ont vu son arrivée comme une pas de plus vers la libération sexuelle. Ce qu’elles ne savaient pas à l’époque c’est qu’en échange d’une conscience plus tranquille, on allait les empoisonner à petit feu. On leur avait dit qu’elles seraient plus libres en prenant la pilule, on s’est bien gardé de dire que cette charge sexuelle devrait être partagée avec les hommes. Cinquante ans plus tard, les femmes sont toujours les seules à s’occuper de la contraception dans un couple. Alors même que certains contraceptifs masculins existent déjà, tels que les injections de gel spermicide, vasectomie, slip chauffants. En 2016, alors que les essais cliniques concernant une pilule contraceptive masculine avaient prouvé une efficacité de celle-ci à hauteur des pilules féminines, les essais avaient été précocement interrompus au motif d’effets indésirables tels que : trouble de l’humeur, dépression, perte de libido, prise de poids…
Celles d’entre vous qui prennent des contraceptifs hormonaux sont en train de penser que ce sont les mêmes effets que subissent les femmes à longueur d’années? Eh oui ! Mais le corps médical a conclu que ces effets étaient trop contraignants pour les hommes. Trois ans plus tard, une entreprise américaine vient de conclure la première phase d’essai sur une pilule pour hommes. Les premières réactions de la gente masculine, ont été très critiques face à un médicament qui baisse leur taux de testostérone…
Gynécologie lesbienne, la quoi ?
Pour le concours d’internat en gynécologie par exemple, le livre de référence « Gynécologie Obstétrique » ne possède… AUCUN chapitre sur la sexualité autre qu’hétéro. Rien sur les personnes trans, sur les lesbiennes… Non seulement cette vision hétéro-centrée a pour conséquence de créer un vide dans le domaine des politiques publiques de santé à destinations des personnes LGBTQI, mais aussi une mauvaise prise en charge de ces dernières due à une méconnaissance de leurs situations et spécificités par le corps médical. Ainsi en 2016 un médecin traitant était passé a côté du diagnostique de la syphilis d’un de ses patients au motif que « le patient était homosexuel. Mais pas un homo de type “fofolle” avec des manières surjouées, plutôt un M. Tout-le-Monde. Du coup je n’ai rien vu (ce n’était pas marqué dans son dossier médical ), je n’ai pas cherché à aller plus loin. »
Autre préjugé qui a la vie dure : les gynécologues partent ainsi souvent du principe, qu’un rapport sexuel équivaut à une pénétration. Une femme lesbienne ne pourrait donc pas connaître la pénétration (ben oui, pas de bras pas de chocolat, pas de pénis pas de pénétration!), et que donc celle-ci étant considérée comme vierge, l’examen serait inutile… et l’une des raisons d’un plus grand taux de mortalité chez les lesbiennes et bisexuelles, dont certaines maladies notamment des cancers diagnostiqués tardivement, trop tardivement. Selon un article de Street Press seulement 15% des lesbiennes se protègent alors qu’elleux peuvent tout aussi bien transmettre des IST. C’est pour pallier à ces préjugés que le site gyn&go , annuaire de gynécologues « bienveillants.e.s », a vu le jour. Cependant, les moyens de protection à disposition des lesbiennes restent aujourd’hui encore souvent peu connus et peu accessibles.
De la même manière, la population trans et gay continue d’être les deux groupes les plus touchés par les IST, alors même que moins d’une personne LGBTQI sur deux parle de son orientation sexuelle à son médecin par peur de faire face à des comportements déplacés.
Quant à la PMA, promise par le président français, elle tarde à montrer son nez. La procréation médicalement assistée (PMA), ou assistance médicale à la procréation (AMP), c’est 50 000 enfants qui naissent chaque année en France, mais uniquement pour les couples hétérosexuels puisque celle-ci n’est pas encore ouverte aux couples lesbiens. Les couples lesbiens ou de femmes célibataires ayant assez d’argent partent donc en Espagne ou en Belgique pour suivre la procédure. Ainsi non content de créer des inégalités entre personnes hétérosexuelles et homosexuelles, l’absence de PMA en France creuse un peu plus le fossé des inégalités entre celles qui peuvent payer des cliniques à l’étranger et celles qui ne le peuvent pas.
Les personnes intersexes et trans : entre psychiatrie et mutilations
La santé des personnes trans est encore loin d’être au point. Par exemple, les personnes trans se heurtent aujourd’hui encore à l’approche psychiatrique de la transidentité. Cette approche psychiatrique considère souvent la transidentité comme une maladie plutôt que comme une réponse aux normes sociétales. De plus, lorsqu’illes entament des transitions, illes se retrouvent bien souvent face à des soignants qui sont censés les accompagner alors même qu’ils ne sont pas formés sur ces questions. Leur seule solution pour la garantie d’une bonne prise en charge, reste de se tourner vers des spécialistes de la question. Illes se retrouvent alors hors du parcours de soin, à devoir payer les consultations au prix fort alors même qu’illes font souvent partie d’une population touchée de plein fouet par la précarité.
Cette transphobie ambiante et assumée par le corps médical met en danger les personnes trans. Ainsi alors que les personnes transmasculines suivent des traitements hormonaux (testostérone), il n’existe pas de générique pour ce médicament qui n’est produit que par un seul laboratoire en France. Résultat, depuis 2018, 3 pénuries de testostérone se sont fait suite, certaines durant parfois des semaines. Et tandis que la testostérone est d’usage vital chez les personnes transmasculines sous traitement, les stocks de réserve leur ont été refusés par de nombreuses pharmacies. Les personnes transféminines connaissent le même problème puisqu’il existe aussi régulièrement des pénuries d’hormones féminines. Ces dernières comportent plus de traitements alternatifs, cependant les risques liés au changement de médicaments restent présents.
Les personnes intersexes, naissent avec des spécificités qui font qu’iles ne rentrent pas dans une seule des deux cases : femme ou homme de la société. Dès leur naissance ces personnes sont victimes de cette binarité tyrannique, qui veut que chacun appartienne à l’une autre l’autre case. Ainsi des millions de nouveau-nés sont mutilé.es à la naissance afin, selon le corps médical, de les normaliser. L’expérience de ces mutilations peut bien entendu déboucher sur des souffrances psychologiques mais aussi des problèmes physiques tels que : douleurs, infertilité, etc. Dans son mémoire « De l’objet médical au sujet politique : récits de vies de personnes intersexes», Loé Petit dévoile la réalité des violences subies par les personnes intersexes au cours de leurs vies. Le document est en libre accès ici.
Face aux violences la mobilisation!
Ces dernières années de nombreux collectifs et associations ou individuel·les ont mis en place des moyens de pallier à ces violences et au manque d’informations. Petit aperçu :
Le Collectif « Pour une meuf », formé de soignant.es contre le sexisme propose des ateliers pour lutter contre ses violences. Des collectifs ou associations (FièrEs, Act Up, Tou.te.s contre les violences obstétricales et gynécologiques, inter- LGBT, Au delà du genre….etc. ) mettent en place des permanences/ateliers/conférences sur les sujets divers et à destination des personnes LGBTQI, et le Kiosque Info Sida met à disposition des créneaux de dépistage du Sida réservés aux membres de la communauté.
Le Cabinet de Curiosité Féminine, qui propose des consultations avec des sexologues, des ateliers, des ciné-débats … sur des sujets tels que la place des femmes dans la société et les sexualités.
Créé dans les années 70 par les féministes américaines, le mouvement self help a été le premier à mettre en place des ateliers d’auto gynécologie. Depuis ces derniers ont fait leurs chemins outre-mer, et des collectifs Français (Gyn&co, les Flux) proposent à leur tour des ateliers d’auto-observation afin d’aider les participantes à mieux comprendre leurs corps voire apprendre à faire ses propres frottis.
Le site Gynopédia, sorte de Wikipédia de la sexualité féminine et le le site gyn&go, annuaire de gynécologues bienvaillant.es.
Des pages inspirées de « Paye ta Shnek » ont vu le jour pour dénoncer ce que subissent les femmes dans différentes disciplines ou espaces, telles que « paye ton gynéco », « paye ta gouine », « paye ton psy »…
Le spectacle spéculum sur l’histoire de la gynécologie jusqu’au 4 mai à la manufacture des Abbesses.
Nina Faure et Yéléna Perret ont réalisé le documentaire « Paye (pas) ton gynéco » sur la réappropriation du corps, de la sexualité et de la santé par les femmes. Soirée Ciné-Débat autour du film à Paris le 14 Avril !
Liste NON exhaustive !