Ce texte est un témoignage spontané sur le rapport que j’entretiens avec mon corps et son évolution depuis que je suis toute petite. Il est le résultat d’une réflexion personnelle que je mène depuis plusieurs années. Je ne suis en rien la porte parole de toutes les autres personnes qui luttent au quotidien avec leurs corps mais nous avons en commun notre espace ( le corps) privé devenu public.
( Première partie à lire ici )
Quelques mois parce que ça n’a pas duré. Je suis à nouveau tombée dans le contrôle de mon corps, à vouloir qu’il se meut correctement dans l’espace, à vouloir reprendre entière possession de lui, mais aussi vouloir maigrir encore plus.
Je me suis rendue compte que mon amour propre variait autant que mon rapport à mon corps: parfois je m’en fous complètement mais il suffit que je vois un peu de ventre pour me trouver à nouveau trop grosse. Pourtant, objectivement, je sais que je ne le suis pas. Je fais moins d’une taille 38, j’ai le ventre presque plat, les cuisses musclées, je suis plutôt pas mal mais je ne le vois pas. En fait, je le vois seulement quand je me sexualise.
Je déteste mon corps quand il se meut dans l’espace, c’est sans doute pour cette raison que cela fait des années que je veux commencer à pratiquer le tissu aérien. J’ai peur de manquer de grâce, je veux être gracieuse et fine comme une danseuse, c’était mon objectif. Depuis petite, je me sens comme un boulet, qui essaie de trouver sa place dans l’espace et bouge comme il peut, maladroitement, en cassant des choses, d’une manière qu’on dirait masculine mais sans la force qui devrait aller avec.
Mais j’aime mon corps quand je fais l’amour ou quand je me masturbe, j’aime mon corps quand je séduis, quand je flirte, quand il est sexuel, objectisé. Je me dis même que j’aime mon corps quand je suis harcelée dans la rue par des mecs tout en le détestant aussi parce qu’il provoque. Je me dis que c’est moi qui provoque avec ma jupe courte qui me fait apparement ressembler à une pute. Je me dis que je le cherche en m’habillant ainsi alors que je sais très bien que c’est la culture du viol qui s’est imprégné jusque dans les pores de ma peau, jusque dans mes organes. Je culpabilise dès que je suis harcelée dans la rue, je culpabilise dès qu’un mec me dit que je suis belle, je me sens conne, je ne pas sens pas comme un être humain, je suis un objet.
En 2013, j’avais fait une remarque sur le physique d’une amie, celle ci m’avait prise à part pour me dire qu’elle n’avait pas aimé le fait que je fasse un commentaire sur son corps. Ce soir là j’ai compris que je reproduisais ce que je n’aimais pas qu’on me fasse, alors j’ai arrêté de commenter le corps des autres, j’en ai pris conscience, j’essaie de ne plus faire de remarques ou de commentaires mais c’est hyper imprégné en moi, c’est comme un automatisme et il est difficile de s’en défaire.
C’est cette anecdote qui m’a fait prendre conscience que, toute ma vie on avait fait des remarques sur mon corps.
Jusque là, j’avais tenté différentes choses pour échapper au regard des hommes: j’avais arrêté de me maquiller de manière quotidienne, même au travail afin d’échapper à ces regards concupiscents, ces mecs que j’appelle des DSK en puissance qui se pointaient à l’accueil et me prenaient pour une cruche avec deux seins et une vulve.
Puis je me suis rasée une partie du crâne, mes parents n’ont pas trop aimé, mon ex copine a même pleuré, alors j’ai rasé plus. C’était une libération. Je cherchais à échapper au regard des hommes mais je cherchais aussi à ne plus ressembler à une hétéro, à faire exploser le moule dans lequel je m’étais forcée à être. Même dans mes relations amoureuses avec les femmes je n’avais pas réussi à échapper à ça. Être lesbienne ne nous épargne pas du paternalisme ; les meufs peuvent aussi l’être.
Je sortais avec une fille qui ne se rendait pas compte qu’elle était paternaliste avec moi : elle ne comprenait pas pourquoi j’avais besoin de me raser une partie du crâne, pourquoi j’avais besoin de me ressentir plus queer dans mon apparence, pourquoi j’avais besoin de me faire tatouer, pourquoi j’avais besoin d’expérimenter tout ça. Elle aimait quand j’étais belle et féminine mais pas trop “sinon les mecs me harcelaient dans la rue”, alors que ça n’avait rien avoir. Je n’ai compris qu’après la fin de notre relation que c’était la raison principale de pourquoi j’avais rompu avec elle ; j’ai également compris que je ne voulais plus qu’on me dise quoi faire avec mon corps.
Quand j’arrivais chez mes parents, ma mère me faisait toujours une remarque sur mon corps avant de me dire bonjour : comment j’étais maquillée, rasée, habillée. Bref toujours quelque chose à dire comme si c’était pour meubler la conversation à mon arrivée. Puis j’ai gueulé, j’ai expliqué que j’en avais marre d’avoir à subir sans arrêt ce genre de remarques : trop féminine ou pas assez, c’est bien t’as maigri mais il reste encore ça là et là.
Quand j’ai perdu dix kilos, mon père me faisait toujours des compliments sur la perte de mon poids “ c’est bien là t’es bien, c’est juste tes cheveux rasés là, ça va pas, mais sans ça là t’es bien”. J’ai crié à l’intérieur de moi. Depuis, je gueule. Je ne cherche plus à éduquer tranquillement, c’est trop épuisant, j’ai perdu patience, je gueule.
Je me rappelle que je critiquais les meufs féministes que je qualifiais de violentes à une époque, je pensais qu’elles perdaient dans leur militantisme à perdre patience et à gueuler sans cesse. Mais la violence, elle vient pas de nous, elle est contre nous, tout le temps.
Quand t’es constamment harcelée dans la rue parce que t’es une meuf, que les gens se permettent de te faire remarquer que t’as pris du poids, des seins, que t’en as perdu, quand les gens veulent toucher tes cheveux, tes tatouages, quand on croit que tu le cherches quand tu portes une jupe, quand on te dit “suce ma bite” dans la rue, quand tu entends des gamines de 8 ans dire qu’elles se trouvent déjà trop grosses, quand des meufs sont violées et que seulement 10% de celles qui portent plainte obtiennent un semblant de gain de cause, t’as pas envie d’être patiente. T’as envie de crier, gueuler, pleurer, t’as pas envie d’être pacifiste, t’as envie d’être violente.
Et à ceux qui nous taxent de misandres, on en a rien à foutre, j’en ai rien a foutre. Je ne suis pas là pour passer ma vie à éduquer du pourquoi on en a marre d’être harcelées tous les jours. Ça va de soi.
Alors je suis venere. Pour l’une des premières fois de ma vie, depuis quelques mois, je suis vraiment venere et je l’accepte. J’accepte d’être vraiment en colère et de l’exprimer, je fais plus semblant de rire à une blague sexiste ou homophobe, je n’acquiesce plus. En fait, je n’arrive plus à être dans le compromis.
(Suite et fin la semaine prochaine)
Crédit photos: Ashley Armitage