Covid Daily #4

On va beaucoup tourner en rond, penser, angoisser, rire et ressentir des émotions fortes durant cette quarantaine. Installe toi bien dans ton canapé (tu dois être rodé.e now)  :  le covid daily est de retour baby !

Vendredi 3 avril
20h11. Rue du faubourg Saint Antoine « Bella Ciao » retentit derrière moi en direction de Bastille. Ça fait combien de temps que je n’ai pas vu Bastille ? Je pense à la liberté. C’est quoi être libre ? L’avons nous déjà été ? Notion métaphysique ou politique ? Mais ça sert à quoi la métaphysique sans la politique ?

Samedi 4 avril
Mélina Florès, infirmière au CHU de Montpellier a été mise à la porte par ses propriétaires parce qu’iels avaient peur d’être contaminé.e.s. En biologie, la liberté est synonyme d’organisme en bonne santé. Notre société va t-elle devenir obsédée par la santé ? L’eugénisme sera t-il la nouvelle arme du capitalisme ? En Corée du sud, il y a le traçage des contaminé.e.s pour avertir les personnes qui ont été en contact avec elleux, des thermomètres thermiques dans certains lieux et des applications demandant l’état de santé quotidien des personnes. Castaner a dit que légalement le traçage en France n’est pas envisageable. Est-ce qu’on va vivre avec des minis drones nous surveillant  en permanence comme dans omniscient ? Je ne sais plus si j’attends le déconfinement ou si je suis déjà nostalgique d’avant. Je sais que plus rien ne sera pareil. A l’arrêt du 86 il y a deux bouteilles d’eau en verre avec inscrit : «si tu n’as pas d’eau potable en voilà et courage à toi».

Dimanche 5 avril
J’ai l’impression d’être plus mélancolique le week-end. Pourtant lundi ne vient plus. Il y la queue devant la boucherie. Mais pourquoi les gens mangent-ils encore de la viande ? Dans la rue les corps qui courent pullulent. Est-ce que courir c’est être libre ? Ces corps en mouvement robotique cherchent à se convaincre qu’ils sont libres mais je les trouve présomptueux et agressifs. Afficher sa bonne santé, son corps valide invincible, intouchable, inaliénable. Ce corps épris de liberté qui traverse la pandémie et se fout du reste. Il n’y a que Descartes pour affirmer que la liberté de penser est inaliénable. Quand tu te places du côté du dominant tu ne te sens jamais vulnérable. Faire de l’exercice je comprends cela parce que c’est une des choses qui me manquent le plus. C’est cette attitude viriliste qui me dérange.
L’occupation de l’espace pendant le confinement me fait souffrir encore plus qu’avant. Il y a les hommes qui ne se poussent pas, qui ne respectent pas les distances de sécurité, qui crachent, qui toussent sans se couvrir la bouche, qui ne se sentent jamais vulnérables. Il y a les classes aisées qui pensent encore plus que tout leur est du, il y a les familles hétérosexuelles qui occupent encore plus triomphalement les trottoirs. Il y a le bruit tous les soirs et ces visages béats comme s’ils venaient de sauver l’humanité. J’ai peur de ne plus désirer les autres.

Lundi 6 avril
Quelques fois, je parviens à me déconnecter complètement, à presque oublier ce qu’il se passe. Ma manière de rester libre. Mais à quoi me sert ma liberté  sans les autres ? Est ce que nos désirs vont changer ? Va t-on désirer uniquement l’identique ? Est-ce que les visages humains vont disparaitre ? Je ne m’habitue toujours pas aux masques. Lorsque je regarde un film et que les gens sont proches ou se touchent je me dis «ah ils n’ont pas de masques» ou «attention trop près». La production audiovisuelle est à l’arrêt. Est-ce qu’il va y avoir pénurie de séries ? Est-ce que nos matérialités vont disparaitre et laisser place aux images de synthèse ? Y aura t-il encore des actrices et acteurs ? Que vont devenir nos émotions ? Y aurons-nous encore accès ? J’ai remarqué que nous avons moins besoin les uns des autres, que nous communiquons moins qu’au début. L’étrange sensation de dériver dans l’espace alors je regarde Star trek discovery à nouveau. Vulcain me manque plus que la terre aujourd’hui.

 

Mardi 7 avril
La super lune rose annonce un changement massif d’énergie. Je voudrais que le monde change mais nous plus encore. Les infirmier.e.s se protègent avec des blouses de sac poubelle. Vous trouvez ça normal vous ? Comment s’indigner lorsqu’on est confiné.e ? Elle sera comment la révolte ? J’espère qu’il n’y aura plus d’élections ni de gouvernement. Que tout va changer , que nous ne désirerons plus l’identique. Pourtant je sais que le capitalisme triomphe et que l’état assiège sa suprématie. Que cette dérive totalitaire du confinement annonce un futur encore plus dur parce que les dominant.e.s n’ont aucun intérêt à abandonner leur place.
Y a t-il des enfants qui naissent pendant le confinement ? Ça se passe comment ? Je ne pense plus trop à la Wet parce que ça me semble loin et que la Pride risque fort d’être annulée. J’ai changé. J’arrive à voir le chemin parcouru et à être fière de moi. Mais sans les autres et la vie libre ça sert à quoi ? Je ne sais pas l’ampleur du trauma collectif et individuel mais je le redoute. Nous sommes contraint.e.s à l’isolement et notre expérience aux autres est déjà en train d’être chamboulée.


Mercredi 8 avril
Aujourd’hui c’est Pessa’h, la libération des hébreux de l’esclavage égyptien. C’est aussi ce qu’il me reste de mon père, le judaïsme que je connais si peu parce que la suprématie blanche n’est pas qu’une couleur. Ce que les juives et les juifs fêtent à Pessa’h c’est la liberté et l’émancipation. Après des décennies d’esclavage sous les pharaons d’Egypte, Dieu envoie Moïse. Pharaon refuse d’obéir aux avertissements divin alors commencent les 10 plaies dévastatrices. Lorsque les nouveaux nés égyptiens meurent, Pharaon libère enfin le peuple juif. Mais la sortie d’Egypte n’est pas l’élément fondateur du judaïsme. Avant le don de la Torah, le judaïsme n’existait qu’en tant que relation unipersonnelle entre personnages emblématiques. La liberté est le principe précédent le don de la Loi. Dans le rituel de Pessa’h, 4 coupes de vin doivent être bu accoudé.e sur le côté gauche, symbole de désinvolture mais surtout d’égalité dans la liberté.
Y a t-il un passage définif de l’état d’esclave à libre ? Lévinas disait «La liberté consiste à savoir que la liberté est en péril». Rien n’est jamais acquis et la liberté requiert une vigilance permanente, un combat perpétuel. Nous avons la responsabilité individuelle du changement. L’état nous a abandonné depuis longtemps et son but n’a jamais été de nous protéger. La première révolution commence par nous-mêmes.  Avant de penser au collectif pensons à notre responsabilité, à la possibilité de nous libérer de ce système et de ne plus le désirer. La peur de la mort aujourd’hui nous menace et nous rend esclave ( «Il n’y a pas de liberté pour l’homme tant qu’il n’a pas surmonté sa crainte de la mort», Camus). Allons-nous apprendre enfin de l’histoire ? Que l’on soit croyant.e ou pas, tout a déjà été dit dans les religions, les livres, l’histoire, etc. Quand donc allons nous ouvrir les yeux ?


Jeudi 9 avril
Jennifer Walker a été arrêtée alors qu’elle léchait des produits alimentaires et des bijoux dans un supermarché de South Lake Tahoe en Californie. Elle n’avait pas les moyens de payer la viande et l’alcool qui se trouvaient dans son caddy. Peut-être avait-elle aussi une santé mentale fragile. Fin mars, un américain s’était filmé dans un supermarché en train de lécher des déodorants en disant : « qui a peur du coronavirus ?»  Les internautes ont tellement dénoncé la vidéo que les autorités l’ont placé en garde à vue pour terrorisme au second degré. C’était vraiment une absurdité ce geste mais la délation c’est la consécration du totalitarisme sécuritaire. En Belgique, Virginie a été dénoncée par ses voisins pour avoir hébergé un ami précaire. La police est intervenue.

A Béziers, un homme interpellé par la police parce qu’il ne respectait pas le couvre feu est décédé pendant sa garde à vue à 23h30. Castaner ne pense plus que légalement le tracking est difficile à mettre en place juridiquement et on parle du StopCovid comme d’une réalité. Certain.e.s disent même être rassuré.e.s.
Nous sommes entré.e.s dans une faille spatiotemporelle où la dystopie est devenue notre réalité. Allons nous jeter les malades hors de la cité ? Allons nous désobéir et nous organiser ? Marseille est la ville qui dépiste le plus au monde. 91% des patient.e.s traité.e.s à la chloroquine ont obtenu une guérison virologique. On peut se questionner sur le personnage Raoult mais pourquoi ne pas tenter quelque chose ? L’état nous dit de ne pas porter de masques alors que l’OMS le préconise. Pourquoi ne pas sauver celleux que nous pouvons plutôt que de ne rien faire ? J’y connais rien du tout en médecine, c’est vrai.  Mais je porte en horreur cette fiction patriarcale qui encense ses nouvelles et nouveaux  héroïnes et héros qu’elle méprise plus que tout depuis trop longtemps. Il n’y a que le patriarcat pour avoir besoin d’héros et d’héroïnes et se dédouaner de toutes responsabilités en nous saupoudrant de culpabilité cette plaie de l’inaction et du maintient des inégalités.
En septembre ça fera un an que je n’ai pas vu ma mère. Est-ce que c’est encore loin septembre ? Deux baleines ont été aperçu dans les calanques à Marseille. Grâce au confinement les agneaux de pâques vont rester en vie. Des personnes fabriquent des masques avec des imprimantes 3D pour aider les hôpitaux. Nous avons toutes les ressources en nous pour un monde meilleur. L’état n’est rien sans nous. Est-ce que l’espoir renait ?

 

Delphine

Extraterrestre passionnée de métaphysique et de pizza, elle parle de féminisme, cinéma et surtout de l'invisible.