A 23 ans, Charly vit chez ses parents en zone rurale. Si son entourage a accepté son homosexualité, son quotidien reste solitaire, loin de la vie militante et festive des grandes villes. Réflexions autour de la solitude en rase campagne.
Je me penche ce soir sur une question que j’ai mise en suspend durant très longtemps, pas forcément le temps d’y travailler ni de me plonger dans cet enchevêtrement de faits et de sensations plus ou moins douloureux.
Le fait est que les dernières péripéties de la manif contre le mariage et les droits des homosexuels auront eu raison de moi. Paf, en plein dîner familial voilà que je me mets à pleurer sans raison apparente, rejetant mon assiette de soupe le plus loin possible de mon nez pour m’enfoncer tout à mon aise dans ce gros chagrin. J’ai 23 ans et pour une fois depuis très très longtemps, j’ai eu l’envie de me faire bercer et apaiser par mes parents, de me sentir un peu couver et d’entendre ces petits mots magiques tels que « ça va passer, tout va s’arranger ». Pour tout secours j’ai eu le droit à « il faut t’endurcir ». M’endurcir, comme si je ne l’avais pas déjà tant fait.
Me voilà à présent dans ma chambre, le mascara encore dégoulinant, et la gorge quelque peu roussie par toutes les clopes de détresse que je me suis enquillées. Je me dis qu’il faut peut-être que je remette les choses en place, pour ne pas passer pour une grande fragile pleurant à chaudes larmes parce que quelques imbéciles arriérés sont de nouveau dans la rue avec leurs drapeaux bleus et roses. Je pense juste que c’était la goutte de trop. Cette petite goutte d’intolérance et de mépris.
Je me revois, devant les actualités avant de passer à table, rongeant mon frein devant ces images et ces banderoles : La France a besoin d’enfant, pas d’Homosexuels et tutti quanti. J’en ai marre de toujours me sentir rétrogradée à une classe civique de seconde zone parce que je ne coucherai jamais avec un homme. Mais surtout, surtout, j’en ai marre de ne pouvoir aborder ce genre de sujet avec des personnes qui me « ressemblent » qui sont soumises au même genre de censure et d’insulte, au même souci.
Dans la zone périurbaine où je vis depuis l’enfance, je me sens seule. Je n’ai peut-être pas cette chance de vivre dans une métropole française où il semble parfois suffire d’aller dans un bar à la nuit tombée pour « enchaîner » les rencontres et se sentir vivre. Vivre en communauté.
Ici, je suis seule. Seule face à mon homosexualité. Certes tout le monde autour de moi s’accorde pour dire que je suis normale. Que l’homosexualité est normale. Que tout va bien. Il y a ceux qui tiennent ce genre de discours, et qui sont d’autant plus fiers d’avoir une « amie lesbienne » pour une raison que je ne préfère même pas creuser. Il y a ceux avec qui je peux en discuter, qui m’aiment comme je suis, mais qui ont leur vie, leur vision, et qui ne connaissent pas toutes ces sensations. Il y a aussi mes parents qui tiennent plus ou moins ce discours, mais à bout de lèvres parce qu’au fond, je sens bien que ça les fait chier. Et puis il y a les autres qui affirmant que tout est normal, ne voient pas pourquoi il faudrait alors se donner la peine d’en parler.
En y réfléchissant bien, personne ne semble comprendre ce qui me tourmente. Personne,ici, ne comprend vraiment quand je parle, quand j’essaie de démontrer par A+B que ma vie est compliquée. Qu’en société, eux et moi, on n’est pas à égalité. Que lorsque je change de cursus universitaire ou que je commence un nouveau stage, je suis obligée d’attendre, de tâter le terrain parfois durant des mois, avant de parler réellement de moi, de qui je suis, de mes valeurs et de ce qui me tient à cœur.
Alors il y en a qui me disent « De toute façon, c’est ta vie privée, ils n’ont pas besoin de savoir ». Pourtant, eux, ils ne réfléchissent même pas une seconde lorsque dans la conversation un « mon copain » ou « ma copine » sort de leur bouche. Il semblerait que ce qui relève et justifie du privé, soit différent lorsqu’on parle d’hétéro ou d’homosexualité. Chez mes amis, les sujets de conversations sont naturels. Tout est naturel. Mais pour moi, rien ne l’est. J’ai toujours le cœur qui se sert et l’impression d’entrer dans un tunnel sans fin lorsque je finis par confier que j’aime les filles.
Des coming out les uns après les autres et toujours devoir répondre à des questions de plus en plus crasseuses, à avoir le sentiment d’être un sexe et non une personne à part entière. Devoir gérer, prévoir deux coups à l’avance, trouver les mots, souffler un grand coup, dire ce que je suis ou qui je suis, à répétition : ça m’épuise.
Et je me sens seule dans mon patelin paumé, dans mon université de banlieue. Et je me sens de plus en plus seule au milieu de mes amis. Mes amis, tous hétéros, avec leur « vie normale », « leurs soucis normaux » et leur discours adorables mais tout de même déconnectés de ma réalité. Et j’ai honte parfois. Parce que j’ai la désagréable impression de trop en demander, de ne pas être satisfaite de ce grand amour qu’on me porte déjà. De me sentir cruellement seule alors que je suis entourée. Suis-je ingrate ?
Je leur en ai parlé à demi-mots, essayant de gommer au mieux les contours anguleux de mes sentiments, pour ne pas les incommoder ou leur donner l’impression de leur cracher dessus, parce que ce n’est absolument pas le cas. Parce que je me sens juste en décalage avec leurs préoccupations, avec leurs acquis aussi, avec le mode de vie qu’ils ont depuis leur naissance et qui n’est pas tout à fait le mien.
Ils m’ont tous donné le même conseil « tu n’as qu’à sortir sur Paris, on est pas si loin que ça, va dans des bars, va dans des soirées gays, tu rencontreras forcément du monde avec qui parler et te lier d’amitié ». Sortir, oui, mais avec qui ? Seule ? J’en ai fait des Wet For Me, seule au milieu de la foule dansante, me demandant bien au final ce que foutais là, avec la sensation de LED clignotantes collées sur le front et indiquant ‘ Bonjour, je suis seule : en recherche d’ami tout comme moi avec qui parler de la vie autour d’un verre »
Sentiment désagréable d’avoir refait un bon dans le temps et de me retrouver errante au milieu d’une cour de collège. Seule au milieu des néons, essayant de me fondre le plus possible dans le décor tout en regardant ces groupes de filles et de gars venus, ensembles, prendre du bon temps.
La vérité, c’est qu’à chaque fois que je leur ai proposées, mes amies ont décliné, les soirées gays, ce n’est pas leur monde, et même si elles ne me l’ont jamais dit explicitement, je sais aussi qu’elles ont peur de se faire aborder ou « tripoter ». Alors j’attends le premier RER A de 5h, seule. Et je retourne à ma vie quotidienne hétéro-centrée.
J’ai fait mon coming out à 19ans. Je suis fière de ce que je suis, de faire partie de la communauté LGBTQ. Mais je ne me suis jamais sentie aussi seule. Seule dans mon petit monde périurbain, au milieu de tous mes copains et copines d’enfance et d’adolescence qui comprennent sans comprendre. En acceptant il y a cinq ans de cela qui j’étais, je ne pensais pas devoir un jour me demander, si je devais abandonner le monde dans lequel j’avais grandi et que j’aime, pour me trouver une place où je me sentirais peut-être plus heureuse. Je me demande quel sacrifice m’amputerait le moins.