Qu’est-ce qui différencie l’amour de l’amitié ? Qu’est-ce qui fait qu’une relation sera amoureuse et une autre amicale ? On dit souvent que l’amitié homme/femme n’est pas possible car subsiste, toujours, le désir charnel. Et entre lesbiennes ?
Alors que l’on sait qu’il existe des couples platoniques et des personnes asexuelles qui ne ressentent pas le besoin de faire l’amour, le sexe reste le repère pour différencier amour et amitié. On ne couche pas avec ses amies. Pourtant, certaines relations amicales peuvent atteindre un tel point de fusion qu’elles s’apparentent à de l’amour. Est-ce pour pallier notre difficulté à définir nos sentiments que nous nous réfugions dans des catégories toutes faites ? N’y a-t-il pas un spectre de nuances entre amour… et amitié ?
Parmi tant de relations qui ne trouvent pas de définition, il y a celle qui se situe entre l’amitié fusionelle et le sentiment d’amour. La relation est souvent platonique mais traversée par l’envie d’être physiquement proche de l’autre. L’entente et la fusion peuvent être émotionnelle, physique ou intellectuelle. Peu importe, la seule chose qui diffère c’est que les deux personnes engagées ne souhaitent pas vivre une relation comme celle que l’on vit en couple.
Peut-on parler d’âme sœur platonique ? C’est ce que ressent Lympia pour une amie :
« Je ressens un amour super fort pour une de mes meilleures amies qui est comme mon âme sœur. C’est une amitié amoureuse et c’est une sensation que j’ai souvent eue pour certaines de mes amies. Il y a un désir tactile, de se faire des câlins, de s’embrasser mais ce n’est pas un désir sexuel. J’appelle ça une amitié amoureuse parce que je n’envisage pas une relation de couple avec cette amie / ces amies en général, c’est même une sensation très compliquée pour moi parce que j’ai l’impression que ça me fait perdre la tête. Ça me donne envie d’être là pour l’autre, de l’aider à tout prix. Je me sens très amoureuse de cette « âme sœur » justement et j’ai l’impression qu’elle me fait perdre la tête, c’est lié pas mal à un désir de protection aussi. Je trouve tout ça très étrange mais intéressant en terme d’émotions parce qu’on voit bien que les émotions affectives ne rentrent pas toutes dans le cadre « amour » ou « amitié ». »
Mouette et Sylbao partagent également une amitié inqualifiable :
« Les relations sociales, je les ai un peu prises à l’envers : plusieurs amours, une seule amie proche. Situation atypique et relation atypique, donc. Mais il faut dire qu’on est toutes les deux pas très typiques : on est sur le spectre de l’autisme, donc on n’intègre pas automatiquement les normes sociales. Pour moi, au moment de la rencontrer, l’amitié n’était pas motivante. Avec une fille, je voulais juste obtenir un maximum. Aucune restriction, aucune interaction interdite. Si je n’arrivais pas à coucher avec elle, à être désirée par elle, je me sentais entravée et pas assez aimée. Je reconnais que ce point de vue était binaire et un peu réifiant. Il a évolué, heureusement. Je pense que c’était une suite logique, avec mon fonctionnement, à des années d’exclusion.
Quand mon amie est entrée dans ma vie, je n’allais pas très bien. J’avais toutes ces filles, avec qui mon discours était complètement calibré pour attirer. Mais je ne connaissais personne avec qui parler de mes intérêts et de moi, sans limite, sans enjeu de séduction, avec qui cela puisse tellement faire écho. Alors, on peut trouver paradoxal que je choisisse pour amie une fille aux tendances lesbiennes assumées… Mais je pense que c’est justement parce qu’elle est queer que cet écho a pu être aussi fort. Et avec elle, ces autres relationsont connu une révolution. La réflexion sur nos souhaits et nos émotions, le simple dialogue entre deux amies, a contribué à me mener, doucement et sûrement, vers moins de manipulation, plus de satisfaction et de nuances. »
Peut-être est-ce justement parce qu’il n’y a pas de jeu de séduction que ce genre de relation est possible. La séduction se place ailleurs. Aucune relation ne coule de source, les relations se travaillent, demandent de l’effort et du temps, peu importe la forme de la relation, mais ici, la relation n’implique pas de forcément vouloir coucher avec l’autre. Est-ce suffisant pour en faire une relation qui diffère de la relation amoureuse ? Comment vit-on ce genre de relation quand nous sommes déjà en couple, est-ce compatible ?
Pour Mouette, le couple n’a pas été un obstacle :
« Drôle de hasard, on habitait à quelques rues, on passait des heures à se parler par messagerie instantanée, la personne avec qui j’étais à l’époque se levait la nuit pour me dire de venir me coucher, on passait notre temps à s’envoyer des textos […] Elle est la seule à comprendre exactement ma vision du féminisme et mon exaspération face au monde. Je la trouve très intelligente et très fine aussi, et quelque part, je suis un peu flattée qu’elle soit mon amie. J’ai fait le choix d’être peu entourée car je n’aime pas les relations superficielles, et avec Sylbao, je suis très fière d’avoir fait ce choix ».
Pour Tiphaine en revanche, la relation fusionnelle qu’entretenait sa petite amie de l’époque avec sa meilleure amie, lesbienne elle-aussi, a été source de jalousie et d’angoisse, qu’elles ont réussi à surmonter :
« Je sortais avec X depuis quelques mois, quand elle s’est entichée d’une fille, appelons là Y, qui lui ressemblait beaucoup physiquement. Elles avaient toutes les deux les cheveux noirs, courts, elles étaient grandes et maigres, quand on les voyait côte à côte, on se disait « on dirait deux soeurs ». Elles ont commencé à sortir en boite ensemble, elles se voyaient beaucoup, toujours dans un contexte très festif. X était très discrète, Y super extravertie, elles se complétaient bien. Le souci, même si je m’entendais bien avec Y, c’est que je n’étais pas tout à fait sereine. J’ai passé plusieurs semaines dans un état de paranoïa, à épier tout geste déplacé, à palpiter quand elle recevait un texto d’Y tard le soir, elle me demandant s’il y avait plus que de l’amitié. Au final, après une phase de fusion intense, elles ont fini par s’éloigner et j’ai pu retrouver ma copine, non sans le sentiment qu’il lui manquait quelque chose. »
Elsa, elle aussi, a mis son couple entre parenthèse quand elle a rencontré Elise :
« Soudainement, je dois avouer que ma copine de l’époque n’était plus ma priorité. Je ne ressentais absolument aucun désir pour Elise (d’ailleurs ça me dégoute rien que d’y penser) mais j’étais irrésistiblement attirée par elle. C’était un coup de foudre ! L’amie que j’avais toujours voulu avoir. Je voulais lui parler tout le temps, je ne pouvais pas passer une journée sans elle, j’étais jalouse quand elle passait du temps avec d’autres filles, mais bizarrement, pas jalouse du tout qu’elle passe du temps avec son amoureuse ! Ce qui me pesait, c’était de ne plus être SA meilleure amie. Ma copine à moi n’a pas trop digéré cette amitié fusionnelle, me reprochant de m’investir plus avec Elise qu’avec elle ! Aujourd’hui, j’ai une nouvelle copine, Elise s’est installée avec la sienne, et même si on se voit moins qu’avant, on s’envoie au moins un petit message tous les jours. »
Il y a des personnes avec qui tout est fluide, avec qui la compréhension mutuelle se fait de manière automatique. Les deux personnes partagent une expérience de la vie, un expérience des choses de manière similaire. C’est peut-être cette connexion soudaine et sortie de nulle part, comme un coup de foudre, qui rend cette relation si spéciale. Il n’y a pas d’enjeu sexuel, juste une étrange impression que cette personne pourra nous comprendre.
Je me souviens moi-même d’une rencontre de ce type, à l’époque où je vivais au Canada, en serrant la main de cette femme à qui on me présentait, je sentais qu’on avait des choses à se dire, comme un truc un peu surréaliste. Parfois, ce sont des coups de foudre amicaux presque amoureux, parfois ils sont amoureux et sexuels. Peu importe leur forme, leur nom, ce sont des relations qui nous transcendent et auxquelles on donne, je crois, peu de place et d’importance dans une société dans laquelle tout se met dans des cases.