Le 7 décembre 1948, « la Déclaration universelle des droits de l’Homme » de l’ONU, dont l’un des principaux auteurs était le Canadien John Peters Humphrey, était adoptée. Ironiquement ce 60eme anniversaire, est aussi le jour de la publication des conclusions du Comité contre la torture de l’ONU, concernant l’affaire des stérilisations forcées canadiennes.
L’histoire éclate en novembre lorsque le rapport publié par l’Autorité Régionale de Santé de Saskatoon, au Canada, met en lumière la stérilisation forcée de plusieurs femmes autochtones, descendantes de communautés originelles.
Ce rapport fait suite à la publication d’une étude de Judith Bartlett et d’Yvonne Boyer en 2017 mettant en lumière la stérilisation contrainte de plusieurs femmes dans la ville de Saskatoon. Selon les témoignages des victimes recueillis depuis, le personnel médical faisait pression sur les patientes, souvent en plein accouchement, pour leur faire accepter la stérilisation que ces dernières ne pensaient pas définitive. D’autres affirment avoir eu l’interdiction de voir leurs nouveau-nés tant qu’elles n’avaient pas accepté de signer les documents.
Depuis, plusieurs femmes autochtones de la province ayant subi les mêmes expériences sont sorties de l’ombre élevant le nombre des victimes à un peu moins d’une centaine. Madame Boyer, aujourd’hui sénatrice de l’Ontario, affirme que ces cas ne sont pas isolés et demande que l’ouverture de l’enquête dépasse les frontières provinciales pour devenir une enquête nationale.
L’histoire recèle d’exemples de stérilisation forcée. En France, et pas plus tard qu’en 2012, 15 jeunes femmes possédant toutes un handicap mental léger ont dénoncé devant le Parquet d’Auxerre avoir été stérilisées à leur insu.
Si les personnes ou communautés ciblées sont très diverses, elles possèdent pourtant toutes un point commun : elles font partie des minorités. Ainsi la quasi-totalité des pays occidentaux a mis en place la stérilisation des personnes dites « handicapées ou déficientes mentales » au cours de leur histoire. À l’époque la notion de handicap était un terme fourre-tout qui permettait de regrouper toutes les personnes dites « déviantes » ou qui ne rentraient pas dans la norme imposée. C’est-à-dire les personnes issues des différentes minorités de genre (personnes LGBTQI+), les personnes ayant des particularités neurologiques /cognitives /émotionnelles, les personnes racisées etc. Autant de spécificités que les politiques eugénistes auraient bien voulu effacer de l’histoire de l’humanité.
Il ne faut pas oublier que le Canada, tout comme la majorité des puissances européennes coloniales, a eu une politique extrêmement dure envers les autochtones (appelés aussi les Premières Nations) menant même jusqu’à leur génocide.
À leur arrivée en Amérique du Nord, les Français et les Anglais, alors en pleine guerre en Europe, nouent des alliances avec les tribus autochtones et très rapidement le Royaume-Uni et la France se font la guerre par tribus interposées. Lors de la colonisation, les terres et les richesses sont confisquées aux autochtones qui sont entassés dans des réserves. Les enfants sont envoyés de force dans des pensionnats anglais où ils subiront violence physique, sexuelle, psychologique. Leurs droits sont supprimés et ils seront désormais considérés comme des citoyens de seconde zone. Quant à ceux qui ont le malheur de se révolter, ils sont écrasés par l’armée et les survivants sont condamnés et emprisonnés sans jugement. Quatre siècles plus tard, le statut des autochtones a évolué. En 1960, ils obtiennent le droit de voter aux élections fédérales, et à la fin des années 90 les derniers pensionnats sont définitivement fermés. Pourtant si évolution il y a, l’égalité est encore loin.
Tous les chiffres sont clairs : les communautés autochtones sont beaucoup plus touchées par la pauvreté, le chômage, l’échec scolaire, la mortalité infantile, leur espérance de vie est même de 6 ans plus courte que le reste de la population. Les femmes autochtones sont en première ligne de ces statistiques, se plaçant comme le groupe d’individus le plus fragile du Canada. Et pourtant malgré cette violence et cette précarité quotidiennes, les Premières Nations et leurs conditions de vie sont totalement absentes du champ médiatique.
Il faut attendre 2016 pour que Patricia Hajdu, alors ministre de la Condition féminine, annonce que pas moins de 4000 femmes autochtones ont été assassinées ou portées disparues entre 1980 et 2012, des disparitions et des morts toujours non élucidés à l’heure d’aujourd’hui. Ces femmes étaient des cibles de choix. Issues des classes sociales les plus précaires, leurs disparitions n’éveillaient que très rarement l’intérêt de la police canadienne.
On remarque que l’idéologie coloniale reste aujourd’hui encore très forte dans les institutions canadiennes qui portent en elles une violence systématique envers les communautés autochtones totalement invisibilisées dans le paysage politique et médiatique. Cette dernière affaire est symptomatique d’une société toujours ancrée dans son idéologie coloniale. En 2018, au Canada, les femmes autochtones sont toujours victimes de la double peine que leur sexe et leurs origines leur font porter, premières victimes de l’idéologie misogyne et xénophobe qui imprègne encore nos sociétés.
En parallèle de la saisie du Comité contre la torture de l’ONU, le cabinet Maurice Law (le premier cabinet d’avocats autochtone du Canada) a porté les médecins impliqués, l’Autorité médicale du Saskatchewan ainsi que le gouvernement canadien devant les tribunaux.
Cette affaire est la première étape pour une condamnation internationale de cette pratique qui n’est malheureusement pas l’apanage du Canada et qui continue aujourd’hui encore de faire des victimes.
Pour approfondir :
– Le livre de Karen Stote An Act of Genocide: Colonialism and the Sterilization of Aboriginal Women.
– Le Roman autobiographique de Leilani Muir, première femme autochtone à attaquer la province de l’Alberta pour sa stérilisation forcée lorsqu’elle avait 14 ans, A Whisper Past: Childless after Eugenic Sterilization in Alberta.
– L’article « The Indian Health Service and the Sterilization of Native American Women » publié dans American Indian Quarterly.
Roxanne Valin
Globe-trotteuse et passionnément tête en l’air, elle adoucit son coté radical par son amour des chaussettes pilou pilou et des macarons pistache. Elle parle genre, lutte des classes et patriarcat sans invitation. Sa devise » the personal is political ».