En 2017 la compositrice et chanteuse américaine Lana Del Rey partageait sur Twitter une publication faisant allusion à des rituels de sorcellerie pour venir à bout du président Donald Trump. Si on attend toujours de voir disparaître son gros toupet jaune dans une grande fumée verdâtre, on le sait désormais « L’avenir est femme, l’avenir est sorcière ». C’est ce que nous murmure la voix de la conteuse à la fin du film Les Garçons Sauvages (Bertrand Mandico, 2018).
La sorcière préférée de Mandico, c’est Elina Löwensohn, actrice et acteur fétiche en même temps, le réalisateur lui donne à interpréter des rôles féminins et masculins (il est le premier à lui avoir proposé des rôles masculins) parfois en mélangeant les deux. L’être humain, au sein de ses films, n’est ni féminin, ni masculin. Il rêve qu’il puisse être l’un ou l’autre, même l’un et l’autre. Hermaphrodite. Bertrand Mandico affirme même se considérer comme réalisatrice, « comme une femme à Barbe ».
Son actrice fétiche interprète Séverine dans Les Garçons Sauvages, ou le Docteur Séverin, affublé.e de bagues lumineuses, femme qui semble toute puissante, autrefois homme avant de voir son corps transformé par l’île qu’il découvre. Ses discours sont ponctués de phrases empruntées aux sorcières de William Shakespeare, dans sa célèbre tragédie Macbeth (1623).
La pièce de Shakespeare s’ouvre sur les trois sorcières emblématiques de l’œuvre (« the weird sisters »), des femmes à barbes, qui incarnent les forces du mal et prédisent son avenir à Macbeth avant de s’évaporer : Macbeth deviendra roi mais mourra sans descendance, prophétie qui le rend de plus en plus violent à mesure qu’il désire prendre le pouvoir dans un monde d’hommes en assassinant son souverain pour prendre sa place. Oracle, symbole du destin des mortels, comme chez les Grecs, les sorcières annoncent déjà la fin au début de l’histoire, laissant ainsi s’installer l’ironie tragique.
La pièce montre des hommes avides de pouvoirs, violents, que l’ambition finit par desservir. Les sorcières contrôlent le destin des hommes. Lady Macbeth, la femme de Macbeth, a un rôle crucial dans la pièce car c’est elle, complice, qui l’incite à aller jusqu’au bout de son meurtre. Elle se montre plus dure et déterminée que lui dans l’acte violent.
Séverine, dans Les Garçons Sauvages, est comme l’une des sorcières de Shakespeare : c’est elle qui déclare à la fin du film de Mandico que « l’avenir est femme, l’avenir est sorcière », phrase qui résonne encore comme un oracle à nos oreilles. Elle prend en charge les cinq « cobayes » de l’expérience, les cinq garçons sauvages, et les guide après la transformation de leur corps. On apprend à la fin du film que c’est elle qui est, en partie, responsable des métamorphoses des garçons en femmes : c’est une expérience menée pour anéantir la violence dans le monde, en transformant les garçons incontrôlables et violents.
Le viol revient dans le film à plusieurs reprises : c’est avec un viol que s’ouvre le film, un viol commis par le groupe de cinq garçons, et qui les conduit au procès puis à la prise en charge par le capitaine qui les mène jusqu’à Séverine sur l’île qui les transformera. La question du viol est frontalement abordée : à la fin du film, les garçons transformés en femmes couchent avec les marins et les tuent, comme une vengeance, avant de retourner à la société, pour peut-être continuer cette vengeance, en bras armés de la sorcière Séverine ?
En 1862, Jules Michelet écrivait La Sorcière, où la sorcellerie, incarnée par des belles et jeunes femmes, représente la révolte contre les oppressions diverses du Moyen-Âge (et notamment la religion) : « […] au quatorzième siècle, […] si la femme ose guérir sans avoir étudié, elle est sorcière et meurt. Mais comment étudierait-elle publiquement ? Imaginez la scène risible, horrible, qui eût eu lieu, si la pauvre sauvage eût risqué d’entrer aux Écoles ! ».
La sorcière est une figure centrale des mouvements féministes de la deuxième vague. A New-York se tient en 1968 le premier rassemblement des W.I.T.C.H, Witches International Troublemaker Conspiracy From Hell. La revue Sorcières, sous-titrée « les femmes vivent », revue littéraire et artistique ayant pour but de libérer la parole féminine est publiée entre 1975 et 1982 : « Je voudrais que « Sorcières » soit un lieu ouvert pour toutes les femmes qui luttent en tant que femmes, qui cherchent et disent (écrivent, chantent, filment, peignent, dansent, dessinent, sculptent, jouent, travaillent) leur spécificité et leur force de femme (…) » indiquait Xavière Gauthier, fondatrice de la revue (« Sorcières, 1976-1981, étude d’une revue féministe », Caroline Goldblum).
Elle est aujourd’hui particulièrement présente. À Paris, un « Witch Bloc » féministe, queer anonyme, et radical a rejoint les cortèges de tête des manifestations. La figure de la sorcière représente pour elles les femmes persécutées, torturées par les sociétés « hétéropatriarcales » du passé et d’aujourd’hui. Sur les pancartes de ces sorcières du 21e siècle, en manifestation, apparaissent des slogans tels que : « Hex patriarchy » (Jeter un sort au patriarcat), Sorcières VNR (Sorcières énervées), « witches protect the earth » (les sorcières protègent la planète), « ACABadabra », « conservatisme, du balais! » ; plus récemment « Macron au chaudron ». Les membres du Witch Bloc organisent des rituels, rédigent des incantations… Elles condamnent principalement les oppresseurs, les tyrans, les guerres, soutiennent les communautés LGBT, les victimes d’injustices, elles se veulent protectrices des minorités.
Les sorcières icônes et parias agrègent maintes figures historiques et symboliques, où Eve rencontre Circé, croise les Parques et finit dans la forêt du Maryland. Sa plasticité permet de penser et repenser le rapport des femmes aux savoirs et aux socialisations hétéronormées.
Un peu de lecture…
Mona Chollet, Sorcières. La puissance invaincue des femmes, Editions de La Découverte, 2018.
Clitkong Zine n°2 « Sorcières : puissantes, subversives, marginal(isé)es », réédition 2018 par le collectif Sororae. Plus d’infos ici.
Clémence Bobillot