Des meufs à poil on en voit partout. Métaux lourds aka Marine ne montre pas juste son cul sur Instagram ou dans le calendrier Barbi(e)turix. Féministe, activiste body positive, elle dépatriarcalise la beauté ne la réduisant pas uniquement à une notion esthétique, elle incarne aussi sa valeur intellectuelle. Quand elle ne pose pas elle donne des conseils sexo sur diplodocul, sa chaîne Youtube et fait des broderies super chouettes.
Avec Métaux Lourds, le body positivisme et la photographie prennent une autre dimension plus profonde. Elle n’est pas juste belle, elle habite véritablement sa beauté, subtil alliage de corps et d’esprit en perpétuelle évolution. Tout le contraire de la fiction patriarcale qui nous fige et nous enferme dans des modèles binaires inatteignables. Marine ne triche pas ni ne cherche à séduire. Elle s’incarne dans l’authenticité, avec ses émotions et ses doutes aussi. Son corps nu est un puissant outil de lecture du vivant. Loin des clichés de la meuf en perpétuelle représentation condamnée à n’être qu’un objet, elle ouvre la voie vers un autre féminin où tout est possible et à créer. Et ça fait du bien !
Rencontre.
Salut Marine. Tu as dit que si tu avais vu des grosses à poil quand tu étais ado, ta vie aurais radicalement changé. A partir du moment où l’on s’écarte des normes, la question de la représentation, de la visibilité est vitale. Comment as-tu commencé à faire des photos ? Y a-t-il eu un élément déclencheur ?
J’ai commencé il y a douze ans avec un blog beauté make up Tête de Thon où je ne prenais en photo que mon visage. J’étais à l’époque extrêmement complexée, et mon visage était l’un des rares trucs que je pouvais supporter et accepter de montrer. Dans ce blog, il y avait du make up classique (le genre « pour se mettre en valeur ») mais pas que : je faisais aussi des effets spéciaux, du maquillage d’horreur, je me transformais en célébrité… Le milieu drag, aussi, a changé ma vie en ce sens : Ça m’a permis de comprendre que je pouvais être absolument qui je voulais, que je pouvais incarner différents personnages. Et au travers de ces personnages, j’apprenais aussi à m’aimer moi, c’était hyper libérateur.
Et puis un jour, j’ai posté un article où mon corps apparaissait. Ça s’appelait « Je suis grosse », et c’était un énorme pas en avant pour moi. Là-dessus, une marque de lingerie (Viksen, aujourd’hui disparue) m’a contactée pour poser sur un de leurs lookbooks en maillot de bain. J’ai dit oui sans trop réfléchir, et je me suis vite retrouvée totalement terrifiée : j’avais peur qu’en me voyant le jour du shooting elles me recalent, du style « ah ben non, si c’est à ça que tu ressembles en vrai, c’est mort ». Et bien pas du tout, le shooting s’est hyper bien passé ! Et quand j’ai vu lesphotos, je me suis trouvée « pas trop dégueulasse ». Je ne me suis pas trouvé belle, non, mais disons que je supportais cette image de mon corps. C’était des photos commerciales, donc lissées et retouchées, mais j’ai commencé
par apprécier et trouver jolies ces images de moi modifiées. J’apprenais doucement à m’apprivoiser, un moi idéalisé certes, mais une version de moi quand même. C’était déjà un début, et c’est comme ça que tout a commencé.
Mon chemin dans la photo, en fait, ça a été une véritable thérapie.
Féministe du cul, activiste fat liberation, tu parles aussi beaucoup de santé mentale. Neuroatypique et grosse, tu résistes à la norme corps et âme. Qu’est-ce qui est le plus difficile finalement : ton corps différent ou le système normatif de pensées de notre société ?
Hahaha tu connais déjà la réponse ! Pendant très longtemps j’ai pensé que c’était mon corps et ma personnalité le problème. Beaucoup plus mon corps, d’ailleurs : le monde entier me disait qu’il ne devait pas exister, pas comme ça en tout cas. Tout le monde m’expliquait que je devais être, mais autrement : plus mince, plus douce, plus intelligente, plus normée… Et surtout: plus mince. C’était une véritable obsession, alors qu’en réalité ni mon corps ni ma neuro-atypie ne m’empêchent de vivre et de kiffer. Je danse, j’aime, je dors, je colle, je fais du sport, je milite, je baise…
Si je m’en suis privée si longtemps c’est par ce que socialement je pensais être un échec, je ne correspondais pas à la norme, du coup je ne pensais pas mériter d’exister. De la merde ! C’est hyper dur de s’affranchir du regard des autres, de déconstruire toute une éducation fondée sur le validisme et la grossophobie, mais quand on commence : ça change la vie.
Fascinée par les drag-queens, et après avoir fréquenté ce milieu tu en es ressortie plus forte avec un meilleur accès à toi-même qui t’as permis de t’autoriser à être celle que tu veux. On peut s’attendre à ce que le milieu queer soit bienveillant et favorise le fait d’exister en dehors des normes. Est-ce que tu te sens bien dans le Queeristan ? Trouves-tu que les meufs et les queers sont moins grossophobes ?
J’ai longtemps fréquenté le milieu queer sans m’y être sentie légitime. Déjà par ce que la grossophobie est hyper intériorisée quel que soit le milieu dans lequel on se trouve. Ensuite, par ce que je trouve qu’on manque de représentations de grosses queer (on a Barbara
Butch, Cathoutarot…mais ça reste minoritaire). Et aussi, en tant que grosse, une des façons de survivre dans cette société hétéropatriarcale, c’est de surperformer la féminité, de tout donner pour satisfaire le male gaze, dans un effort permanent pour être acceptée.. Et forcément, avec mes gros seins, mes hanches larges, ma façon d’over performer la féminité de façon hyper binaire et hétérocentrée, j’ai eu du mal à me sentir légitime en tant que queer. Et puis finalement, j’ai déconstruit cette binarité, j’ai réussi à m’extraire – en partie en tout cas – des exigences patriarcales : c’est clairement grâce au Queeristan.
Tu as collaboré avec Sarah de Vicomte pour une série de portraits et cela a changé radicalement ta manière de performer la féminité. Est-ce que cela a une incidence sur le male gaze auquel il est difficile d’échapper surtout sur les réseaux sociaux ? Les mecs réagissent-ils différemment à ta manière de performer cette féminité justement ?
J’ai vu mon public changer sur les réseaux sociaux. Il n’y a pas encore si longtemps je faisais suicide girl, j’étais en plein dans l’archétype de la photographie « male gaze ». Je me sexualisais à fond par ce que j’avais l’impression que c’était ma seule possibilité pour être vue, et écoutée. Je pensais trouver de l’empowerment et finalement j’étais juste sur-objetisée, ça ne me correspondait
pas. J’avais beaucoup d’hommes cis qui me suivaient, et leurs commentaires se limitaient à « Oh babe », et des émojis langues, genre ça donne envie à qui sérieusement?! C’est juste répugnant. La moitié des commentaires et des likes, à l’époque, c’étaient des mecs cis hét.
Depuis quelques années je ne shoote quasiment plus qu’avec des meufs, je ne pose plus de façon sexualisée. En fait, c’est assez cool parce qu’après m’être vautrée dedans, c’est grâce à la photographie que je me suis affranchie du male gaze. Du coup, forcément, mon public a changé. Les cis-hét ont migré en masse, et sont arrivé.e.s les meufs, les lesbiennes, les transgouines, les gays, les queers…
Je suis toujours très émue quand je reçois des messages de meufs qui me disent que ce que je fais leur permet de s’aimer. Par ce que quand on a un cul de la taille du mien, le simple fait de le montrer est un acte militant. La visibilité, la représentation, c’est salvateur. Ça aide à s’aimer, ça élargit la notion de ce qui est acceptable, ça envoie valdinguer les normes et, petit à petit, ça change les regards, sur soi comme sur les autres.
La nudité, c’est important, et ce n’est pas quelque chose qui doit être obligatoirement sexualisé. Il y à de multiples façons de vivre son corps. En fait, c’est comme si j’avais documenté mon parcours mental en images. Il y a une vraie évolution dans ce que je fais en photos depuis Tête de Thon et ma découverte du féminisme. Je me suis haïe, je me suis aimée d’une certaine façon, j’ai élargi ma vision du beau, je me suis sexualisée, j’ai arrêté, j’ai trouvé de nouvelles manières de m’envisager…mes photos sont les témoins de mon évolution et de ma déconstruction.
Et sinon, dans la vraie vie aussi, le changement fait bizarre aux mecs cis. Ils me trouvent intransigeante, ils n’ont pas l’habitude d’une meuf qui accorde plus d’importance à ses désirs qu’aux leurs.
Dans la fiction patriarcale, il y a toujours un sujet et un objet, un dominant, dominé. Or, avec toi, j’ai l’impression qu’il n’y a uniquement que 2 sujets : un devant et un derrière l’objectif. Que tu habites ton corps véritablement, que vous ne trichez pas, ni lui ni tes émotions. Est-ce que ton authenticité, cette liberté aussi, finalement n’est pas ce qui dérange le plus ?
Il y a quelques années, j’ai shooté avec un mec qui considérait que ce que je voulais faire n’était pas important, j’étais un modèle, je n’avais qu’à fermer ma gueule. J’étais le support sur lequel il pouvait mettre en scène ses fantasmes et sa vision, et si je finissais le shooting en larmes, c’était pas grave. Lorsqu’il postait les photos il ne me mentionnait jamais, je n’existais pas en dehors de sa tête.
Aujourd’hui, les choses sont différentes. Je fuis au moindre red-flag, je ne fais des photos qu’avec des personnes en qui j’ai confiance, et essentiellement avec des femmes. Alors oui, avec une femme, le rapport de domination peut exister aussi. Mais disons qu’on ne les a pas élevées en leurs expliquant que leurs désirs et leurs pulsions prévalaient sur tout le reste. Et puis j’ai évolué, je ne me pose plus en objet, et forcément ça change aussi la façon dont je me mets en scène, et donc le regard que l’on peut poser sur moi. La photographie, c’est une collaboration. Je bouscule probablement un peu les normes, mais seulement dans une certaine mesure : j’ai ce que j’appelle « le privilège de la grosse acceptable ». C’est-à-dire que je suis obèse, avec des hanches larges, un e grosse poitrine et une taille marquée. Je corresponds à peu près à ce nouveau standard qu’on créé au sein des corps gros. Du coup, même au sein d’une oppression, je reste privilégiée.
Tes photos sont émotionnelles. C’est ça qui est beau chez toi, cette faculté à exprimer et communiquer au-delà des mots. Avec quelque chose d’instinctif. Quelle est la place des émotions dans ta vie et quel rapport entretiens-tu avec elles ?
Evidemment, il y a une mise en scène dans les photos, mais j’essaye de montrer de plus en plus une vérité dans mes émotions et mon corps. Je tends vers une réalité, ou du moins un instant de réalité. D’ailleurs, les émotions chez moi, c’est un sujet compliqué. Pendant très longtemps, du fait de ma neuroatypie, j’avais énormément de mal à comprendre ce que je ressentais, à définir mes émotions. Il y avait « bien », « pas bien », et rien d’autres. Du coup c’était comme si elles n’existaient pas.
Dis-toi, j’ai découvert la colère il y a seulement 3 ans !
Alors qu’en réalité, je suis hyper dans l’émotion, l’affect, la sensibilité. C’est mon mode de fonctionnement principal (j’ai plein de placement en Poisson, coucou l’empathie fois 1000) Je suis très peu dans la logique et la réflexion et beaucoup plus dans l’instinctif et l’émotion. C’est peut-être ça qui se ressent dans mon travail. Avant, l’émotionnel était tout aussi important pour moi, mais hyper
traumatisant par ce qu’il était nié, refoulé et donc compliqué à gérer. J’étais incapable de me comprendre, du coup je retournais tout contre moi, et l’intégralité de mes émotions s’exprimaient sous forme de violence auto-destructrice et de culpabilité permanente. Depuis mon diagnostic (Haut potentiel Intellectuel et borderline) j’apprends à nommer mes émotions, et les nommer, c’est les faire exister. Ça a clairement changé ma vie et mon rapport aux autres.
Il y a quelque chose de bienveillant en toi et très doux. Comment expérimentes-tu la bienveillance et que t’autorise-t-elle ?
Waaaa la bienveillance, gros sujet! C’est dur de se l’appliquer à soi-même, c’est pas toujours simple de l’appliquer aux autres, et pourtant on voudrait que tout le monde en fasse preuve, partout, tout le temps.
C’est compliqué, la bienveillance. Ça implique beaucoup de recul sur soi, sur l’autre, sur l’affect. Et je crois que le plus dur, c’est d’être bienveillant.e avec soi.
Je me suis haïe longtemps, me détester était ma raison d’être. Aujourd’hui, j’arrive à me regarder avec bienveillance. Pas tous les jours, pas h24, mais quand même, c’est énorme. J’ai du apprendre à me connaître, m’affranchir – au moins en partie – des normes sur lesquelles je m’étais construite.
Quand je regarde tout ce qui s’est passé dans ma vie, je me dis que l’évolution est incroyable. Pas en terme de réussite professionnelle, familiale ou amoureuse, non… Mais j’ai avancé, j’ai appris des choses sur moi, sur les autres, sur le monde. J’ai survécu, et parfois, quand j’y pense, je me dis que je suis la personne la plus forte que je connaisse.