Rencontre avec LaPhilantrope, jeune pousse Lyonnaise qui mêle brillamment synthés et langue de Molière, le tout dans un électro/pop sensuel magnifiquement bien produit. Une ode à la vie, au plaisir, mais aussi à la célébration de soi et des autres.Après la sortie remarquée de son morceau « Ballade Nu.e », publié sur la plate-forme des Disques Du Lobby, il.elle revient aujourd’hui avec son premier EP, sorti le 30 août dernier.
BBX: Bonjour, qui es-tu?
LaPhilantrope : Moi c’est LaPhilantrope, alias Léo, j’ai 23 ans, je viens de Sète, je suis vraiment une fille de la mer tu vois! Je suis autrice/compositrice/interprète et plein d’autres casquettes. Je suis aussi réalisatrice, cadreuse/monteuse et photographe. J’ai appris à tout faire, j’ai toujours voulu être hyper autonome parce que j’arrivais pas à trouver des gens avec qui travailler, ce qui fait que j’ai voulu avoir plein de connaissances et de pratiques pour pouvoir faire plein de choses et ne pas être limité dans mes créations, même si je me rends compte que je ne peux pas faire tout toute seule au moment T.
Ça c’est une limite à laquelle je n’avais pas pensé (haha)!
BBX: LaPhilantrope, d’où ça vient?
LP: En fait à la base je n’avais pas de nom d’artiste, mon père étant musicien, on me reliait vachement à lui, j’étais « la fille de » dans le petit microcosme de la région. Au bout d’un moment je me suis dit qu’il fallait que je trouve un nom d’artiste, c’était une nécessité. J’en ai parlé avec un pote avec qui je faisais des études de graphisme et qui faisait beaucoup de graff. Le blaze dans le graff c’est hyper important, signer de son nom/son crew c’est la base du street art. Alors je lui ai dit « trouve moi quelque chose il faut qu’on trouve un truc absolument ». Il m’a répondu « écoute La Philanthrope je ne sais pas ce que ça veut dire mais je trouve que ça sonne bien ! ». Je lui ai expliqué la définition (personne aimant l’humanité, généreuse et désintéressée) et c’est vrai que je me suis dit que ça sonnait bien pour mon projet qui se veut libérateur, militant,…
Donc je suis parti.e sur ça, il m’a dessiné un genre de blase avec une faute d’orthographe, que j’ai gardé.
Puis la philanthropie aujourd’hui est associée aux personnes qui ont beaucoup d’argent, des oeuvres « philanthropiques », un truc de riches qui donnent de l’argent aux pauvres de temps en temps. Je me suis dit que la faute volontaire dans le blase m’éloignerait un peu de ce concept.
BBX: Et ton père est musicien dans l’Hérault?
LP: Ouais, il est monté à Paris quand il avait 20 ans, mais ça ne lui plaisait pas, il a fini par revenir à Sète et a fait toute sa carrière là-bas. Il fait beaucoup de récitals de Brassens, ça a d’ailleurs fait beaucoup dans mon éducation musicale.La chanson française à texte, c’est important. Mais ce qui est important c’est de dire les choses tu vois! On a une culture des mots et du sens qui sont très importants. J’ai grandi avec des artistes qui chantaient des textes que j’ai appris à comprendre en grandissant. Les mots c’est une des plus belles choses, même si parfois il n’y a pas besoin d’en poser.
BBX: J’allais te demander, quelles sont tes influences? J’en conclus que je peux déjà citer ton père et Brassens ? Hahaha!
LP: Hahaha je sais pas trop, mais si Brassens, Dalida, The Pretty Reckless, Aydio… un vaste mélange de tou.te.s celleux qui m’ont accompagné. Mais ce qui m’influence le plus, c’est la liberté qu’on a dans le milieu queer, c’est un truc dont je m’inspire vraiment dans mes morceaux. J’ai un genre de « trinité » : d’un côté il y a la « liberté queer », du corps, de qui on est, de qui on veut parce que l’on peut être qui l’on désire et c’est ok. Il y a aussi une chaleur qu’on trouve dans le reggaeton, le côté « Caliente » qui est hyper important pour moi et que j’essaie d’apporter aussi. Puis le troisième… Tu vois quand t’écoutes un chant Celtique avec des énormes tambours ou alors cette trance que tu chopes en club, on est pris aux tripes, presque incapables de respirer si on se concentre. Il y a des sons comme ça, ça te prend et ça t’envahit de A à Z. J’essaie un peu d’avoir ça aussi et c’est ça qui m’influence sur tous mes morceaux et sur la musique en général, plus que des artistes en particulier. Ces artistes qui m’ont accompagné.e, ils m’ont fondé.e. d’une certaine façon mais cette trinité elle reflète mes tracks et La Philantrope
BBX: Tu viens de sortir ton premier EP, accompagné des clips « Danse Pour Moi » et « Nude ». À quoi doit-on s’attendre pour ce disque?
LP: Dans l’EP il y a 6 morceaux dont 3 qui sont déjà sortis. Durant la composition de cet EP, j’ai été happé.e par la maladie de Ménière, dérèglement de l’oreille interne. Alors ma vie s’est résumé à alitement, vertiges, vomissements, acouphènes, la peur de perdre l’audition du jour au lendemain, et la composition de « La Vie Est Une Fête ». J’ai été encore plus enclin à vivre ce que je composais et à composer ce que je vivais.
Alors je pense que ce disque est une très bonne ouverture à qui je suis, même au delà de mon univers, vraiment qui je suis. Quelqu’un qui se mélange à plein de choses et dans la vie de tous les jours je perçois des choses que les gens ne perçoivent pas. Jje vois le monde d’une certaine façon et j’essaie de retranscrire ça dans ma musique. Par exemple sur mes mixages, il y a des moments où je vais mettre la lumière sur un instrument qui n’est pas forcément habituellement mis en avant. J’essaie toujours de créer des tableaux et des schémas dans ce que je peux faire. C’est important pour moi de créer des ambiances, comme si on rentrait dans une bulle. Dans « Danse Pour Moi » par exemple, il est vraiment question d’un rapport intime, le plus intime possible. Je fais référence au regard qu’une personne peut avoir à un moment donné, ce regard d’une assurance débordante qui peut durer 1 seconde, quand quelqu’un nous plaît. Dans ce morceau j’essaie vraiment de tout développer autour de ce petit regard. En gros cet EP c’est le résumé de toutes les petites choses que je vois et que j’essaie de retranscrire. C’est clairement une ouverture à ma façon de percevoir le monde.
BBX: Tu m’as confié avoir eu envie de donner à ce projet un côté hypersexualisé et d’un côté pas du tout. Est-ce qu’il y a une motivation sociale/politique, ou c’est avant tout une question de libération personnelle?
LP: Clairement, j’ai un vagin, un ordinateur et une culotte sur scène, c’est politique. La libération personnelle est politisée, selon la personne que l’on est, elle l’est plus ou moins. Mais le désir d’être qui on veut être est politique dans une société qui a limité autant. Si tu es une femme, une personne trans, c’est déjà politique. Ça c’est un fait aujourd’hui. En ce qui me concerne, les personnes qui me suivent depuis longtemps m’ont toujours vu.e hyper dénudé.e, hyper sexualisé.e et parfois pas du tout. On a tendance à associer la notion de sexy/érotisme à la vulgarité, à tort.
Ça dépend vraiment, il y a ces deux extrêmes à l’intérieur de moi. Je suis hyper féminine comme je peux être hyper masculine, ça varie selon le temps, mes humeurs etc. La Philantrope, c’est un acte militant de me montrer à moitié nu.e, si ce n’est nu.e devant une caméra et d’à la fois me montrer sous un côté féminin et beaucoup plus masculin en parallèle. Aujourd’hui encore on considère que si un.e artiste qui a une vulve est sexualisé.e, cette personne se doit d’être hyper féminine; comme si elle n’avait pas le droit d’être masculine. Sauf que l’ambivalence d’expression de genre existe et elle se doit d’exister dans la musique aussi. La seule personne pour l’instant qu’on a vu faire ça c’est Billie Eilish qui est passée du côté hyper masculin parce qu’elle était jeune etc à une sexualisation hyper rapide mais sinon en général, une fois que tu t’exposes d’une façon très féminine et sexualisée, il n’y a pas de retour en arrière. On ne peut pas être les deux en même temps, il n’y a pas ce mélange d’êtres et de personnalités. C’est quelque chose qu’il m’est important de revendiquer à travers mon projet. J’ai le droit en tant que personne d’être séduisante et sexy jusqu’à la moelle mais si j’ai envie d’être hyper masculine c’est aussi mon droit. C’est hyper important de revendiquer ça, même au sein de notre communauté, on n’est pas soit l’un soit l’autre, on est et puis c’est tout.
On a tou.te.s le droit d’avoir une expression de genre différente de notre genre et cette accessibilité à être qui l’on veut.
BBX: D’ailleurs en parlant du mélange « image sexualisée/ chanson française », qui n’est pas quelque chose qui se fait beaucoup par rapport à la culture anglophone, en référence à des Madonna, Lady Gaga etc qui ont des images hypersexualisées et totalement assumées. Quel est ton ressenti par rapport à tout ça? Tes perceptions? En quoi c’est aussi important à ton approche artistique?
LP: C’est vrai que ces artistes là sont hyper engagées et hyper militantes sur plein de niveaux, elles ont pris le contrôle de leurs corps, de leur carrière et de qui elles étaient. Nous en France on a pas vraiment de gens comme ça, à part les artistes des années 80 et Mylène Farmer à la limite. Mais elle représente tellement un mystère qu’au final on ne sait pas si elle est vraiment militante, elle s’est jamais vraiment affirmée comme telle. Mis à part cette femme, je ne vois pas vraiment d’autres artistes qui pourraient être dans ce cas de figure. En France on a ce « truc » de vulgarité qui arrive très rapidement, c’est pour ça que j’ai une énorme appréhension par rapport à la sortie du clip. Je me dis que je vais être face à des Français.e.s, est-ce qu’il vont comprendre ce que j’essaie de transmettre? Le problème c’est que ça t’apporte une visibilité d’être dénudé mais elle est motivée par des mauvaises raisons. Le nombre de mecs qui m’ont suivi sur Instagram, parce que j’étais dénudé.e et qui ont fini par se rendre compte que j’étais pédé jusqu’à la moelle, militante et qui sont partis, est indécent.
Dans notre pays on a une liberté artistique, mais elle reste dans le même carcan, j’imagine que ça fait partie de notre culture, du « il ne faut pas se montrer » etc.
BBX: Dans tes chansons tu parles beaucoup de désir, d’amour, de sexualité, y-a-t-il un lien logique? Tu parlais aussi de célébration queer, aussi dans les thèmes? D’amener le queer au grand public?
LP: Mes chansons parlent beaucoup de sexe et d’amour oui, que l’on le veuille ou non, c’est ce qui régit nos vies, tout comme l’absence de sexe et d’amour régit nos vies aussi. Pour moi c’est important de parler de ce qui est le plus actif dans nos existences et bien sûr d’un autre côté la communauté queer a été stigmatisée pour des « pratiques » non conformes à la cis-hétéronormativité. Quand tu vas dans les soirées queer, ce qui m’interpelle c’est bien sûr la liberté de chacun mais surtout l’amour qui rayonne, qu’il soit amical ou autre, peu importe. Cet amour et cette bienveillance qui est là, c’est quelque chose de très important dans mes textes parce que ça représente ma vie. Avec ce disque, j’ai vraiment envie d’amener le milieu queer à tout le monde.
C’est ce message que j’ai envie de faire passer, mes chansons ne sont pas destinées uniquement à un public queer, pour moi n’importe qui peut s’identifier.
Cette liberté que nous les queers avons, c’est de l’or. C’est ce que j’ai envie d’amener à travers ma musique et j’espère que ça se ressent. Je pense que ma musique est queer et que ça s’entend, mais j’ai aussi envie de lier tout ça à des gens hors communauté. C’est aussi une question de sensibiliser les gens qui n’ont pas l’habitude de côtoyer ces milieux.
BBX: Nous nous remettons tout doucement d’une période très compliquée pour tout le monde, très floue pour la culture aussi. Comment as-tu vécu cette période? Qu’en est-il de ton processus créatif?
LP: Le Covid a beaucoup impacté ma vie, avant j’étais quelqu’un qui sortait beaucoup, j’étais jamais chez moi. Je ne sais pas si c’est lié à la pandémie mais j’ai contracté la maladie de Ménière, donc j’ai passé 4 mois alité.e à ne pas pouvoir bouger. Ma vie a drastiquement changé, malgré le déconfinement j’ai beaucoup de mal à sortir et je sais pas du tout comment je vais réagir. Mais ça va de mieux en mieux.
Au delà de ça, ça fait des années que j’ai envie de sortir un disque, sauf qu’on imagine pas tout le boulot que ça représente derrière, c’est un truc dont personne ne parle. C’est pour ça que je me suis lancé.e. J’ai un peu peur de sortir ça maintenant bizarrement parce qu’on est plus en confinement, je me dis que les gens vont faire leur vie, sortir, voir des concerts etc. J’ai pas l’impression que ce soit la meilleure période. Ceci dit, ce temps de vide m’a permis d’avancer et de faire les choses à peu près telles que je les imaginais. J’arrive pas à savoir si c’est une bonne ou une mauvaise idée de sortir ça maintenant mais bon on ne sait pas quel sera l’avenir par rapport à ça. Le nombre d’artistes qui attendent est énorme, du coup je me dis que ça va être difficile de s’imbriquer au système pendant cette période là, surtout en étant artiste indépendant.e. Normalement en musique on prévoit beaucoup de choses à l’avance mais là il y a aucun repère, c’est difficile de mettre une stratégie en place. Je suis content.e d’avoir fait ça pendant le confinement car c’est un travail colossal, au moins j’ai eu le temps de pouvoir faire les choses. De toute façon, on ne peut pas mettre sa vie en mode « pause ».
La Philantrope : EP « la vie est une fête »