Entre intimité queer et émotions intenses, la musique de Mélodie Lauret et ses mots sculptent la réalité invisible qui nous anime lorsqu’on aime, désire, angoisse, rêve, pleure, espère. Aujourd’hui sort Le moment présent. Rencontre
Mélodie Lauret, artiste queer polymorphe, sonde l’âme, les mouvements du coeur et du sang depuis deux ans. Il y a les amours queers flamboyantes qui prennent vie du bout de ses lèvres. Iel chante le feu qui brûle en nous et dont la visibilité nous a cruellement manqué.
La danse sobre et pure des mots de Mélodie Lauret nous entraine dans Le moment présent. Et ça fait du bien.
Salut Mélodie. «Le moment présent» vient de sortir. Il y a la mélodie, enjouée et légère et les mots plus sombres et anxieux. De ce spectre nuancé nait l’espoir. Est-ce que le présent, aussi sombre soit-il permet de créer l’espoir ? Et toi, qu’est-ce qui te donne de l’espoir ?
Je pense que l’espoir c’est quelque chose qui se crée avec la conscience des différentes temporalités. On fait état du présent, en prenant compte du passé et avec l’envie d’un futur différent. Sans futur il n’y aurait pas d’espoir, parce que où placer l’espoir ailleurs que dans le lendemain ?
Du coup ce qui me donne de l’espoir personnellement c’est de regarder le passé et de me dire que non, tout n’était pas si mieux avant (je parle autant de la société que de ma santé mentale ah ah)
Tu parles des mouvements du temps et de la difficulté d’être dans le présent. Créer, n’est-ce pas au fond une manière de saisir le présent et de transcender le temps ? Quel est ton rapport au temps et comment a t-il évolué ?
Oui il y a de ça, je suis d’accord. Et c’est exactement pour ça que j’ai aussi appelé mon album « Le moment présent ». Toutes les chansons je les ai créées dans la spontanéité d’un instant. Je ne suis que très rarement revenu sur les paroles plus tard par exemple. C’est effrayant car évidemment je pense à leur vie plus tard, à mon envie de les chanter encore. Mais je me dis juste qu’une œuvre, telle qu’elle soit, a existé pour une raison à un moment et qu’elle existera pour des raisons différentes des années après.
Mon rapport au temps est totalement apeuré, chaque seconde qui passe me terrorise (d’ailleurs, je suis tout le temps en retard) et pourtant il y a quelques années je n’avais qu’une envie c’est que le temps passe plus vite pour être plus grand.e parce que j’étais persuadé.e que c’était le monde des adultes qui était le mien. Ma peur s’est amplifiée quand j’ai compris que le présent n’existait pas, que j’avais trop de choses à faire, que je ne pourrai jamais toutes les faire et surtout qu’un jour il sera trop tard.
Adulte est un concept très normé et qui s’inscrit aussi dans une société très hétéro-cis-normée capitaliste et validiste. Alors c’est quoi pour toi être adulte ?
Sincèrement j’en sais rien. Avant pour moi la seule chose que voulait dire être adulte c’était le fait de pouvoir côtoyer les autres adultes. C’est tout ce que je voulais, pouvoir nouer des relations avec elleux.
Je crois pas que je sois adulte et surtout plus j’en rencontre plus je sais que des adultes comme je les imaginais, y en a pas beaucoup. Je vois mes potes qui ont 10 ans de plus que moi avoir les mêmes problèmes que les miens. (Ou alors ça veut dire que j’ai des problèmes d’adulte maintenant?!)
Il y a à la fois le temps subi, auquel on ne peut échapper et le temps qu’on organise. Schelling disait « La musique n’est pas dans le temps, mais c’est le temps qui est dans la musique». Perçois-tu le temps de la même manière lorsque tu écris et composes ?
Non pour le coup je n’ai plus d’angoisse du temps dans la composition. Justement car c’est précisément là que je suis en train de vivre le moment présent. Surtout quand j’écris c’est assez mystique pour moi, je rentre dans une espèce de transe cérébrale, ça va très vite et il n’y a de la place que pour ça (si tant est que j’ai de l’inspiration)
Il y a le moment où tu parles de ta mère dans la chanson et de la peur de la voir disparaitre. C’est quelque chose qui me parle beaucoup. Comment appréhendes-tu ce lien avec ta mère ?
J’ai toujours été proche de ma mère, pas comme les mères-filles meilleures amies qui se racontent tout, mais un lien émotionnel extrêmement fort. Je la vois plusieurs fois par mois et elle me manque chaque seconde. Et ce lien se résume pas mal à la phrase dans ma chanson « J’ai besoin que tu me fasses chier mais que tes mains sur mon plexus solaire puissent me calmer ». Plus jeune, mon anxiété me faisait de la tachycardie tout le temps et c’était la seule personne à savoir calmer ça, avec sa main sur mon plexus solaire. Au-delà d’être une maman, c’est aussi la femme la plus forte que je connaisse.
Je trouve ta manière de parler des émotions très cinématographique. Que ce soit dans le choix des mots et leur articulation ou dans ta manière d’utiliser ta voix. Les moments parlés me font penser à la voix off. Une manière très particulière d’être dans le présent justement et dans son intériorité. Est-ce que c’est quelque chose que tu pratiques dans la vie la voix off ?
Je prends ça pour un compliment ! Merci beaucoup. Je n’ai jamais fait de voix off mais en vrai j’adorerais en faire. Ayant une formation théâtrale à la base et étant comédien.ne en plus de mon projet musical, ça serait juste merveilleux. Donc si quelqu’un.e passe par là et qu’iel a besoin d’une voix off, écrivez moi ah ah ah.
Dans ton clip, il y a toute la dimension de l’enfance, sa douceur et vulnérabilité. J’ai l’impression qu’il y a un certain fétichisme autour de ta «maturité». Dans une interview des chroniques de Mandor, tu parles de l’intensité de tes émotions, de ton rapport au monde, de tes difficultés aussi. Le premier plan du clip, toi allongé.e avec une peluche symbolise pour moi une tension entre comment l’autre peut te percevoir et ta réalité. Et je ressens une évolution, comme si tu étais prêt.e à dévoiler d’autres dimensions de toi. Penses-tu que la musique et plus précisément la conception de ton 1er album accélèrent ta connaissance de toi et te rendent plus fort.e ?
C’est certain qu’il y a une évolution et tu vises très juste, je me sens beaucoup plus prêt.e à me dévoiler, à ce qu’on m’approche et surtout l’album s’est créé différemment que mes derniers EP. Je ne sais pas si ça a nourri ma connaissance de moi mais en 2 ans de vie (surtout d’une vie si courte), il y a tellement de choses qui bougent à l’intérieur. Je ne sais toujours pas qui je suis et je ne sais pas si je le saurai un jour mais cette incertitude je l’assume davantage. Et je suis fier.e en fait, beaucoup plus. Il y a quelque chose qui a grandi, qui est plus direct, plus présent et finalement plus lumineux. J’espère que ça saura se faire ressentir.
En parlant de ton 1er album, peux-tu nous en dire plus ? Quand va t-il sortir ? Qu’est-ce qui a nourri ta création ? Et comment t’a t-il transformé.e ?
L’album porte le même nom que le single, « Le moment présent ». Pour moi lui donner ce nom-là était super évident car je me suis rendu compte que cette chanson et son refrain étaient un peu une réponse à toutes les autres chansons. Il sortira au printemps 2022 et j’ai vraiment hâte. J’ai rencontré des personnes extraordinaires (entre autres Dani Terreur et le duo Itzama) et ces rencontres ont vraiment nourri mon inspiration. La création de l’album s’est étendue sur 1 an et demi environ. J’y parle toujours beaucoup d’émotions, d’amour, de queerness et j’y chante, beaucoup plus qu’avant. C’est encore difficile pour moi d’en parler vu qu’il n’est pas sorti, parfois j’ai l’impression que c’est même pas possible que ça soit réel. Je crois que j’en prendrai conscience quand je l’aurai en tant qu’objet, entre mes mains.
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Et juste pour le plaisir, en attendant la sortie de son 1er album au printemps 2022, voici le sublime clip de doucement