Voilà un mois que la Course de la Saint-Valentin annuelle des Front Runners a eu lieu, et comme la saison des courses parisiennes bat son plein, entre le semi et le marathon de Paris, je me disais que ce serait intéressant de vous faire revenir avec moi sur une course pas comme les autres.
Mais d’abord, petite remise en contexte et retour dans le passé, en février dernier. J’étais à la soirée « La Sappho », le vendredi 10 février, pour entendre Lou et Léontin présenter leur Kamasutra queer. Entre lectures érotiques, shows brûlants et DJ set propice à de splendides rapprochements, les sapphiques du Hasard Ludique ont eu de quoi faire de beaux rêves jusqu’à au moins midi.
Toutes… sauf moi !
Mon réveil m’a tirée du sommeil à 7h, le lendemain. Et si tout mon être me hurlait de me rendormir, je ne pouvais pas me le permettre. Parce que j’avais dit à qui voulait l’entendre que j’allais courir un 10km le matin du samedi 11 février aux Buttes Chaumont, et que je ne voulais pas passer pour une dégonflée. Alors j’ai enfilé mon T-shirt floqué du logo des Joggouines, l’association avec laquelle je cours depuis mon arrivée à Paris, attrapé quelques cakes aux fruits pour éponger le punch de la veille et filé enchaîner trois lignes de métro pour rallier le gymnase Jean Jaurès où m’attendait bien sagement mon dossard pour la Course de la Saint-Valentin, organisée par les Front Runners.
Mais qui sont ces fameux Front Runners ? Pourquoi célébrer l’amour en se mangeant les montées des Buttes Chaumont ? Ai-je vraiment couru en gueule de bois avec un T-shirt « Joggouines » pour me faire largement dépasser par des quinquas au top de leur forme et un type déguisé en cuvette de toilettes ?
Chaussez vos baskets, je vous emmène dans les coulisses de la course de la Saint-Valentin.
De Sébastien à Valentin
La course de la Saint-Valentin, organisée par le collectif des Front Runners, existe sous sa forme actuelle depuis l’an 2000. Mais, si vous cherchez une info à placer lors d’un silence gênant pendant votre prochain repas de famille, sachez que cette course est la descendante directe d’une course dédiée à un autre saint : la course de la Saint-Sébastien. En janvier 1996, durant « La folle semaine de Saint-Sébastien à Sainte-Angèle » du Centre Gay et Lesbien, les Front Runners sautent sur l’occasion pour organiser une course en l’honneur du saint le plus gay de toute l’iconographie chrétienne. Cette course a alors lieu au Bois de Vincennes et propose un parcours de 5km et un de 10km, et est renouvelée chaque année.
Jusqu’à ce que la tempête de fin 1999 qui, non contente de perturber la venue de ma mère à l’hôpital pour donner naissance à ma petite sœur, crée des dégâts importants au Bois de Vincennes, contraignant l’équipe des Front Runners à décaler la course aux Buttes Chaumont, en février. Et, comme les personnes LGBTQ sont d’une adaptabilité et d’une résilience sans bornes, les Front font évoluer cette course en la course de la Saint-Valentin telle qu’on la connaît aujourd’hui, avec alors un parcours de 4km, un de 8km, mais surtout un 6km à courir en duo, ce qui fait d’elle la première course de ce type à Paris. La course propose même « L’opération Cupidon » qui permet de rencontrer un.e partenaire avec qui faire la course à deux… et plus si affinités !
23 ans plus tard, pour l’édition de cette année, le record d’inscriptions est battu avec un total de 1200 coureurs et coureuses réparti.e.s entre un 5km duo (couples hommes, femmes, non-binaires ou mixtes), un 5km solo et un 10km solo. Elle a mobilisé 154 bénévoles, des sponsors, des partenaires et des organisations comme la Commission Départementale Running (dont elle porte le label) et la Fédération Française d’Athlétisme (qui mesure les boucles de 2,5km que les participant.e.s enchaînent). Un événement sportif et militant plutôt impressionnant donc, qui a pour but premier de sensibiliser le public aux discriminations (surtout celles liées au genre et à l’orientation sexuelle), de donner de la visibilité à nos amours et de montrer que courir… c’est moins douloureux et barbant qu’il n’y paraît ! Un événement d’autant plus important dans le monde du sport et du running, puisque cette année un classement et un podium était prévu pour les personnes non binaires, en plus des traditionnelles catégories « hommes » et « femmes » que l’on retrouve d’ordinaire dans les courses.
Mais tout ce que je sais quand je pénètre dans le gymnase Jean Jaurès avec la tête encore à ma soirée de la veille, c’est que j’ai oublié de prendre de quoi me changer après la course. Ce qui est bien dommage, car des vestiaires et des douches sont à disposition et que le tout est très bien organisé. Je n’ai pas le temps de m’en émouvoir, car certaines Joggouines sont déjà là, dossard épinglé et prêtes à en découdre avec les montées du parcours. Je file récupérer mon propre dossard et les cadeaux donnés aux participant.e.s (pas mal de choses, d’ailleurs, je peine à tout faire rentrer dans mon fidèle camel pack, qui accueille toujours mon bazar quand je cours). En attendant que le reste de la fine équipe arrive, je déambule entre les stands des partenaires installés dans le gymnase : Aides, Le Centre LGBT Paris Île-de-France, et bien d’autres associations sont présentes. Les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence sont là aussi, et elles nous donnent leur bénédiction avant de partir rejoindre les Buttes Chaumont. Moi aussi, je dois dire que je prie Sainte Sappho quand je me mets en route avec les Joggouines, avec dans les jambes la veille un 15km et une soirée, je ne sais pas comment je vais gérer les montées… Mais le temps que ma confiance revienne et que l’on rejoigne les Buttes, pourquoi ne pas vous parler de celles et ceux qui organisent cette course, les fameux Front Runners ?
Les Front Runners
Les Front Runners, j’en ai entendu parler avant même de devenir parisienne. J’avais aperçu leurs supporters quand j’avais couru le semi-marathon de Paris pour la première fois. Je les aurais d’ailleurs probablement rejoint si je n’étais pas tombée sur les Joggouines et qu’elles n’avaient pas volé mon cœur en premier ! Mais la vie est ainsi faite, et j’étais probablement destinée à les rencontrer pour la première fois sur cette course de la Saint-Valentin.
L’aventure des Front Runners débute à San Francisco en 1974 lorsqu’un groupe de sportifs inspirés par le roman The Front Runner de Patricia Nell Warren (une histoire d’amour entre un entraîneur de course à pied et son athlète, qui devient l’un des premiers romans gay contemporains à rencontrer un succès commercial et critique chez le grand public) décide de fonder un club de running. Rapidement, le club traverse le pont du Golden Gate pour s’exporter hors de San Francisco, puis des États-Unis. Aujourd’hui, on retrouve des centaines de clubs de Front Runners à travers le monde : New York, Londres, Manchester, Madrid, Sydney, mais aussi Lyon, Marseille, Lille, Nice et bien entendu Paris.
L’association parisienne voit le jour en 1992 et elle compte à ce jour plus de 350 adhérent.e.s. Membre de la Fédération sportive Gaie et Lesbienne, elle été reconnu comme association d’utilité publique en 2021. Son but, en temps que club de course LGBTQ, est de favoriser au travers de cette discipline l’intégration des personnes LGBTQ+ dans le milieu sportif et la société. Pour se faire, le club organise notamment la fameuse course de la Saint-Valentin (qui n’a désormais plus de secrets pour vous), participe à la Marche des Fiertés et à d’autres événements militants. Mais ce militantisme passe bien évidemment surtout par la pratique de la course. Faire du sport quand on n’est pas cis et/ou hétéro, c’est déjà particulièrement engagé si l’on prend en compte l’homophobie ou la transphobie qui peuvent souvent avoir cours dans les milieux sportifs. Et le sport, les Front, ça les connaît !
Les membres sont présent.e.s sur des courses variées à travers le monde, du trail à la route, du 10km au 100km et s’y illustrent. On peut aussi noter leur participation aux Euro Games et aux Gay Games (dont ceux de Paris en 2018, auxquels ils ont aidé à l’organisation). Pour s’y préparer, 4 entraînements par semaine sont proposés aux membres, avec des programmes adaptés au niveau et aux ambitions de chacun.e. Sont aussi organisés des stages de triathlon, des week-ends de ski de fond, pour varier les plaisirs, et même des sorties culturelles et festives pour se retrouver en dehors des pistes.
Mais avant de rêver de petites sauteries post-course avec mes camarades coureuses, il me fallait déjà courir cette édition de 2023 de la course de la Saint-Valentin ! C’est donc après un échauffement sur-vitaminé fort bien mené par une speakerine (un échauffement qui n’a rien à envier à celui du semi-marathon de Paris, l’ambiance et les costumes colorés était au rendez-vous !) que je rejoins enfin la ligne de départ. Je laisse les participant.e.s du 5km s’élancer en premier, et même ma gueule de bois ne les envie pas de courir moitié moins de distance que moi. Je suis aussi chaude que mes comparses, et visiblement je ne suis pas la seule Joggouine à noyer le décompte du départ en lançant Freed from desire dans mes écouteurs. Ça y est, il est 10h05,le top est donné ! Je déroule en descente, ravie de pouvoir enfin me lancer. Je laisse passer les copines qui vont faire un chrono. Moi, j’ai juste envie de profiter au maximum du temps magnifique qui vient guérir mes jambes fatiguées et mon estomac retourné. Et profiter de l’ambiance de la course ! Les montées sont adoucies par les supporters venu.e.s encourager un.e proche (ou récupérer leur gilet après la première boucle. Quelle chance pour elleux d’avoir du monde pour leur prêter assistance !).
Je connais le parcours par cœur. C’est celui que je faisais pour m’entraîner au trail du Saint-Jacques l’année dernière. Mais je suis nerveuse à l’idée de me retrouver de nouveau devant le Rosa Bonheur où je n’ai pas remis les pieds depuis un date avec une jolie Allemande qui a fini par me planter. Comme si les bénévoles avaient lu dans mes pensées, c’est à cet endroit précis qu’iels se sont assemblées pour une hola de pom-poms qui me redonne le sourire. Je termine la première boucle et enchaîne les autres en me laissant porter. L’ambiance d’amour et de célébration de la course se mêle à celle de ma soirée de la veille. Hold my hand de Lady Gaga remplace Sissy that walk dans ma playlist, et j’ai dû la mettre en repeat pour le reste de la course. C’était LA chanson qu’il me fallait pour ce moment où je plane. Où je laisse les endorphines me faire tout confondre, plaisirs présents et passés. Les Buttes Chaumont. La Sappho. Le soleil du matin sur ma peau. Les néons du Hasard Ludique sur celle de ma nouvelle « bonne amie » rencontrée la veille. Mes jambes excitées par les montées. Mes lèvres honorées par ses baisers. Mon souffle court. Le sien, encore plus. Les supporters. Les pom-poms. Les bénévoles. Les participant.e.s. Les copines. Et puis elle…
Je termine la course de la Saint-Valentin le cœur battant, avec un chrono dont je ne peux pas être particulièrement fière, mais ce n’est pas important. Ce qui l’est, c’est de savoir que je pourrai y amener l’année prochaine la jolie jeune personne que je fréquente désormais. Et que, si d’aventure elle est partante, on pourra s’y célébrer toutes les deux grâce à ce que cette course représente. Mais en attendant, il est plus que temps d’aller fêter ça au restaurant avec les Joggouines !
Et si ce récit vous a donné envie de participer à la prochaine édition, vous pouvez retrouver toutes les infos dont vous avez besoin sur le site de la course de la saint-Valentin ou sur celui des Front Runners. Merci encore à eux pour cette belle organisation !