On a découvert un jour Tahnee au détour d’une scène de Comedy Club. Elle est cool, elle est lesbienne, et elle est surtout super drôle et fait énormément de bien dans un paysage comique parfois bien misogyne qui recycle les mêmes vieilles vannes sur les dynamiques de relations hétérosexuelles. Alors, quand allez-vous voir Tahnee ?
BBX : Quand as-tu commencé à faire du stand-up ?
Tahnee : Il y a 6 ans, en 2017. Je faisais partie de la ligue d’improvisation de Paris, et je regardais en même temps beaucoup de sketchs, de one man shows. Secrètement, ça me titillait de me lancer seule sur scène, et comme j’aimais faire des blagues, j’ai commencé avec un stage à l’école du One Man Show. J’ai débuté avec une scène ouverte qui s’appelait Self-ish, une soirée open mic réservée aux personnes queer, et particulièrement aux meufs et personnes trans où j’ai testé mes premières blagues. J’ai aussi fait assez vite la connaissance de Shirley Souagnon qui m’a orienté vers les bars ou les comedy clubs où ce que je faisais, qui tournait beaucoup sur le fait d’être lesbienne et le coming out, allait être le “mieux reçu”.
Quand as-tu décidé d’en faire ton métier ?
Au début je faisais vraiment ça à côté, par plaisir. Je voyais que ça marchait bien, que ça résonnait beaucoup chez les gens. Assez vite, je me suis dit que ça serait assez cool d’arriver à écrire un spectacle d’une heure. Ça me prenait un peu plus de temps, j’ai commencé à me mettre à temps partiel au travail. J’ai commencé à jouer mon spectacle en 2019 à la Comédie des 3 Bornes et tout de suite ça a bien résonné, notamment dans la communauté LGBTQ+. Je voyais de plus en plus de gens me solliciter pour aller jouer dans des festivals et me suis dit que je pourrais essayer d’en vivre. Le COVID est arrivé et il y a eu un break, j’ai été contente d’avoir mon autre travail à côté. Ça m’a permis de prendre du recul et de vraiment prendre le temps d’organiser les choses, savoir ce que je voulais. C’est pendant ce temps-là que j’ai notamment rencontré ma productrice. Maintenant, ça faire un an et demi que je ne fais que ça à fond.
Tu fais plein d’autres choses que la scène à côté : tu as monté un podcast…
Il y a en effet un podcast, mais aussi la soirée Comedie Love qu’on avait créé avec deux autres humoristes (Mahaut et Lucie Carbone). Une scène féministe, queer et solidaire, puisqu’à chaque fois on invitait une association à qui on reversait une partie des recettes. J’ai fait des chroniques, de la radio, de la télé, plein de trucs annexes d’écriture, mais toujours sur le registre comique.
Tu as un humour assez politique et militant, c’est difficile de trouver sa place dans le stand-up, dans un pays qui n’aime pas politiser le divertissement ?
Il y a des gens qui aiment voir de l’humour avec du fond et un propos et qui fait qu’ils s’intéressent à mon travail. Mais c’est vrai que ce n’est pas majoritaire et c’est dur de faire sa place et de parler ouvertement d’être lesbienne, de coming-out, de lesbophobie. C’est vrai que les gens me catégorisaient comme faisant humour militant, engagé, et c’est vrai. Mais en même temps, quand je raconte des histoires avec ma meuf, ce que font tous les humoristes, moi ça devient engagé juste parce que je suis lesbienne. C’est ça qui m’a heurté au départ.
Quand j’ai commencé en France, même si les choses bougent, je trouvais que le stand-up donnait pas mal dans les blagues machistes, les stéréotypes, c’est pas très réfléchi et par moments très clichés. C’est pour cela qu’on a créé le Comedie Love : on voulait proposer un humour un peu plus fin, plus inclusif et donner envie aux gens qui sont rebutés par certains aspects du stand-up de voir qu’un autre type d’humour est possible.
Qui t’inspirait au départ ?
Mes influences à la base étaient françaises, mais je parle de moi adolescente avec des personnes comme Florence Foresti, Jamel Debbouze, Gad Elmaleh. Je trouvais la discipline géniale, parler directement au public, avec le quotidien, et ça résonnait avec tout le monde. Après, je ne regarde pas forcément beaucoup de choses. Évidemment Hannah Gadsby quand elle a sorti son spectacle Nanette, qui était une grosse claque. J’ai regardé un peu ce qui se faisait aux Etats-Unis, en Angleterre, mais j’ai aussi suivi aussi cette nouvelle génération avec Marina Rollman, Blanche Gardin, Shirley Souagnon qui a été un modèle important pour moi.
Il y a des gens qui aiment voir de l’humour avec du fond et un propos et qui fait qu’ils s’intéressent à mon travail. Mais c’est vrai que ce n’est pas majoritaire et c’est dur de faire sa place et de parler ouvertement d’être lesbienne, de coming-out, de lesbophobie.
Tu vas voir d’autres comédien.ne.s ?
Oui ! Je n’ai pas toujours le temps, car tous les soirs on joue, mais je me force à voir un maximum de spectacles. J’essaie d’y aller pour des humoristes dont j’aime beaucoup l’univers comme Yacine Belhousse ou Roman Frayssinet, où je sais que c’est quand même un peu des mecs déconstruits, mais sinon j’aime beaucoup Shirley, Laura Domenge, Marina Rollman, Tania Dutel, plein de meufs qui sont des modèles et des grandes soeurs dans le stand-up. Elles m’ont conseillé sur comment appréhender sa carrière, où jouer…
Il y a une différence de public entre Paris et la Province ?
A Paris, le public est très exigeant. Il y a de l’offre et les gens se disent “on est là, alors fais tes preuves”. J’ai fait venir une meuf de Marseille pour une première partie, et elle m’a dit “à Paris ils sont durs”. Il faut leur montrer dès les premières minutes que tu es drôle. J’ai trouvé Marseille à l’opposé, le public est on fire, trop content de découvrir une nouvelle personne, trop content d’être là dans une salle pour rigoler pendant une heure.
Tu aimes quand le public interagit ? Je sais que beaucoup préfèrent quand on se tait…
J’avoue, quand j’ai commencé je n’aimais pas ça. Je trouvais qu’en tant que public c’est horrible, tu n’as pas forcément envie que l’humoriste parle, ce sont souvent des questions bateau, “tu es en couple, c’est quoi ton travail ?” et tu es là “j’ai pas envie de répondre !” Je me disais qu’en tant qu’humoriste je n’aimerais pas faire ça, et en même temps quand tu sens que la personne a envie que tu lui parles, j’essaie de me prêter au jeu. J’essaie de voir si la personne est timide ou si il y a moyen de rigoler un peu. Je trouve que parfois ça marche bien. J’essaie de ne pas tomber dans les clichés en mode “tu fais quoi dans la vie” ou « est-ce que la personne a côté de toi c’est ton date ?” car c’est hyper gênant.
Au début je ne le faisais pas parce que quand tu es déjà stressée sur scène, tu n’as pas envie de dire n’importe quoi, ça demande quand même un certain lâcher-prise. Mais tu peux aussi tendre la main à quelqu’un qui ne s’arrête plus de parler. Il faut trouver l’équilibre.
Tu es aussi beaucoup sur les réseaux sociaux, ça doit te prendre beaucoup de temps.
Je pense que c’est un peu inévitable. Les salles nous demandent combien on a d’abonné.e.s, et on se rend compte aussi que c’est comme ça qu’on remplit : les gens voient 5 ou 10 minutes de ton univers et prennent un ticket pour en voir plus. Je demande à la fin de mon spectacle comment ils ont entendu parler de moi et c’est beaucoup par les réseaux sociaux. Maintenant c’est notre vitrine.
Du coup il faut être aussi cadreuse, monteuse…
Il y a des gens qui n’aiment pas ça, j’avoue que moi, je rigole bien, ça me plait de faire mon petit montage, mais ça prend énormément de temps, il faut avoir de l’inspiration pour publier régulièrement. Après je ne vois pas d’autres possibilités, à part courir tous les comedys clubs..
Tu l’as fait ?
Je le fais toujours un peu. Là comme mon spectacle est deux fois par semaine, on a doublé le rythme. Je me mets donc à faire plus de soirées pour montrer ma tête et me faire connaître, parce que je sais que ça marche aussi.
As-tu encore le temps d’écrire ?
Ça dépend des moments. Actuellement, c’est le rush, mais avant j’essayais le matin en mode “allez, pendant une heure, je suis face à mon ordi et j’essaie de trouver des trucs”. Après je sais que j’ai déjà fait bouger mon spectacle en septembre, j’ai déjà une heure, je suis pas forcément dans la nécessité d’écrire toujours des nouveautés. Je vais être plus à trouver des idées de contenus pour les réseaux sociaux.
Je suis du style à écrire un peu partout, si je trouve un truc drôle je le note dans mon téléphone. Ce que je fais par exemple aussi c’est quand je sais que je vais jouer dans un comedy club, une heure avant je vais trouver des trucs marrants à tester tout de suite après. Pour moi, l’écriture, c’est beaucoup d’allers-retours, de tests sur scène.
Comment vis-tu une blague qui ne marche pas ?
Ça fait partie du truc. C’est très rare que j’aille dans un comedy club et que je ne fasse que des tests. Je sais que certains trucs du spectacle marchent, alors quand je teste je le fais à la fin après mes blagues « sures ». Généralement les gens savent qu’il y aura des tests, ça fait partie du jeu.
Tu parlais de tes “blagues sures” : est-ce qu’il y en a une que tu n’enlèveras jamais ?
Il y a des blagues qu’on a trop fait et on s’en lasse, du coup elles sont moins drôles. Je ne pense pas qu’il y ait une blague dont je sois certaine. J’en ai des préférées en ce moment, mais je sais qu’à un moment ça va me souler.Il y avait une blague qui marchait beaucoup quand j’ai commencé où je comparais le coming out à un pet foireux. Elle n’est plus dans le spectacle, je n’en veux plus. On s’en lasse, et si ça ne nous fait plus rire, on ne va pas bien la vendre.
Peux-tu nous parler de ta soirée pour le mois des fiertés ?
On fait une soirée le 12 juin dans la suite du Comedie Love. C’est une soirée avec Lou Trotignon, un jeune humoriste trans qui a aussi imaginé des soirées stand-up à la Mutinerie et avec Mahaut et Noam Sinseau qui gèrent le Comedie Love avec moi. Ça sera un peu le même concept, ce sera un gala de stand up avec que des artistes queer qui font des blagues, au Théatre de l’Européen. Les recettes seront reversées à la Pride des Banlieues.
Tu crois qu’il existe un humour lesbien ?
J’ai un très bon souvenir de la date d’Hannah Gadsby au Trianon en novembre. J’avais vraiment l’impression que la salle était remplie de lesbiennes et il y avait pas mal de private jokes assez cools. Je me suis dit qu’on avait quand même notre humour, notre culture, nos références. Je pense que oui, il y a un humour lesbien. On peut faire des blagues sur The L Word, sur le fait qu’on emménage au bout de deux mois de relation, qu’on prend un chat. Il y a plein de codes lesbiens sur lesquels on peut rire, et ça nous fait même du bien d’en rire, parce que la vie n’est pas toujours facile. Je suis assez d’accord sur le droit qu’on a de rire de nos vécus, de nos clichés, de nos conneries.
Des projets à moyen et long terme ?
L’idée est de continuer à faire tourner le spectacle. Je vais le présenter au Festival d’Avignon au mois de juillet et faire plein de dates entre septembre et le printemps prochain. J’aimerais beaucoup le conclure dans une belle salle fin 2024.
Je commence potentiellement à réfléchir à des idées pour un deuxième, mais aussi à d’autres choses, ça peut être un livre, développer des contenus en ligne.
Comment sont les commentaires sur tes réseaux sociaux ?
Ça dépend vraiment des réseaux. Insta c’est plutôt cool. Facebook, j’y vais moins souvent. Parfois c’est horrible, et parfois aussi sur Youtube. Des gens atterrissent sous mes vidéos et ils ne comprennent rien à ce que je défends. C’est pas évident. Les gens disent de ne pas lire, mais tu ne peux pas t’empêcher.
C’est “t’es pas drôle” ou de la lesbophobie ?
Le truc qui revient souvent c’est “pourquoi elle nous parle encore de sa sexualité celle-là ? On s’en fout qu’elle soit lesbienne” C’est vraiment le truc numéro 1.”Maintenant faut être lesbienne pour être connue ?” et tu as envie de dire “Bien sur, tout le monde le sait, c’est vraiment un super avantage”.
Il y a aussi plein de retours positifs, et c’est ça qui me donne envie de continuer : des gens qui te disent merci, qui se sentent représenté.e.s. Ça permet de toucher un public plus large. C’est un peu le confinement qui m’a poussé à faire des contenus en ligne. J’avais peur des haters, du cyber-harcèlement. Je touche du bois, ça ne m’est jamais arrivé de manière trop violente.
C’est tendu parfois avec le public ?
Quand c’est mon spectacle, les gens savent ce qu’ils vont voir. Après ça dépend, j’ai fait une semaine à Lyon au mois de novembre, au Complexe du Rire, avec beaucoup d’abonné.e.s qui font confiance à l’endroit et ne savent pas forcément ce qu’ils vont voir. C’est aussi ça que j’aime bien, quand c’est mélangé, et qu’on vient me voir en disant “on est hétéros, blancs mais on a adoré votre spectacle”. J’aime le faire pour les personnes concernées mais c’est mieux quand ça se mélange et ça peut faire changer un peu les mentalités.
Ça m’est aussi déjà arrivé de participer à des festivals d’humour, et là c’est dur. C’est un public plus habitué aux blagues “à l’ancienne” que tu déstabilises. C’est quand même intéressant parce que ça leur fait voir d’autres choses. Après je ne passe forcément mes meilleurs moments. Je sens vraiment que je pars à la guerre !
Tu te sens une responsabilité, en tant qu’humoriste qui a de la visibilité, d’en donner aussi aux nouveaux talents queers et/ou racisés ?
Oui, j’aime bien. Je pense que la plupart de mes premières parties étaient des femmes, parce que c’est tellement dur de faire sa place dans l’humour, il y a tellement de sexisme. Et quand tu y arrives, on te met en compétition avec d’autres meufs. Ça m’est arrivé aussi de prendre des mecs gays, des personnes noires, des personnes trans, c’est important. Je me sens ce devoir.
Tu penses quoi des gens qui disent qu’on devait pas mettre de quotas ou de se forcer à la visibilité sous prétexte qu’on est censées se foutre “de son genre ou de son orientation sexuelle si une personne est drôle” ?
On ne va jamais réussir à atteindre la parité si on ne met pas un petit coup de boost volontaire. Cette mentalité est très présente dans le stand-up, notamment dans les concours, où les gens disent “nous on ne veut pas prendre des meufs juste parce que c’est des meufs, ça ne leur rendrait pas service”. Bah oui, mais vous avez tellement de biais dont vous n’avez même pas conscience que là, je suis mme pas sûre que ce qu’ils considèrent comme “bons”, moi je les considère bons, parce que ça peut être pété, sexiste. On va dire “ce mec marche”. Oui, ok, mais devant quel public ? Un public habitué aux vannes clichés ?
Je me souviens d’un after de la Pride de Barbieturix dans un lieu où il y avait du stand-up. J’avais écrit aux organisateurs en mode “je fais la pride, je fais l’after, est-ce que je peux m’incruster sur le plateau ?” Le mec dit oui. Les autres humoristes qui passaient ne savaient pas du tout quel type de public ils allaient avoir, à 90% féminin et à 95% lesbien, et pour eux, c’était hyper dur. Leurs blagues ne fonctionnaient pas, ils étaient perdus. J’ai eu la preuve que l’humour encore aujourd’hui était subjectif et que ça dépendait vraiment du public.
Les meufs ont moins l’opportunité de jouer. Et comme les comedys clubs sont majoritairement gérés par des mecs qui vont naturellement faire jouer leurs potes, qui vont jouer plus et donc progresser plus vite. Si on veut que les meufs progressent aussi, il faut qu’on les programme plus.
Est-ce que j’ai oublié de te poser une question ?
Est ce que les lesbiennes ont le sens de l’humour ? Souvent on dit que les féministes ne sont pas drôles. Et bien si, la preuve. Je trouve que les lesbiennes ont de l’humour. Je rigole beaucoup avec les lesbiennes en tout cas.