J’ai flashé sur les Psychotic Monks depuis la sortie de leur troisième album Pink Color Surgery, il y a un peu plus d’un an sur FatCat Records. Le son de l’album est viscéral mais ludique, effervescent mais mature, et surtout c’est la bande son d’un réveil nécessaire vu le climat sociopolitique assommant du moment. Il serait réducteur de ranger leur musique dans la boîte rock expérimental, mais cela donne une idée de ce qui pourrait être le genre le plus proche. En tous cas, les voir sur scène est un must : les quatre musicien.nes chantent et alternent le rôle de front wo/man, les synthés noise sont joués en live, et l’ambiance oscille entre électrique, hypnotique et cathartique.
Voici une discussion sur leur processus musical, leur code de conduite en salle de concert et leur engagement politique. Cet échange a eu lieu en plusieurs étapes, avant un concert à Berlin en mode relax, puis post-élections en mode plus tendu, mais quand même légèrement soulagé – pour le moment.
Le nom de votre groupe, The Psychotic Monks, ça veut dire…?
C’est un nom qui nous a fait poser pas mal de questions. Y’a des moments où on aime bien le voir en second degré, comme un nom de groupe un peu nul mais qui peut faire rire tellement il n’est pas terrible, et des fois il a du sens. Je pense notamment en tournée.
Au fur et à mesure, il a pris le sens de vouloir mettre des mots sur qu’est ce que c’est la maladie mentale, comment est-ce qu’on perçoit ça aujourd’hui dans la société? Est ce qu’on est légitime d’en faire un vrai sujet ou pas? On s’est dit que oui, on avait envie de mettre ça sur la table et de s’approprier ce nom de groupe.
Dans le groupe, avez-vous dû déconstruire vos pratiques musicales classiques, ou avez-vous toujours été freestyle ?
Non, on n’a pas toujours été comme ça. On vient tout.es les quatre du conservatoire. Et c’est vraiment avec la tournée qu’on a appris à construire de plus en plus notre musique, et en découvrant des groupes qui nous ont montré qu’on pouvait aller encore plus loin. On a aussi eu un lieu pendant cinq ans où on a bossé en huis clos, et on s’est laissé sortir des carcans de ce qu’on nous avait appris dans des écoles de musique… on a beaucoup appris ce qu’on ne voulait pas faire du coup. Et à force d’avoir des problèmes techniques, il y a des choses qui sortent, des surprises, des accidents et ça a vraiment donné de nouvelles idées pour ouvrir notre musique.
Avez-vous des règles pour vos improvisations, et comment gérez-vous le processus démocratique ou anarchique où chacun.e prend son espace sans gêner les autres ?
Les règles qu’on a, c’est d’essayer de se laisser de la place quand quelqu’un.e a une idée et d’essayer de suivre à fond. A force de beaucoup improviser entre nous, je ne saurais même pas mettre des mots sur nos règles. On a trouvé qu’il suffit d’un regard, d’un mouvement de poignet… et on se comprend assez vite. Vu que c’est de la jam, ça sort de nulle part à chaque fois. Donc tout.e le monde est un peu surpris.e. Et il y a des fois où ça marche pas.
Côté démocratie, on a voulu démarrer le groupe vraiment à l’horizontal, où tout.e le monde participe aux décisions communes. Puis on s’est rendu compte que c’était compliqué. Maintenant on arrive à se faire confiance et à se laisser les zones où on est le plus à l’aise pour gérer tel ou tel dossier. On s’est un peu rendu compte que dans la démocratie aussi, il y avait quelque chose où si quelqu’un.e n’était pas pour mais que les trois autres l’étaient, et bien la personne qui n’était pas pour, ça pouvait être récurrent et donc du coup, ça pouvait être inégal. On a choisi de prendre plus de temps et tant que ça ne va pas à une personne, on le fait pas et on cherche une solution pour que ça aille aux quatre. Ce n’est pas c’est pas anarchique, ni démocratique, parce que c’est la minorité qu’on essaie d’écouter plus. Je le disais tout à l’heure quand on a fusionné à un moment, on voulait à tout prix écouter et faire les mêmes choses, et après on a vite capté qu’il fallait plutôt se baser sur nos différents vécus pour que chacun.e ait sa place.
Vous aimeriez improviser avec d’autres artistes ou le public ?
Oui, c’est clair. Maintenant qu’on est arrivé.es au bout d’un processus à quatre, qu’on a réussi à trouver ce qu’on cherchait depuis dix ans, on se sent prêt.es à ouvrir vers les autres. Même avec les gens du public.
C’est quoi votre concert idéal ?
Pas de scène, même à même le sol avec des gens tout autour. Une sono en 360. Et du coup faire participer le public, jammer ensemble, c’est vraiment un truc qu’on aimerait.
Dans notre concert, il y a des moments de nuance, on peut aller très fort et on va aussi à des moments très faibles en volume. Et donc on entend les gens qui parlent ou le bar qui sert une bière, ça devient un ensemble un peu musical dans la salle. Quand on entend des gens qui crient, qui remarquent leurs propres bruits dans la musique, c’est un truc qui nous fait marrer. Il y a des gens qui font « chut », mais en vrai, c’est bien qu’il y ait du bruit !
La musique, c’est forcément politique ?
A priori oui. Juste en montant sur scène, on participe à des symboles, à une représentation, on a un micro et la possibilité de dire ou de relayer des choses. La musique ça crée des espaces de rassemblement et des communautés; et en fonction des gens qui se rassemblent et des idées qui se partagent, et ça crée un ensemble politique.
Ce qu’on a découvert à quatre sur le fait d’écouter la minorité, on a essayé dans nos positionnements politiques de faire la même chose, parce que quitte à être sur scène, autant que ça serve aux gens qu’on n’écoute pas et qui ont moins la place – en sachant qu’on vient nous, d’endroits un peu plus privilégiés. Le but c’est d’essayer de parler, relayer et de donner la parole aussi.
Comment gérez-vous la tournée, surtout en passant par l’Allemagne en générale assez sioniste, et votre santé mentale ?
C’est une question qu’on s’est posée aussi. Parce qu’on avait l’habitude d’avoir une pancarte pendant un moment, maintenant on dit un petit mot parce que c’est plus direct. On s’est posé la question si on n’allait pas se faire annuler… Après le rapport tournée / santé mentale, il y a le contexte actuel, il y a le travail en collectif, et il y a aussi le rapport à sa vie perso. Et oui, on fait très attention, on s’est posé des limites, on s’est dit qu’on pouvait annuler cette tournée. En tout cas, nous c’est la priorité maintenant parce qu’en 2019, on a découvert la tournée intense et on en est sorti.es physiquement et psychologiquement fatigué.es. Je crois que c’est ça qui est le plus dur au départ, de se dire là, si j’annule, il y a des gens qui sont payés pour ça, qui sont avec nous sur la route…
Si on était dans d’autres jobs, il y a des situations où on aurait déjà demandé un arrêt de travail juste parce qu’on était psychologiquement plus capables. Faut aller chercher de la ressource, avoir une grande confiance entre nous quatre, avec notre équipe aussi. Après on essaie d’être le plus possible vigilant.es et de s’informer sur là où on va jouer. On essaie de relayer aussi des choses, et on se dit que c’est cool tant qu’on ne nous empêche pas de jouer, véhiculer des propos, et d’aller représenter des idées.
Votre musique, c’est une menace envers le status quo, du baume au cœur, une escapade… ?
Baume au cœur. On en parle beaucoup entre nous, c’est cathartique. Et la scène, nous permet de lâcher prise et d’essayer d’emmener les gens avec nous dans cette énergie-là. Il y a une grosse décharge émotionnelle qu’on recherche. Et se donner de l’énergie aussi, se donner du temps. On n’est pas tout.e seul.e, on est nombreux.ses à ressentir des hauts et des bas, à vouloir se mobiliser, à ne pas savoir comment le faire.
La tournée, c’est presque une prise d’air par rapport à quand on est en France. On dit la France, mais l’Allemagne c’est compliqué par rapport à la Palestine… On se dit aussi plus les gens prennent la parole, plus le status quo a peur. Deux camps qui s’affrontent quoi.
Et ça fait peur. Il faut être particulièrement à l’écoute des personnes qui seraient en première ligne des politiques racistes, fascistes, coloniales… Et nous justement, de ne pas faire l’autruche parce que ça nous tombe pas dessus de suite.
Vous avez un code de conduite sur votre Instagram, pensez-vous que ça a été bien reçu par vos fans, les promoteur.ices et les lieux de concerts?
Ça a fait un tri. Au début, on s’est positionné contre les violences internes aux salles de spectacle, à la fosse, au public. Où nous, on décharge d’une manière assez cathartique, et il y avait beaucoup de mecs qui avaient le discours en mode « mais vous pétez bien votre câble sur scène, nous aussi on a le droit de péter notre câble en fosse ». Notre manière d’être sur scène, comme on était en 2019, on avait des retours sur la musique en mode « c’est violent, c’est le chaos, c’est une baffe dans la gueule ». Donc on a essayé de se rapprocher un peu plus de notre ethos avec le dernier album.
Mais oui, ça a fait le tri. Déjà parce qu’il y a des mecs qui ne supportent pas qui on leur pose un cadre. Et puis après il y a eu l’affaire de Nahel, le jeune tué par la police. Il y a des gens qui ont commenté « c’est le truc de trop. Je m’en vais, je vous lâche ». De toute façon, si vous partez, c’est qu’on n’est pas d’accord. La transidentité d’Artie aussi est venue déranger certaines personnes qui se mêlent de ce qui les regardent pas. Mais ça a aussi aidé à créer une communauté, il y a à la fois des gens qui se sont barrés et des gens qui se sont rapprochés. Le fait de se politiser un peu plus a été une porte d’entrée pour que des personnes se disent « en fait, j’ai ma place là-dedans ». Peut-être qu’avant, on ne le percevait pas ce but d’être inclusif.ves.
Un concert en 2019 qui s’est très mal passé à la fin, a été le début d’une grosse remise en question parce qu’il y avait eu beaucoup de violence dans la fosse. Puis Artie a pu prendre la parole sur sa transidentité, on a pu inviter des gens pour parler de la Palestine, c’était un peu la concrétisation qu’on peut réussir à faire évoluer un endroit. Il y a eu un travail de fond qui a fait que l’ambiance a changé pendant nos concerts.
Et pour les partenaires, ça fait toujours peur quand on se positionnent politiquement. Il y en a qui nous soutiennent dès le départ, il y en a qui sont plus frileux.ses. Après on discute, on accepte de ne pas être d’accord. En tout cas, nous on ne s’empêchent de faire ce qu’on doit. C’est de la négo.
Comment envisagez-vous les questions du genre dans le contexte actuel de l’arrivée en force du fascisme ?
Après la menace fasciste de notre dernier épisode électoral, on a besoin de faire front ensemble, et surtout de faire de la pédagogie. Il faut se poser la question des interfaces culturelles et sociales pour partager les questions du genre, comment mobiliser et intéresser les personnes qui ne sont pas sensibilisées. De l’arrivée en force du fascisme il est d’autant plus urgent de reconnecter avec nos voisin.es, de promouvoir cet idéal de tolérance et partager nos savoirs. Il y a beaucoup de désinformation au sujet du genre, il est crucial de pouvoir se défendre des opinions présentées dans les medias mainstream ; c’est un sujet qui terrifie en France. Et en fait c’est aussi un business aujourd’hui d’aller vers la haine, il y a tendance à monter les minorités à se taper entre elles. C’est le jeu des puissants et du patriarcat au final pour garder l’ordre.
Et y’a besoin que ces personnes soient invitées à parler. Souvent lorsque l’on parle des personnes trans*, notamment en France, ce n’est pas des personnes trans* qui parlent de leur expérience, c’est des gens qui projettent, c’est jamais les personnes concernées qui viennent s’exprimer – comme les questions sur le racisme aussi, notamment dans les grands médias. Que les gens s’éduquent par eux-mêmes et fassent un pas vers l’autre, vraiment qu’on se rende compte des privilèges qu’on a et des normes qu’on a en tête aussi.
Un message des Psychotic Monks pour le public ?
Il est essentiel d’éviter l’exclusion le plus possible et il est très important de chercher à comprendre la réalité́ des autres. Nous sommes terrifié.es que nos droits soient directement menacés par la popularité́ des courants d’extrême droite, qui récupèrent des personnes qui désirent un changement légitime mais ne savent plus où le trouver. Ne nous trompons pas d’ennemis, il y a beaucoup d’efforts à faire pour se parler et inverser la tendance. Continuons l’union populaire et ne laissons aucun terrain aux fascistes pour semer des idées qui prônent l’intolérance.
Alors prenez soin de vous. Indignez-vous, indignons-nous. Continuez à créer des communautés et à poser des questions, et à se parler et à se faire confiance. Lâcher prise aussi, parce qu’on est à un moment où tout.e le monde est à bout dans le travail et le reste… Et nous, on a la chance d’avoir un taf qui nous permet de vivre en faisant de la musique.
Et puis Palestine ! C’est un étau de fer de beaucoup de luttes qui se cristallisent contre le colonialisme, contre le patriarcat, contre le racisme. Se mobiliser quoi. On reçoit aussi d’autres personnes qui nous marquent et qui nous disent ces mêmes messages-là. Parce que des fois on est en perte d’énergie et on voit d’autres personnes qui continuent de se mobiliser et qui continuent de donner de l’énergie… soyons une chaîne d’énergie positive.
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