Maintenant, je me baigne nue

Les naturistes, les nudistes, les gens qui se baignent à poil en général, dans ma tête c’était des vieux bedonnants à la Bidochons qui, au supermarché, plongent leur paquet dans le cageot à tomate en essayant d’attraper les laitues en hauteur. Les rares fois où je m’étais risquée à me baigner nue c’était dans l’obscurité, pour rajouter à la transgression du bain de minuit. Et encore, on ôtait notre maillot qu’une fois immergées et à l’abri des regards peu probables quand il fait déjà noir.

En arrivant chez Isa, j’étais un peu étonnée de voir Ana et Amaya à poil dans la piscine ; et puis je me suis dit pourquoi est-ce qu’elles mettraient un maillot si d’ordinaire elles mettent pas de soutif ? Ma surprise a grandi au fur et à mesure que les autres filles les rejoignaient, se dessapant plus ou moins vite mais toujours complétement. Epilation parfaite ou inexistante, ici une ficelle de tampon qui dépasse, et là, la cicatrice visible de l’ablation d’un sein ; des corps secs et des corps moelleux qui visiblement se moquaient de mon regard ébahi. Du coup je me sens stupide, moi, avec cette maille bleue qui me strie les bourrelets et m’emprisonne les seins.

Quelques semaines plus tard, je n’ai pas emmené de maillot à la plage. Après cette première vraie baignade, je me suis demandé comment j’ai pu passer vingt-cinq ans à m’emmerder avec ces bouts de tissu mouillés.

Il y en a qui vous diront qu’il y a pas photo au niveau des sensations et que le maillot c’est presque un carcan. C’est vrai. C’est vrai aussi qu’on se sent libre et fragile à la fois. Mais plus important encore j’ai l’impression, se baigner nu c’est renoncer à donner de l’importance aux regards des autres sur son corps. Car en prétendant dissimuler, le maillot met en avant beaucoup de choses.

Aussi paradoxal que ça puisse paraitre, tout montrer c’est désexualiser le corps, c’est échapper au phénomène de séduction propre à la plage, c’est envoyer se faire foutre les opérations bikini, les bronzages parfaits, les gouttes sexy sur un corps ferme et autres commandements estivaux qui font que tu n’es jamais assez bonne en maillot.

Alors que j’ai grossi, que mes seins tombent, que des poils dépassent, que ma chatte ressemble pas à celles qu’on voit dans les pornos, que mes cuisses se touchent quand je marche, que je sois trop pâle ou trop rouge, que je sois bardée de cicatrices, de tatouages signes chinois faits à un âge où on devrait pas prendre ce genre de décisions irréversibles… Je m’en fous.

Je me baigne à poil parce que je m’en moque de tout ça et que finalement je vis pas si mal avec mon corps.

La gêne, elle, vient d’ailleurs ; elle vient de cette fille qui m’a dit de mettre au moins une culotte parce qu’il y a des gens autour, d’un pote qui détourne les yeux comme pour dire « cachez ce sein que je ne saurai voir ». Je n’avais pas prévu ça, trop occupée à surmonter mon malaise pour m’occuper de celui des autres. Je n’avais pas songé qu’il y avait d’autres barrières que celles que j’ai dans la tête. Que quand tout le monde est en maillot, être à poil c’est vu comme un manque de pudeur voir de l’exhibitionnisme.

Alors la prochaine fois et toutes les autres, j’irai chez les naturistes, les nudistes, les gens qui se baignent nus en général, tremper mes poils dans le premier cageot à tomate venu.

Julia