Christine Bard est historienne, spécialiste du féminisme en France. Elle revient sur l’émergence et l’évolution du militantisme lesbien au sein du mouvement LGBT. Une lutte pour les droits des homos qui va de paire avec les combats féministes.
Barbi(e)turix : A quel moment les lesbiennes sont-elles apparues en tant que « catégorie » dans le militantisme LGBT ?
Christine Bard : C’est très récent. Il faut attendre l’après-mai 68, le MLF (1970) et le Front homosexuel d’action révolutionnaire (1971), créé par une majorité de femmes.
Se sont-elles auto-définies comme telles – lesbiennes et militantes – ou ont-elles au départ été définies par d’autres comme telles ?
L’acte premier a justement été de s’autodéfinir, de donner un sens politique au mot « lesbienne », de faire preuve de distance critique à l’égard de qualificatif « homosexuelle » et de ses connotations quasi médicales.
Comment s’articule le lien entre féminisme et lesbianisme militant ?
Le lien est ancien et logique : aimer les femmes, défendre leurs droits, leur liberté sur tous les plans. Il faudra pourtant du temps pour que le féminisme élabore une critique radicale de l’hétérosexisme. Cela semblait au contraire évident pour les antiféministes : une féministe est forcément lesbienne ! Être lesbienne étant souvent dans ce cas associé à la détestation supposée des hommes.
Du point de vue des lesbiennes, les choix sont multiples : ne pas militer du tout – cas majoritaire – ou militer en tant que femme, ou en tant que lesbienne, ou militer sur les deux fronts, soit séparément, soit dans des groupes se réclamant du féminisme lesbien ou du lesbianisme féministe. Le féminisme étant bien plus ancien que le militantisme lesbien, pendant longtemps, des femmes homosexuelles ont été « seulement » féministes, avec des difficultés à dire leur homosexualité et à politiser cette question. Le silence du féminisme français sur l’homosexualité a été redoutable, et difficile à briser. Pourtant, sans le féminisme, il n’y aurait pas eu de mouvement lesbien !
L’acronyme LGB est apparu dans les années 1980 : quelle était alors la place des lesbiennes dans cet ensemble ?
Les associations LGB, de plus en plus nombreuses à partir des années 1980, sont mixtes, mais dominées par les hommes, et pas seulement sur le plan numérique. On y retrouve les rapports de domination homme/femme qui marquent le reste de la société, parfois atténués par certaines prises de conscience et des mesures volontaristes. Il y a donc quand même du militantisme lesbien dans ce cadre, mais, pour l’essentiel, il se déroule ailleurs, sans que cela empêche d’ailleurs des moments partagés de lutte, dans les marches des fiertés par exemple.
Existe-t-il un militantisme lesbien à proprement parler ? En quoi diffère-t-il du militantisme LGBT en général ?
Le militantisme lesbien existe depuis les années 1970. Il naît dans le mouvement des femmes (le premier groupe s’appelle Les gouines rouges). Dans les années 1980, il devient plus autonome mais reste attaché au féminisme (tout en dénonçant son hétérocentrisme). Il a plusieurs facettes : la politique, la sociabilité, la culture etc. La grande différence est sans doute la volonté de non mixité (militer entre lesbiennes), qui va avec la critique du sexisme (conscient ou pas) dans le militantisme LGBT et l’objectif politique qui est de lutter contre l’hétéropatriarcat.
La lutte contre le sida est centrale dans le militantisme gay. Le militantisme lesbien a-t-il aujourd’hui un fer de lance ? La PMA par exemple ?
Il y a une attente très forte à propos de la PMA, mais que je ne comparerais pas à la mobilisation contre le sida. Le militantisme lesbien est pluriel, ce qui est logique en raison de la diversité des origines, des préoccupations, des styles de vie, des opinions politiques, des générations de celles qui le font exister. Des sensibilités s’opposent, mais le combat contre les discriminations et les violences rassemble.
Propos recueillis par Marie