Massimo Prearo est sociologue à l’EHESS et rédacteur en chef de la revue électronique Genre, sexualité & société. Spécialiste des politiques de l’homosexualité et des mouvements LGBT, il analyse pour Barbi(e)turix le militantisme LGBT actuel, à la lumière de cette année si spéciale. Interview.
BBx : Comment caractériser le militantisme LGBT aujourd’hui ?
Massimo Prearo : Le militantisme LGBT ne se décline pas au singulier. Il y a plutôt des pratiques militantes plurielles : lesbiennes, gaies, bi, trans, transgenre, transpédégouine, intersexuelles, queer, etc., qui peuvent communiquer ou se croiser et éventuellement se fédérer autour d’une cause, comme on l’a vu pour le mariage pour tous. Cette pluralité a toujours existé au sein des mouvements LGBT, même si les projecteurs sont souvent mis sur la composante gaie masculine.
Ce qui a changé, c’est qu’aujourd’hui on observe un espace du militantisme LGBT en forme d’archipel. Les différentes îles qui le composent sont chacune un monde à part entière. Et en même temps toutes sont connectées entre elles. Si des associations comme l’Inter-LGBT ou la Fédération LGBT assument souvent le rôle de porte-parole, elles ne résument pas pour autant cet archipel.
Existe-t-il, avec les réseaux sociaux notamment, de nouvelles formes de militantisme LGBT ?
Les réseaux sociaux jouent un rôle d’amplificateur : l’information circule beaucoup plus rapidement qu’avant et touche plus de gens. Pourtant, la pratique militante n’a pas tellement changé. Il y a toujours besoin de « main d’œuvre » pour distribuer des tracts, préparer une manif, répondre au téléphone, bref, toutes ces tâches minuscules qui font le cœur du militantisme.
Certains groupes, notamment queer, s’orientent davantage vers un travail de networking en ligne, moins coûteux et plus mobile, mais je ne crois pas que le web soit pour autant un espace de militantisme en soi. C’est plutôt une de ses extensions possibles.
Quand on voit qu’un salon du mariage réservé aux homosexuels a vu le jour et que ses organisateurs veulent faire passer ça pour un acte militant, peut-on parler de dérives commerciales du militantisme ?
Ce n’est pas la première fois que ce type d’événements est organisé, je pense au Salon Rainbow Attitude (2003) qui avait fait couler beaucoup d’encre et s’était très vite épuisé. Là aussi, les organisateurs tenaient un discours qui tentait de faire passer la visibilité LGBT offerte par l’événement pour une noble forme de militantisme.
L’argument de la visibilité fonctionne toujours : parler et faire parler des réalités LGBT contribuerait à faire avancer l’acceptation et la tolérance… Mais il suffit de penser à la violence des actes des dernières semaines, les tabassages et insultes auxquels on a assisté, pour comprendre que les coups médiatiques ne profitent qu’à celles et ceux qui ont quelque chose à gagner. Cela n’a jamais servi les intérêts des communautés LGBT.
Que retenez-vous des débats de ces derniers mois ?
Cette période a été l’occasion d’une action inter-associative LGBT inédite. Pour la première fois, les associations ont réussi à s’entendre sur une plateforme de revendications communes et à unir leurs ressources pour porter ce combat. Bien que des accidents de parcours aient pu arriver en cours de route, cette loi ne s’est pas faite sans les associations LGBT.
Reste à savoir voir maintenant ce qui ressortira de tout cela. On peut craindre une démobilisation, mais on peut aussi espérer un renouveau du mouvement LGBT.
Diriez-vous que le militantisme actuel est plus discret ou plus politiquement correct qu’auparavant ? C’est ce que dénonce certains, et on a eu l’impression ces dernières semaines d’entendre beaucoup plus la voix des opposants.
C’est vrai que les opposants au mariage pour tous ont été très violemment bruyants. La droite parlementaire leur a prêté main forte et a, de fait, permis l’amplification de la mobilisation des « anti ». Les hésitations du gouvernement n’ont d’ailleurs pas contribué à contrer cette violence. Mais vu la mobilisation des deux dernières années, dire que le militantisme LGBT est resté discret ou politiquement correct serait grotesque.
Il est d’ailleurs faux de croire que l’engagement militant serait moins fort aujourd’hui qu’autrefois. Les militant-e-s ont toujours été une partie de la population homosexuelle, jamais sa totalité. Bien sûr, faire un coming out, n’est jamais une affaire privée. C’est un acte qui a des répercussions sur les proches, le travail, la politique aussi. Mais tout le monde ne le vit pas comme un acte militant.
Maintenant, on peut regretter que les moyens manquent, que les stratégies de prévention dans la lutte contre le sida n’atteignent pas les résultats escomptés ou que des revendications, comme celle du mariage, occultent d’autres problématiques (l’immigration LGBT, la précarité des personnes LGBT, etc.). Mais le problème n’est pas celui des jeunes qui ne s’engagent pas ou plus. C’est celui des mouvements LGBT, de leurs responsables et des personnes qui s’y investissent et doivent s’interroger : quelles sont les priorités ? Quelles politiques au-delà du mariage pour tous ?
Propos recueillis par Charlie