« L’élite décadente et dégénérée veut changer le monde à son image ». Non, ceci n’est pas un extrait de « 1984 » ou de la lettre du tireur de Libération mais une des multiples perles signée Patrice André.
Connaissez vous ce charmant monsieur ? Si non, je m’excuse par avance d’introduire dans vos vies cet immonde personnage qui sévit sous nom d’emprunt (on ne comprend vraiment pas pourquoi, qui aurait envie de lui casser les dents ?) et inonde le web de conférences de haut vol où il explique devant un parterre de militants UMP/Printemps français que « le but du gender est de subvertir totalement la société dans laquelle nous vivons ».
Car si son cheval de bataille était ces derniers mois le mariage pour tous (raté dédé !), l’ennemi numéro 1 de la team catho/Frigide Barjot (dont André est un éminent porte flingue) est désormais l’enseignement du « gender » à l’école (prononcez djendeur, en insistant bien sur le « -en- », façon aristo fin de race).
L’utilisation de la notion de genre que font ces joyeux lurons de la Manif pour tous étant aussi fausse que prétexte à une propagande homophobe, j’ai trouvé utile de revenir sur l’origine du terme.
Le genre n’a pas tout de suite eu de nom. Au départ, il s’agit de distinguer le sexe (biologique) du genre (social). Une des premières à le faire est Margaret Mead en 1928. Anthropologue, elle travaille sur une comparaison des rapports sociaux dans les tribus océaniennes. C’est là qu’elle tombe sur la tribu des Chambouli. Dans cette communauté, elle constate une inversion totale des rôles sociaux puisque ce sont les femmes qui dirigent et incarnent la force et le pouvoir, quand les hommes sont caractérisés par ce qu’elle renvoie au « tempérament féminin » tel qu’il est construit socialement dans les sociétés dites occidentales. Elle en conclue donc un conditionnement social des rôles sexuels et des « tempéraments » rattachés à chacun des deux sexes. D’autres anthropologues parleront de sociétés où la femme jouit d’un statut particulier. Mon préféré étant les femmes de la tribu des Crows décrites par Edwin Thompson Denig comme des chefs, chassant, et se mariant à d’autres femmes (héhé).
En 1949, Simone de Beauvoir popularise et synthétise l’idée dans une phrase célèbre : « On ne naît pas femme, on le devient » qui ouvre le deuxième tome du « Deuxième Sexe ». Cet essai lui vaudra l’ire de ces grands messieurs de la littérature, qui s’empressèrent de sortir leurs petits bras musclés et leurs remarques aussi misogynes que déplacées (tiens tiens, ça rappelle des trucs…) Et pour la route je vous en livre le top 3. Albert Camus dénoncera le livre comme « une insulte au mâle latin» (on va pleurer), Mauriac se dira choqué de désormais « tout savoir sur le vagin » de Beauvoir, d’autres encore dédaigneront « cette pauvre fille névrosée ». Au-delà du machisme évident de ces brillantes injonctions, celles ci sonnent comme une réaction défensive et paniquée à un livre qui démantèle avec brio les mécanismes de la domination masculine.
C’est bien loin de la philosophie, dans le cabinet du Dr Stoler que va naître le terme en lui même. Ce psychanalyste américain travaille sur la construction de l’identité sexuelle. Il reçoit des transsexuels et invente le terme de « gender » pour expliquer cliniquement le cas de ces patients.
Mais on doit la première définition aboutie et canonique du genre à Joan Scott. Dans « Le genre, une catégorie utile de l’analyse historique » publié en 1986, elle donne au terme de « gender » une dimension politique et en fait un outil d’analyse historique. Pour elle, le genre est « un élément constitutif des rapports sociaux fondé́ sur des différences perçues entre les sexes. Il est une façon première de signifier des rapports de pouvoir». Le genre est donc un instrument de domination en ce sens qu’il est une façon de percevoir et de définir les sexes qui rattache le sexe biologique à un ensemble de devoirs et de contraintes sociales.
Aujourd’hui, les dernières études se penchent notamment sur la question de l’intersectionnalité, c’est à dire des liens et des interactions entre les différentes facettes de la domination : le genre, la race, la classe sociale et l’orientation sexuelle.
La notion de genre a donc une origine intellectuelle voire médicale avant d’avoir une dimension politique. Il est devenu par la suite un instrument de combat féministe en permettant de comprendre la construction sociale des identités de genre et son utilisation comme instrument de domination. Il est donc absolument faux de dire, comme Frigide & co, que le genre nie les différences de sexe. Au contraire, il permet de comprendre comment ces différences sont construites socialement et renvoient à des injonctions qui n’ont rien de naturelles. On ne naît pas en aimant le rose et les garçons parce qu’on a un vagin, je ne vous apprends rien.
Mesdames, messieurs du printemps français n’ayez crainte. Etudier le genre ne rendra pas votre gamin pédé, juste plus tolérant et moins borné.
Margaux
PS : Quelques liens utiles si la question du genre vous intéresse
– Nouvelles news : un site qui analyse l’actualité par le prisme du genre
– Ce papier du Monde sur les opposants à la théorie du genre
– Et bien sur de la radio ! l’émission « La tête au carré » de Mathieu Vidard du 20 septembre 2011