Christine and the Queens. Un nom qu’on entend beaucoup ces dernières semaines, et pour cause : Chaleur humaine, son premier album, sort lundi. Au-delà de son parcours (Nantes > Normale Sup’ > Conservatoire d’arts dramatiques à Lyon > dépression > voyage à Londres > rencontre avec les Queens, ces travestis qui lui ont inspiré son projet musical), et de son positionnement sur le genre qui suscite la curiosité des médias (tiens donc), nous avons profité d’une entrevue pour parler chanson française, météo et paillettes.
Le premier album, c’est une étape importante pour un projet… est-ce que les Queens suivent l’évolution de Christine?
Les Queens suivent de loin en loin le projet, oui, et me donnent parfois des nouvelles ! Elles sont toujours là pour commenter les moments importants (le premier article publié dans un journal, le live des Victoires, etc). C’est un salut chaleureux qu’elles me donnent souvent. Je pense sincèrement qu’elles ne s’attendaient pas du tout à ce que le projet prenne une telle ampleur, ou même qu’il prenne vie. Elles étaient surtout satisfaites de m’avoir remise sur pied… du coup, ce qui se passe les émeut sans doute autant que moi!
Il y a un an, tu parlais de ton album en préparation, en disant que tu aurais aimé concilier le côté vieux dégueulasse avec le fait d’être une jeune fille… Est-ce que tu penses avoir réussi?
Absolument pas ! Disons qu’en faisant l’album, je me suis rendu compte qu’il fallait laisser ça pour plus tard… Car un premier album c’est un peu particulier : c’est une manière de poser une esthétique, un personnage, et un propos. Et ça, dont je parlais, je pense que c’est bien, mais pour un deuxième album. Je préfère poser correctement le personnage d’abord, et ensuite lui apporter une petite torsion. En tous les cas, faire un album de Gainsbarre est un objectif que je garde en tête.
Que raconte la pochette de Chaleur Humaine?
Disons que sortir un premier album, c’est un peu se mettre dans la position d’un prétendant, c’est se proposer, sans savoir si on va se faire bien accueillir ou pas. Donc je voulais avoir des fleurs avec moi. Mais je voulais aussi qu’on puisse lire plusieurs versions, qu’on se demande d’où je viens : est-ce que je sors d’un enterrement, est-ce que je vais à un mariage, est-ce que je viens d’être rejetée par quelqu’un, est-ce que j’ai reçu des fleurs ? Finalement, même si cette pochette est étrange, je trouve le côté ambivalent du décor et de la pose assez intéressant, puisque le titre de l’album aurait pu mener à des artworks un peu trop cheesy ou littéraux. Et ça me plaisait de raconter autre chose.
Il y a sur ton album un morceau où tu mixes Kanye West avec Christophe… Un tel mélange résulte d’une certaine liberté. Est-ce que tu as l’impression que la musique actuelle française en manque?
Ca serait peut-être un peu condescendant de juger de ce qui est libre ou pas, tout dépend de ce qu’on entend par ce terme: ils y a des gens qui se livrent beaucoup dans leurs textes et qui font ainsi preuve d’une certaine liberté… Peut-être que ça manque en revanche un peu de fantaisie, ou de liberté de mélanger les choses.
Disons qu’avant, il n’y avait pas beaucoup de projets qui faisaient le grand écart entre pop et chanson française, ou qui pouvaient s’inspirer du rap mais pour en faire autre chose. La musique avait un côté très compartimenté. Mais je pense que ça va changer. De plus en plus, on va vers des musiques hybrides, vers des mélanges, et même des pop-stars comme Katy Perry s’y mettent, alors que jusqu’à présent, il y avait un côté un peu réticent à sauter le pas. Et la prochaine génération qui fera de la musique, en France, aura déjà une culture beaucoup plus décloisonnée.
Une autre de tes libertés est celle de faire dialoguer, dans un même morceau, français et anglais. Cette alliance te permet-elle d’exprimer plus de choses, ou de les exprimer mieux?
Je pense que ça me permet de les exprimer mieux. Le propos reste souvent le même, mais ce qui est intéressant, c’est de pouvoir raconter la même histoire avec deux voix, deux poétiques différentes qui n’ont pas la même musicalité. Comme je suis française, il a quelque chose d’un peu naïf dans mon anglais, de plus direct dans l’écriture, alors qu’en français, c’est elliptique et plus imagé. Alors oui, c’est une manière de creuser un sujet avec différentes armes. Enfin différentes pelles, si tu creuses…
Est-ce que tu as l’impression que c’est dur de se faire une place, musicalement parlant aujourd’hui?
C’est contrasté. Oui et non. Non, parce que dans mon cas je peux pas trop me plaindre, c’est quand même allé assez vite et bien depuis que le projet a commencé. Je n’ai pas eu à démarcher, ni connu de périodes où j’ai perdu espoir, la dynamique a toujours été plutôt ascendante. Néanmoins, j’ai l’impression que ce qui est difficile, ce n’est pas tant de se faire une place que de durer, même pour les gens qui sont installés. Et ça m’inquiète quand on dit « Christine, la nouvelle sensation pop du moment », ça donne l’impression que ça peut s’essouffler aussi vite que les gens se sont excités, parce qu’on lit ce genre de formule pour tout, vingt fois par jour. J’ai l’impression qu’il faut vraiment être très motivé pour arriver à faire durer le désir tout le temps.
Christine and the Queens a débuté il y a déjà quatre ans. Il semble qu’à ce moment-là, ton univers était un peu plus… sombre. En quoi ta musique a-t-elle évolué?
C’est vrai. Même sur scène au début, Christine était un personnage plus dark, plus théâtral, jouant davantage avec l’étrangeté. En fait, ça découlait directement d’un moment de ma vie où c’était plus sombre de manière générale, et comme Christine évolue avec la vie qui l’accompagne… ça s’est ouvert, détendu. Moi-même je me rends compte qu’il y a sur scène un truc un peu plus solaire, que je souris davantage – à mon grand malheur parce qu’après les photos sont affreuses sur google… Donc ça veut dire que si je me refais larguer et que je refais une dépression, on pourra attendre un retour des chansons dark du début !
Est-ce que ton rapport à la musique a changé depuis que tu as lancé Christine and the Queens, depuis que tu produis de la musique et que tu fais de la scène?
Oui, parce que forcément, plus tu fais de la musique, plus tu as une écoute de technicienne, et tu te mets aussi à écouter et à aimer des disques qui n’étaient pas évidents au départ. En plus je suis obsédée par la production, donc plus je vais en studio, plus j’apprends. J’adore analyser les chansons à succès, leurs structures, et pourquoi elles marchent… Et tu constates qu’en ce moment, les chansons sont des espèces de monstres qui ont je ne sais pas combien de ‘hook’ toutes les 2 minutes… tu sens qu’on fait de la musique pour des gens qui zappent au bout de 30 secondes, c’est hyper frappant.
Mais en même temps, il m’arrive de me faire des soirées en écoutant Phil Collins de manière très immédiate, et d’être aussi un peu époustouflée par des musiques sans savoir l’expliquer. D’ailleurs heureusement, si je n’écoutais plus qu’en technicienne, j’arrêterais. Il faut garder un rapport naïf et amoureux de juste la musique tout court. J’en écoute tout le temps, je ne suis pas souvent dans le silence en fait, même quand je suis chez moi et que je ne travaille pas la musique, j’ai des écouteurs sur les oreilles. Sauf la nuit quand je dors.
Tu mentionnes le silence, parlons de solitude. Christine and the Queens est un projet personnel, tu composes tout toute seule… Est-ce que tu as tendance à être une personne solitaire, en dehors de ça ?
Je suis quelqu’un de très solitaire. Mais une solitaire heureuse. J’ai tendance à être… je n’irais pas jusqu’à dire asociale, mais c’est vrai que sauf si je vais danser dans des fêtes, les soirées, celles où il faut discuter, j’y suis très mal à l’aise et j’ai du mal à me concentrer. D’ailleurs j’étais très angoissé à l’idée d’aller en studio à cause de ça. Parce qu’en tant que solitaire je suis aussi timide, et en même temps j’ai un côté très control-freak. Donc travailler avec deux musiciens et un producteur en face de qui défendre mes idées me faisait peur. Mais Ash Workman (le producteur, qui a aussi travaillé avec Metronomy) a de l’expérience avec ce genre de caractère, et sait que c’est bien d’être dans le dialogue mais que c’était toujours moi qui allais décider au final, donc en fin de compte, ça s’est très bien passé.
C’est quoi ce rapport à la météo? Tu parles d’orage dans Saint-Claude, tu priais pour une averse dans Narcissus is back…
Oui c’est vrai, qu’est-ce qui se passe, je n’y avais jamais pensé en plus… On remarque que c’est souvent lié à la pluie… pourquoi ? Narcisse se rapporte au thème de l’eau, puisqu’il se noie en voulant s’embrasser, donc sur cette chanson, avec la liquidité, c’était un peu obligé que je finisse par parler d’averse… Dans Saint-Claude, l’orage, c’est plus une image. Très symboliquement, ça peut correspondre à la colère. D’ailleurs c’est marrant, parce que dans la chorégraphie du clip, quand je dis « pour que l’orage s’annonce », je fais un geste dont je viens d’apprendre qu’il signifie « va te faire foutre » en italien ! Mais finalement, pourquoi on aime bien parler de la météo ? Peut-être parce que ça nous dépasse et que ce sont des violences qu’on ne maîtrise pas…
Tu as récemment fait la première partie de Stromae. Christine and the Queens/Stromae, même combat ou pas?
Disons qu’il a une manière d’être ambitieux visuellement, de proposer des idées plutôt audacieuses, et des concepts forts à chaque chanson. Il a le mérite de remettre de l’ambition justement pop et populaire dans un paysage français qui en manquait. Mais en même temps, sa manière d’être homme et femme dans « Tous les mêmes », n’est pas une manière de remettre en question le genre, la femme est une femme assez codifiée, le mec c’est le gros connard qui se tape des meufs, etc. Il ne dérange pas le genre, mais il joue avec.
Donc ce n’est pas exactement la même démarche, car de mon côté, il s’agit plutôt de remettre en cause le genre, et de dire « j’ai envie d’être qui je veux être, et je ne veux pas qu’on se concentre sur le fait que je suis une jeune chanteuse, je n’ai pas envie de parler de mes fringues, ni de poser seins nus, j’ai envie qu’on se concentre sur mes textes et mes chansons ». Et en tous cas, le regarder en concert est impressionnant. Il a vraiment une présence forte, un langage dansé fort, qui n’est pas évident, et qu’on ne peut que saluer.
À ton concert au Nouveau Casino l’année dernière, tu t’es pris une décharge d’amour en plein figure dès le début, qui a eu l’air de te traumatiser un peu, tu t’es préparée à ce que ce soit la même chose à la gaîté lyrique?
Non ! Si ça se trouve je vais m’évanouir ! D’ailleurs je ne me souviens pas de ce concert, je crois que ça m’a transportée dans le sens premier du terme. En fait, ça c’est le symptôme ‘artiste de 1ère partie’. Il y a un côté ‘faire ses preuves chaque soir’ qui fait que tu n’es pas habituée à ce que les gens te reconnaissent et t’accueillent tout de suite… Au début j’avais un côté hyper cynique quand j’étais dans le public et que les artistes en face articulaient des « thank you!!! » les larmes aux yeux, mais en fait quand tu es sur scène, c’est très impressionnant de recevoir de la chaleur humaine… Alors non, je ne suis pas prête… Mais en tous cas, je prépare le spectacle de la Gaîté, pour faire un beau spectacle.
Du coup, as-tu une idée d’où vient cet accueil qui t’es réservé ? Les gens étaient presque hystériques dès le début…Est-ce parce que tu as une résonance auprès d’un public qui jusqu’à maintenant était en manque de figure contemporaine dans laquelle se reconnaître, en France ? Cet univers queer, poétique, en même temps électro, mais empreint de plein de références… C’est comme si tu prenais un place jusque là vacante, en faisant quelque chose que personne d’autre ne fait… et j’ai l’impression que ça parle à beaucoup de gens.
Eh bien, si c’était ça, ce serait un beau compliment… Je pense que je suis la moins bien placée pour savoir… mais si c’est vrai, merci…
Une dernière question. Christine sans paillettes est-elle toujours Christine? (pour qui ne l’a jamais vue sur scène, il n’est pas rare de voir Christine faire jaillir une pluie de paillettes de ses poches, à un moment ou à un autre)
Eh bien oui ! J’aime beaucoup les paillettes, c’est poétique parce que ça infeste un peu tout, mais le phénomène m’a dépassée. C’est juste un truc en plus, une petite signature marrante, simple, qui ne coûte rien, et qui fonctionne très bien, mais je me porte bien sans, et pour certaines personnes, je suis vraiment associée au lancer de paillettes. Alors j’espère pouvoir m’en émanciper, sans qu’on m’en veuille trop.
Merci à Héloïse/Christine, Anicée, Marie Rouge pour les photos.
Gail.
Christine and the Queens sera donc en concert (déjà complet) à la Gaîté Lyrique le 18 juin, le 29 aux Solidays, dans divers festivals cet été, et en tournée à partir de la rentrée : aucune excuse pour la rater !