Je couche toujours le premier soir. Pas parce que j’ai érigé en principe de coucher toujours le premier soir mais plutôt parce que si l’envie est présente des deux côtés et qu’elle se manifeste de manière outrancière, je ne vois pas pourquoi je devrais y résister.
Peut-être au nom d’une morale qui pèse sur les femmes ? Au nom d’une loi qui dit qu’il faut coucher le troisième soir après avoir fait un ciné et un restau ? Mais il ne s’agit pas que du premier soir mais aussi du fait de coucher tout court, avec une personne que l’on ne connaît pas. Dans les magazines pour adolescentes, on conseille souvent aux filles de faire l’amour quand elles sont amoureuses, d’attendre d’être certaine d’avoir trouver le bon (jamais la bonne, on est toujours hétéro, évidemment). On ne parle jamais de ĺ’envie pressante, du désir évident. Non, ça, seuls les garçons l’expérimentent.
Quel mal y-t-il à vouloir coucher le premier soir ? Quel mal y a-t-il à vouloir seulement coucher avec une personne ? Mais aussi, quel mal y a-t-il à ne pas vouloir coucher?
Les femmes subissent continuellement cette double pression : On passe pour une prude si on ne couche pas, pour une salope si on couche. Évidemment, dans les deux cas, nous ne sommes pas respectées.
Ce paradoxe peut même mener des femmes à la mort. Il y a quelque semaines, une femme s’est suicidée après avoir subi du harcèlement parce qu’elle avait tourné une vidéo porno. Au même moment à Santa Barbara, un homme tuait six femmes et en blessait sept autres parce qu’elles n’avaient pas été intéressées par lui. Qu’une jeune femme se suicide n’était pas assez. Il fallait qu’elle paie d’avoir été une salope. S’en est donc suivi de nombreux commentaires sur twitter : elle méritait ce qui lui était arrivé même si la plupart des hommes avaient aimé se masturber en regardant sa vidéo. A côté de ça, nous avons un homme qui a intentionnellement tué des femmes parce qu’elles lui avaient dit non, parce qu’elles refusaient d’avoir des relations sexuelles avec lui. Mais qu’aurait-il fait si elles avaient bien voulu de lui ? Les aurait-il tuées aussi parce qu’elles sont toutes des salopes ? Quel est ce double paradoxe aberrant ? Pourquoi sommes nous en permanence pas respectées peu importe les choix que nous faisons ?
Il ne s’agissait pas là de simples agissements isolés mais bel et bien d’actes en concordance avec la société dans laquelle nous vivons, une société dans laquelle les femmes doivent être à disposition des hommes quoiqu’il arrive. Une société dans laquelle les femmes ne doivent ni refuser du sexe, ni l’accepter. C’est sans doute parce que la valeur d’une femme se mesure à son entrejambe, à son rapport à la sexualité. Notre vulve, c’est un peu l’échelle de Richter, elle mesure notre degré de respectabilité. Mais peu importe la magnitude, la mère et la putain sont toutes les deux destinées à l’échafaud.
Cette pression subie par les femmes peut aussi être nourrie par le jugement d’autres femmes, c’est dire à quel point nous avons nous-même intériorisé ce double standard. Dans le milieu lesbien, il m’est arrivé d’entendre que certaines filles étaient des salopes parce qu’elles couchaient souvent avec différentes personnes, voire même parce qu’elles étaient bies. Mais il m’est aussi arrivé d’entendre que certaines avaient un problème parce qu’elles ne voulaient pas coucher tout de suite.
Pourquoi avons nous intériorisé ce double standard ? Pensons-nous pouvoir y échapper en jugeant les autres femmes ? Dans notre société, toutes les femmes sont à la fois des prudes et des salopes, alors il serait peut-être temps d’arrêter de reproduire, au sein même d’un milieu que nous voulions safe, des schémas qui nous enferment et qui parfois, peuvent mener à la mort.
Sarah