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Arianne a longtemps cru qu’elle était lesbienne avant de comprendre qu’elle aimait les filles et les garçons. Elle raconte aujourd’hui le chemin difficile du coming-out bi, la réaction de ses amies lesbiennes, l’incompréhension de son entourage.
Je devais avoir dans les vingt ans quand j’ai commencé à m’intéresser sérieusement aux filles. J’étais jeune, pas franchement épanouie avec les garçons. Je trouvais mes relations décevantes. Je rêvais de transgression, de chair contre chair, de soufre et de passion. J’avais envie de changement, et j’étais prête à me transformer, troquer ma petite vie morne pour la grande aventure… Ma révélation, ce fut une fille. Avec elle, j’ai eu l’impression de résoudre toutes les questions de mon existence : pourquoi ça n’avait jamais marché avec les hommes, pourquoi je ne correspondais pas au stéréotype de la fille douce et serviable, pourquoi je n’aimais pas le sexe hétéro, que je trouvais si codifié, si répétitif.
Tout s’expliquait, j’étais lesbienne, voilà tout.
J’ai passé trois ans avec cette fille. Trois ans persuadée d’être lesbienne. Heureuse d’être lesbienne. Trois ans à découvrir une culture, à déconstruire la norme, mes normes, à me passionner pour la défense des droits LGBT, le féminisme. Je me sentais infaillible. Lesbienne jusqu’au bout des ongles. J’avais trouvé une famille d’adoption, je me sentais différente, à part. Je faisais partie d’une communauté, et nous avions un combat à mener.
Et puis un jour, un dramagouine comme il en existe des millions. On se sépare de l’être aimée. Pleurs, cris, verres brisés, déménagement, vodka. Quelques mouchoirs et des litres de thé vert plus tard, comme toute jeune fille en fleur de 22 ans, on rencontre de nouveau quelqu’un. Oui, parce qu’en fait, on croit que, mais on ne meurt pas de rupture.
Autant vous épargner les détails de la nouvelle rencontre, les coeurs dans les yeux, les affinités incroyables, les semaines complètes sans sortir de la chambre (oui, parce que la rupture étant trop dure, on avait arrêté les études en vue d’une mort subite et prochaine). Sauf qu’il y a un hic. La personne en question est un homme.
Que faire lorsque l’on fait partie d’une association LBGT composée quasi-exclusivement d’homos ? Que faire lorsque toutes ses amies sont lesbiennes, et convaincues de votre orientation sexuelle comme de leur propre code de carte bleue ? Que faire lorsque l’on a annoncé officiellement à ses amies d’enfance, à ses parents, que l’on est homo ? On se sent perdue. Perdue et seule.
J’avais l’impression de revivre le même parcours du combattant que trois ans auparavant. Sauf que je n’étais plus une lesbienne au milieu d’un groupe d’hétéros, mais une bie au milieu d’un groupe d’homos. Et je me sentais plus illégitime que jamais.
« Et toi, t’as retrouvé une meuf? ». Incapable de mentir, on rougit. « Hein… Euh.. Ouais. Plus ou moins. Je ne sais pas. » « Bah alors, faut te remettre en selle ! Bon, t’aimes quoi, les blondes, les brunes ? » -« Plutôt un grand brun barbu »- « Quoi? » « Non, rien. Non mais je vais bien, tu sais ». Et l’amie fidèle de vous faire défiler une série de photos de ses potes/exes/fantasmes, sous vos yeux embarrassés. Et puis, vient le moment où on en a marre de passer pour une vieille lesbienne à chat qui passe ses soirées à regarder des séries en streaming. D’autant qu’on déteste les séries et pas de place pour un chat.
On se lance donc et on explique, victimaire, qu’on est tombée amoureuse d’un homme, que ça fait un moment que ça dure et qu’on ne peut plus le cacher. On s’excuse du retard de l’annonce, on se sent coupable… mais coupable de quoi ? De trahison ? De crime de lèse-majesté à l’égard de la bénie homosexualité ?
J’ai passé près de six mois à mentir, à dissimuler, à cacher à mes amies et à mes parents que j’étais de nouveau avec un mec. J’avais l’impression d’avoir fait tant de grabuge en me revendiquant lesbienne que j’allais passer pour la fille paumée, désorientée. J’avais peur qu’on ne me prenne pas au sérieux, qu’on se dise que j’avais eu « une phase » pendant mes études. Je m’en voulais de ne pas me connaitre mieux que ça. De ne pas avoir su dès le début.
Mes parents n’ont pas compris tout de suite. De leur dernier voyage à San Francisco, ils m’avaient ramené un t-shirt à l’effigie du quartier gay de Castro. Ils s’étaient fait à l’idée que leur fille était lesbienne, ils étaient fiers de venir marcher à la Gaypride, c’est comme s’ils devaient tout réapprendre, alors que moi, je me sentais si peu différente.
Certaines de mes amies ont pris un peu de distance. J’étais devenue celle de l’autre bord, celle que l’on ne drague plus, celle qui est « casée ». Une distance s’est installée, petit à petit, entre elles et moi. Je suis devenue l’hétéro en couple, la figure de la fille casée qui ne sort plus… Je ne peux pas dire que j’ai été marginalisée, mais je n’étais plus dans les petites confidences, on m’invitait moins souvent à aller boire un verre… Alors, je suis moins sortie, j’ai consolidé mes véritables amitiés, fait le tri.
Je sais ce que vous allez vous dire. Comment a-t-elle pu ignorer sa bisexualité ? On ne se réveille pas un matin en se disant, « Ah au fait, j’aime les garçons ! ». J’aurais peut-être pu anticiper la chose, mais j’étais si follement amoureuse de mon exe que je ne pensais pas un jour me mettre en couple avec un homme. J’avais trouvé ma véritable identité me disais-je ! Comme si l’identité était inflexible et inéluctable, je pensais rester la même toute la vie…
Mais je pense que ce qui a le plus joué dans ma méprise, c’est que je n’avais aucun référent bisexuel dans mon entourage. Les seules bies que je connaissais n’avaient jamais eu de relation longue durée avec des filles et je ne crois pas avoir rencontré ou parlé avec une bie outée dans le milieu. Si on était attirée par les filles, on était lesbienne, point. Je n’avais pour seule figure d’identification que quelques stars, lointaines… Les bies n’étaient pas une réalité.
Et puis, un jour, la réalité s’est imposée comme un coup de foudre tailladant mes habitudes. J’ai du me réinventer, reformuler mon discours, mes pensées, mon féminisme. J’ai commencé à en parler sur un autre registre que celui du sentimental, à la revendiquer au sein de mon association, à m’affirmer. Non, elle ne fait pas de moi un LGBT moins légitime. Et oui, ma bisexualité aussi, est politique.
J’aime les filles et les garçons. Je le dis haut et fort, je suis bie et j’existe.
Arianne