Le placard. Ce n’est pas seulement le titre d’une navrante comédie des années 2000 mais également la situation dans laquelle on se trouve bien souvent au travail. C’est qu’on a beau se dire lesbienne dans la sphère privée sans aucune difficulté, la hantise de freiner sa carrière et pire, d’être ouvertement discriminée, quitte rarement nos pensées quand il s’agit de «venir comme nous sommes» au travail.
Commençons par le commencement. En plus d’être une femme, tu es lesbienne. Tu sens confusément que, dans un milieu professionnel dans lequel le plafond de verre n’est pas qu’une expression utile à caser dans une dissert de SES, tu te rajoutes un handicap supplémentaire. Et que, si ce n’est pas facile non plus de se dire gay au travail, cela reste moins discriminant que de se déclarer lesbienne (41% des lesbiennes titulaires d’un bac+5 sont cadres contre 51% des gays à diplôme égal). Ne minorons toutefois pas les problèmes des voisins. Se dire homosexuel dans des professions qualifées de masculines n’est pas exactement une évidence non plus.
«Je suis professeur agrégé en mécanique dans un IUT. Les universités sont un monde où les crocodiles affrontent les requins… La mécanique et le génie civil ne sont «pas faits pour les tantouzes» (j’entends ça au moins tous les jours!). Être réputé homosexuel dans cette ambiance serait suicidaire. Celui qui le dit peut faire sa valise demain.» Source
«Mais quel besoin as-tu d’en parler au travail?» Si cette question revient bien souvent quand on discute de l’opportunité ou non de parler de son homosexualité au bureau, c’est parce que, sans forcément s’en rendre compte, on parle beaucoup de son intimité au travail. On discute autour de la machine à café de ses enfants, de son conjoint(e), de son weekend. Et c’est là que les choses se compliquent. Si vous n’avez pas envie d’en parler, vous pouvez bien sûr mentir. Au lieu de parler de la passion que vous partagez avec votre moitié pour la ferme pédagogique de Paris, les cafés au lait et les obscurs films tchétchènes non sous-titrés, vous dites que vous avez encore passé le dimanche chez vos grands-parents dans le Loir-et-Cher. Vous pouvez aussi dire «mon amie». Le ‘e’ étant muet, c’est bien commode pour faire croire que Jean-Claude s’appelle en réalité Vera. Bon, disons-le, cela devient ardu si on vous invite à des cocktails ou des dîners avec Jean-Claude et que finalement, c’est Vera qui vous accompagne. C’est compliqué comme dirait Facebook.
«J’ai entendu beaucoup de préjugés concernant l’homosexualité de la part de mes collègues de travail, du style «les lesbiennes sont toutes masculines», «il y en a une qui fait l’homme et qui la femme», «c’est une déviance».» J’ai donc renoncé pour l’instant à faire mon coming-out au sein de cette entreprise, par crainte d’être rejetée par mes collègues». Source
Si on exclut les propos gentiment homophobes de ses collègues (Ah ce besoin de qualifer tout ce qui ne va pas de «tafIole» ou de «tantouze» : «cette imprimante de tafiole», «ce siège de tantouze qui ne roule plus pour aller jusqu’au bureau de Sophie»), il reste d’autres obstacles. Le problème au fond, c’est qu’on a forcément peur d’être résumée à la lesbienne du 3ème étage. «Ah oui, Philippine, la lesbienne. Elle est dans le 4ème bureau sans fenêtre à gauche.» Il est certain qu’on espère pouvoir être décrite autrement que par le seul prisme d’un adjectif décrivant nos préférences sexuelles.
Alors, on sélectionne les entreprises dans lesquelles on en parle. Start-up dans laquelle on mange au Macdo tous les midis? Banco, on le dit. Boîte du CAC 40, funky comme une salle d’attente d’un généraliste qui prend sans rendez-vous? On le garde pour soi. Ou alors, on adopte une stratégie différenciée. On le dit aux collègues qu’on apprécie, on ne dit rien aux autres ou à son/sa supérieur(e). Autant l’avouer, cela amène parfois un léger sentiment de schizophrénie.
Tout n’étant pas si sombre , soulignons les nombreux efforts des entreprises, principalement de taille très importante, sur le sujet. Pêle-mêle, Accenture, Orange, Bouygues Télécom ont ainsi mis en place des politiques volontaristes : possibilité de prendre un congé naissance indépendamment du lien filial avec l’enfant, désormais obligation légale, sensibilisation des salariés sur le sujet de l’homosexualité au travail par le biais de témoignages …
Si la Halde (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations) met en avant plusieurs pistes dans ses rapports successifs pour améliorer la situation des travailleurs homosexuels (une véritable politique de formation et de sensibilisation dans toutes les entreprises, un dispositif d’alerte pour les salariés victimes d’homophobie, une formation des inspecteurs du travail sur le sujet), la route est droite mais la pente reste forte comme dirait Jean-Pierre Raffarin.